4. La douce présence

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Brendan et Kevin marchaient ensemble en direction de l’école, mais ce matin-là, Brendan décida de prendre un chemin différent.

– Merci de m’avoir laissé dormir chez toi hier, dit Brendan reconnaissant.

– Hey quand tu veux, mais dis-moi pourquoi on prend cette rue au lieu du chemin habituel ? Ça nous rallonge de l’école.

– J’ai besoin d’aller voir ma mère…

Kevin hocha la tête avec appréhension, il soupçonnait que ce n’était pas une si bonne idée.

–Tu es sûr ?

–Je crois que oui, lui répondit Brendan d’un ton qui présageait peu de confiance.

Quelques minutes plus tard, Brendan s’arrêta devant une petite maison, il resta immobile en se tenant à quelques mètres du portique. Kevin l’observait en silence. Il voyait bien que son ami hésitait et semblait craindre de faire les prochains pas. Brendan se décida enfin de prendre son courage en main et après une grande inspiration, il relâcha ses tensions et avança lentement. Soudainement, son regard tomba sur une dizaine de bouteilles vides d’alcool sur la terrasse près de la porte d’entrée. Ils devaient traîner depuis quelques semaines déjà. Il s’immobilisa et se résigna à s’approcher davantage. En levant les yeux vers la fenêtre de la cuisine, Brendan pouvait voir sa mère en train de faire les allers-retours entre sa table de cuisine et son réfrigérateur. Celle-ci ne le remarqua pas. Plus il l’observait, plus il sentit le remord et la culpabilité refaire surface. Il perdit le courage d’aller la voir et choisit de rebrousser chemin.

Pendant la pause du dîner, Ken était assis sous un chêne devant l’école en analysant le dessin que sa cousine lui avait donné quelques jours plus tôt. Il scruta le gratte-ciel de bas en haut en répétant lentement dans sa tête les mots culpabilité, apitoiement, acceptation, service, joie, paix et amour. Il essayait de comprendre leurs significations, et si sa mère n'était pas par hasard derrière la création de ce dessin. Le vent se fit entendre et agita les feuilles au-dessus de lui laissant traverser les rayons à travers les branches. La chaleur du soleil se fit ressentir sur sa peau lui donnant une sensation chaude et inconfortable. Il ferma alors les yeux et à cet instant précis, il ressentit un soulagement. Inconsciemment, il visualisa à nouveau les mots pour finalement s’arrêter sur acceptation. Ce mot vint étonnamment l’interpeller profondément, puis il entendit une voix douce en écho dans son esprit : « Nos relations changent lorsque nous changeons... »

Une voix familière retentit. Ken ouvrit les yeux rapidement saisis par ce brusque retour à la réalité et vit Brendan debout devant lui.

– Je viens m’excuser, lui dit-il confiant.

Ken le contempla stupéfait.

– Quoi ? lui répondit-il interloqué.

Brendan répéta ses excuses.

– C’est vraiment sincère ? répondit Ken après avoir bel et bien entendu son pardon.

– Je regrette d’avoir perdu patience contre toi …

Ken inclina légèrement la tête perplexe.

Toujours assis, Ken continua à le fixer de haut, étonné d’entendre ces mots venant de lui. Sans détourner son attention de Brendan, il décida à ce moment-là de ranger discrètement le dessin dans son sac déjà ouvert. Voyant que Ken ne sembla pas saisir ce qu’il tentait de lui dire, il s’assied à côté de lui.

– Écoute Ken, tout ce que j’essaie de te faire comprendre, c’est que … j’ai changé.

– Je ne croyais pas réussir à changer une personne aussi facilement...

Brendan lâcha un petit rire et rabaissa la tête en repliant ses genoux vers sa poitrine d’un air mélancolique.

–  Oui, je sais que c’est dur à croire, mais tu l’as fait.

Ken le contempla un instant en silence en remarquant sa position soudainement refoulée.

–  J’étais fâché contre mon père et ton attitude m'a fait penser à lui … partagea Brendan piteusement, et ce que tu m'as dit l'autre fois était vrai...

Les traits de Ken s’adoucirent, laissant paraître une légère compassion.

– Désolé de t'avoir fait penser à ton père.

– Ouais... mais t’inquiète, ça va maintenant. Tu penses revenir jouer avec nous au basketball ?

– Non… Ton ami Kevin me déteste, constata Ken.

– Ouais… Il a le jugement facile. Pour lui ça clique ou ça ne clique pas. Mais la première impression que tu lui as donnée n’a pas aidé à ta cause.

– Que veux-tu dire ?

– Tu nous as vite ignorés. Ce n’est pas acceptable à ses yeux, partagea Brendan d’un ton amical.

– Je ne vous ai pas ignoré …J’étais juste perdu dans mes pensées.

– C’est ce que j’ai réalisé par la suite, mais j’attends toujours tes excuses pour m’avoir pris pour cible deux fois durant la partie, finit-il par dire le sourire en coin.

– Sérieusement ? répondit Ken agacé, le regard tourné vers ce dernier.

– Je blague, tu n’as probablement pas fait exprès.

– Le coup du ballon sur ta tête, c’était la faute de Kevin, si tu ne savais pas.

Brendan lâcha un soupir dégageant une certaine frustration.

– Mais dis-moi que le coup de la finale tu étais juste distrait ?

Ken hocha lentement la tête en fuyant son regard.

– Ça t’arrives souvent d’être perdu dans ta tête comme ça ?

Ken garda finalement le silence, préférant ne pas répondre à cette question.

Brendan tenta d'attirer son attention en inclinant la tête.

– Est-ce que tout va bien Ken ? Il y a quelque chose que tu veux me dire ? s’enquit Brendan calmement.

– Non, je ne veux pas en parler.

Brendan acquiesça avec compréhension.

– Comme tu veux. Ne te gêne pas si tu as besoin de parler à quelqu’un. Je sais que, pour toi, t’entourer d’amis ça t’importe peu, mais je veux que tu saches que parler au moins à une personne, ça fait du bien, le persuada Brendan avec empathie.

Les deux garçons se regardèrent dans les yeux. Ken pouvait percevoir enfin une nouvelle relation amicale se développer entre eux.

Zoé et Blair passèrent côte-à-côte, à quelques mètres du chêne, en discutant allègrement. Sans se faire remarquer par Ken et Brendan, Zoé tourna son regard vers eux, étonnée, puis Blair fit de même

– Wow, mais c’est incroyable, ils sont finalement devenus des amis ! Après tout ce que tu m’as dit sur leur relation, je n'aurai jamais pensé qu’ils s’entendraient aussi bien en peu temps ! s’exclama-t-elle souriante.

– Effectivement, c’est surprenant … répondit Zoé perplexe qui n’en croyant pas ses propres yeux.

Elles s’éloignèrent pour se diriger vers l’entrée de l’école. Zoé ne put s’empêcher de jeter un dernier coup d’œil vers Brendan et un doux sourire satisfait se dessina sur son visage.

Une jolie jeune fille aux longs cheveux blond doré, au teint lumineux, apparaît au loin devant Ken et Brendan. Elle portait une légère robe bleu ciel, tombant juste au-dessus de ses genoux. Elle marchait d’un pas serein vers eux les mains derrière le dos. Étant toujours assis sous le chêne, les deux garçons la fixèrent obnubilés par sa beauté. À mi-chemin, elle s’arrêta en se détournant d’eux afin de les regarder du coin de l’œil.

– Tu connais cette fille au loin qui ne fait que nous observer ? demanda Brendan à Ken sans quitter ses yeux de celle-ci.

– Je ne crois pas, non... répondit Ken simplement, lui aussi absorbé par sa beauté. Il ressentit à cet instant une forte vibration harmonieuse. Ken et Brendan s’échangèrent quelques secondes un regard incrédule et jetèrent un dernier coup d’œil vers cette mystérieuse fille, mais elle avait disparu.

Après les cours, Ken descendit les escaliers extérieurs de l’école. À sa stupéfaction, il vit la même fille que le matin debout au pied du chêne. Il la fixa un moment confus, puis décida d’aller la rejoindre. En avançant vers celle-ci, il remarqua son doux visage souriant, reflétant une belle vitalité. Elle le salua chaleureusement d’un geste de la main. Ken s’arrêta net envahi d’une gêne subite. Jamais auparavant il avait senti une énergie aussi forte émanée d'une personne, que c'en était intimidant. Elle fit alors quelques pas en avant, puis s'écria d'une voix presque mélodieuse :

– Bonjour !

Saisi par son approche si enjouée, Ken resta figé, déstabilisé par son charme incomparable.

– Hum salut... Je m’appelle Ken... bafouilla-t-il.

– Heureuse de te rencontrer Ken. Tu peux m’appeler Angie !

Ken la regarda sans trop comprendre la raison de son interlocution. Angie leva les yeux vers les feuilles de l’arbre, le vent dans les cheveux, le teint encore plus radieux, elle dit gaiement en baissant son regard vers Ken:

– Tu voudrais bien m’accompagner un moment ? J’aimerais te montrer quelque chose.

– Mais est-ce qu’on se connait ?

– Probablement dans un souvenir lointain, ajouta-t-elle en laissant échapper un ricanement.

Ken ressentait une grande confusion. Sa mémoire lui faisait probablement défaut, car son visage ne lui revenait pas à l’esprit. Mais il décida de se laisser influencer d’un air déconcerté et il accepta par un hochement de tête.

Dans un café au coin de l’intersection, Military Road et la rue Gower, un homme aux cheveux et la barbe bien taillée rousse, dans le début de la vingtaine, était assis à côté d’une grande fenêtre. Celle-ci offrait une vue directe sur l’extérieur. Il portait un chapeau en feutre noir avec les bords relevés à l’arrière, une bande de tissu entourait la couronne agrémentée d’une petite plume rouge et bleu. Assis confortablement sur la banquette, il lisait, le journal dans ses mains, avec le chapeau qui tombait légèrement au-dessus de ses yeux bleus. Il déposa le journal, pour ensuite prendre une dernière gorgée de son café. Soudain, quelque chose attira son attention à l’extérieur. Son regard croisa Ken et Angie qui passaient devant lui. Il les suivit des yeux avec la tasse toujours à la bouche. Il fronça les yeux d’un air intrigué et jeta un dernier coup d’œil vers Ken avant qu’il le perdît de vue. Puis, il réalisa que celui-ci dégageait une énergie qui lui était étrangement familière. La serveuse interrompit ses pensées en arrivant à sa table pour lui demander s’il voulait un autre café. Le jeune homme tourna rapidement la tête vers cette dernière en déposant sa tasse. Familier avec celle-ci, il lui fit un sourire charmeur en secouant la tête.

– Non, merci ma chère Mandy, lui dit-il d'un ton courtois, avec son accent irlandais.

Il se leva aussitôt de la banquette en prenant soin de replacer son gilet rouge vin et sa cravate rayée noir et blanche. Il remit en main propre un généreux pourboire. D’une allure svelte et élégante, il quitta le café sous le regard médusé de la jeune serveuse lorsqu’elle remarqua deux billets de vingt dollars dans sa main.

Ken et Angie s’aventurèrent pendant une vingtaine de minutes sur la route Signal Hill. Ils s’éloignèrent de la ville pour arriver sur un sentier de randonnée bordé de falaises. Surplombant la ville, Ken aperçut la colline de Signal Hill. Silencieux, il se laissa guider par Angie, côte à côte. Cependant, après une demi-heure de marche sur ce chemin sauvage le long de la côte Atlantique, il se sentait perdu. Il ne se rappelait pas s’être aventuré aussi loin auparavant. Devant lui, il aperçut un terrain rocailleux en pente.

– Puis-je savoir au moins où tu m’emmènes ? s'enquit Ken, curieux.

Angie garda le silence, jusqu’au moment où ils arrivèrent tous deux en haut de la falaise. Elle lui lança un regard du coin de l’œil pour ensuite lâcher un petit ricanement, prit la main de Ken et elle l’entraîna en bas de la colline. Ken fut emporté par son élan et descendit à vive allure. Pendant la descente, il ne put s’empêcher de fixer la main d’Angie serrant la sienne, mais en arrivant presque en bas, ses yeux furent ensuite attirés vers l’horizon. Devant lui, se trouvait une magnifique vue de l’océan.

– C’est ici ! s’exclama Angie joyeusement en lâchant la main de Ken.

Elle continua d’avancer et s’arrêta au bord du ravin. Émerveillé, il s’approcha lentement à côté d’elle et admira les reflets du soleil sur l’eau.

– Comment trouves-tu cet endroit ? demanda Angie, toujours le sourire affiché sur son doux visage.

– C’est magnifique... Je ne connaissais pas cet endroit.

– Heureuse d’entendre ça, répondit-elle d’une voix pleine de tendresse.

Ken la fixa longuement ayant une forte impression de l’avoir toujours connue.

– C’est étrange… J’ai l' impression qu’on s’est déjà vus auparavant...Mais je ne suis pas certain… demanda Ken perplexe.

Le visage toujours aussi lumineux et souriant, elle garda le silence. Il continua de la contempler en espérant une réponse de sa part. Le vent souffla dans ses cheveux blonds soyeux, elle prit sa main sans détourner son regard de l’océan. Troublé par le charme qu’elle dégageait, il ressentit une gêne monter en lui. Jamais, il n’avait ressenti un tel sentiment. Son cœur se mit à palpiter en sentant la main d’Angie serrer davantage la sienne. Mais il se sentit vite apaisé sous la douceur et la chaleur de sa main. Angie leva ensuite les yeux vers le ciel.

–  Tu as beaucoup de questions à ce que je vois. Et pour de bonnes raisons... Laisse-moi cependant te dire une chose...Le monde peut souvent paraître un lieu très solitaire, mais il est important de ne pas oublier que tu n’es jamais seul. Il suffit de regarder autour de soi... lui dit-elle d’une voix compréhensive.

Sous le regard épris de Ken, elle ferma les yeux et se laissa bercer par le son des vagues. Pour finalement ajouter d’un ton serein :

– Mais il y a une dernière chose que tu dois comprendre... il y a une partie de nous qui ne meurt jamais... elle peut porter des messages et des leçons du passé et du futur... De plus, le chagrin, la douleur et la souffrance sont parfois des émotions utiles pour réussir à atteindre la lumière... 

Ses mots pleins de sagesse firent un écho dans l’esprit de Ken et cela lui apporta davantage de questionnement. Il se rappela les dernières paroles de ses parents dans l’un de ses cauchemars, lorsqu’ils lui disaient qu’il ne pouvait pas l’affronter seul, car il était trop puissant… Ken se laissa emporter par ses pensées troublées en tentant de mettre un sens à tout cela.

–  Ken … regarde devant toi … lui chuchota Angie pour le ressaisir.

Les idées de Ken cessèrent brusquement et il obéit. Les yeux rivés sur l’horizon, il ressentit de plus en plus sa douce et agréable énergie. Ils admirèrent paisiblement l’océan au son des vagues. Sa présence lui fit enfin prendre conscience qu’il devait apprécier le moment présent.

Sur le chemin du retour, Ken revint seul en courant, submergé par une envie urgente d’obtenir des réponses. En arrivant proche de la maison, il remarqua avec satisfaction que la voiture de sa tante n’était pas encore là. Il rentra avec hâte et monta rapidement à l’étage. Il courut jusqu’à la chambre de celle-ci pour regarder sous le lit et découvrit deux vieilles boîtes en carton. Il en tira une vers lui, en espérant que ce soit celle qui contiendrait ce qu’il recherchait. Il l’ouvrit, rassuré, il y trouva des vieilles photographies comme Lora lui avait fait mention. Il en prit dans ses mains et les inspecta une à une. Il revit son père et sa mère dans le début de leur relation. Il sourit en revoyant tous ses souvenirs défiler devant ses yeux. Quand soudain, une photo attira son attention. Il y vit ses parents posés sur les marches du portique de leur ancienne maison accompagnés de trois autres personnes. Il reconnut son oncle, le frère de son père, dont il se souvenait l’avoir vu à quelques reprises dans son enfance, mais ne plus l’avoir revu ensuite. Puis, il aperçut un autre homme vêtu d’un veston, une cravate et un chapeau classique noir agrémenté d’une petite plume colorée. Mais cette fois-ci, Ken n’avait aucun souvenir de qui il s’agissait. Son regard tomba, ensuite, sur un très jeune garçon âgé d’environ sept ans. Il tenta pendant un moment de faire des liens et de comprendre quel genre de relation ces deux personnes entretenaient avec ses parents. Le bruit de la porte d’entrée retentit et il entendit les rires de ses petites cousines. Alerté du retour de sa tante, Ken referma la boite et la poussa sous le lit en gardant précieusement la dernière photo qu’il avait trouvée.

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