Être à soi devant le monde
Être à soi devant le monde.
Que le monde existe, que nous le reconnaissions pour tel, que nous instaurions un dialogue avec lui ne nous prive nullement de l’examen de Celui, Celle que nous sommes. Bien au contraire c’est la confrontation primitive de l’homme avec l’univers qui est essentiellement fondatrice de ses sentiments, de ses ressentis, condition d’émission de tout jugement d’une subjectivité en acte. Le monde est le tout autre que moi, l’étalon, le système métrique auquel je me réfère, consciemment ou à mon insu afin que ma position terrestre, humaine, soit dotée des polarités qui me conduiront sur le chemin de la vie. Je regarde la mer, comme l’inconnu de la photographie. Je contemple, depuis le socle de rocher de Caspar David Friedrich, la vapeur des nuages, la montagne à l’horizon, peut-être cette indistincte bâtisse qui paraît surgir d’une nappe cotonneuse. Je perds mon regard dans le firmament d’une nuit blanche que troue le dard des étoiles. Je vise tout ceci et, d’abord, je vise celui que je suis car c’est bien de moi dont il s’agit en dernière analyse, des perceptions qui vont jaillir dans l’antre de mon cortex, des images qui vont inonder l’écran de mon lobe occipital, des éblouissements qui illumineront la chambre secrète de mon imaginaire, des vertus apéritives qui vont faire de mon âme une vibrante ambroisie, une matière ignée, le foyer d’une étrange combustion. Tout est toujours question de mienneté, cette égoïté métaphysique, certes lointaine, certes insaisissable. Pourtant elle n’est réellement nôtre qu’en raison même de sa fuite, de son inconsistance, de sa nébuleuse empreinte. Serait-elle préhensible, elle revêtirait le prédicat de la chose, elle se verrait réifiée, reconduite au statut de la pierre, de la cendre, de l’éclisse de bois sous le derme de l’écorce. Or, c’est certain, nous ne prenons conscience de nous en notre être qu’à nous poser face à la matière, à quelque de chose de dur, de compact, afin que, délesté de cette confondante mutité nous puissions entendre le langage de la légèreté, le déploiement de l’arborescence, le susurrement de l’écume. Certes il est paradoxal d’évoquer ces buées, ces évanescences de manière à faire s’élever la polémique par laquelle donner à s’affronter, en une belle joute, le corps que nous sommes, l’esprit qui souffle et fait gonfler l’outre de notre peau, l’âme qui assure le tout de sa combustion car toute vie est énergie, puis sa perte progressive, puis…
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