5. Une vérité enfouie
Plus tard dans la même soirée, Ken alla dans la cuisine pendant qu’Elena finissait de laver la vaisselle. Sans que celle-ci ne se doute de son arrivée , il s’approcha doucement en tenant le dessin.
– Tante Elena, tu as un moment pour parler ? lui demanda-t-il.
Elle se retourna et prit une serviette pour s’essuyer les mains.
– Oui, bien sûr Ken, suis -moi.
Ken l’accompagna vers le salon pour s’asseoir confortablement sur le sofa. Il lui montra le dessin qui l’obsédait tant. Elena l’examina et resta saisie par une émotion nostalgique, les larmes montèrent à ses yeux.
– J’ai absolument besoin d’une réponse. Est-ce que c’est ma mère qui a fait ce dessin ?
– Mais Ken... Où as-tu trouvé ça ?
– C’est Lora qui l’a trouvé dans une boîte cachée sous ton lit.
– Oh oui... Après leur décès, j’avais gardé tous leurs souvenirs. Depuis le déménagement, je n’ai pas eu le temps de tous les organiser. En voyant que tu avais des difficultés à surmonter ton deuil, je ne croyais pas que ce serait une bonne idée de te les montrer.
– Je comprends...
Les yeux toujours rivés sur le dessin, Elena affichait un sourire mélancolique puis, elle bredouilla :
– Maria...
Elle posa sa main sur sa bouche en pleine émoi et reprit son inspiration en reniflant un coup, elle déplora :
– Je me souviens de ce dessin … C’est bien ta mère qui l’a fait... et pour une raison qui me déchire encore le cœur...
Ken réalisa qu’il ne se rappelait pas de l’avoir déjà vue aussi émotive. Il su manifestement qu’il réveillait des souvenirs familiaux tristes et sombres, conscient que cela pouvait être pénible de raviver ce lourd passé. Pourtant, il savait qu’il n’avait pas le choix de continuer l’investigation. Il voulait absolument comprendre ce qui le rongeait depuis trop longtemps. C’est donc avec compassion qu’il demanda calmement à sa tante :
– Pourquoi ma mère aurait-elle dessiné ça ?
– Elle voulait se protéger...
– Se protéger de quoi exactement ?
– Ta mère a toujours eu une grande ouverture d’esprit ... Elle s’intéressait beaucoup à tout ce qui était lié à l’astral. Et puis, il y a eu un moment dans sa vie où elle s’est mise à pratiquer de plus en plus la méditation. Et je me rappelle que ce dessin était son guide pour l’aider à surmonter les moments les plus difficiles. Elle me disait que la méditation lui permettait d’élever sa conscience.
– Je vois... Mais pourrais-tu m’expliquer un peu plus de quoi elle voulait se protéger et y aurait-il un lien avec cette photo ?
Ken lui montra alors la photographie avec l’homme qui lui était inconnu. Elena sécha ses larmes avec le dos de sa main.
– Je me souviens de ce petit garçon et je crois qu'il s'appelait Curtis...
Elle fit une pause... et lorsqu’elle dévisagea l'inconnue de la photo, sa voix devint sombre, puis elle finit par dire pleine de rancune :
– Curtis était le fils de Bill, l’homme avec le chapeau, un ami de ton oncle...
– Et que sont-ils devenus ? Je n’ai aucun souvenir de les avoir connus.
Elle inspira profondément afin de se préparer mentalement à divulguer des éléments du passé que Ken attendait avec impatience.
– Cette photo a été prise en 1990, un an avant ta naissance. Et la dernière fois que tu les as vus, tu n’avais que quatre ans...
Elle prit une courte pause et reprit en ayant le sentiment de revivre ce qu’elle s’apprêtait à partager.
– Ton oncle, Christophe, avait une attirance particulière auprès des sciences occultes. Ta mère, Maria, et ton père, Thomas, l’avaient sans cesse prévenu de prendre ses précautions, mais malheureusement, il était très têtu. Un soir, en 1993, tes parents avaient invité Christophe et son ami Bill pour un souper à la maison et c’est dans cette soirée-là que tout a changé ou du moins que tout a commencé.
Les yeux écarquillés et troublés, Ken resta attentif à la suite de l’histoire.
– Ta mère m'a dit que Bill avait influencé ton oncle à faire de la magie noire dans le sous-sol de tes parents. Mais un jour, il est allé beaucoup trop loin dans son expérience. Depuis ce temps, d'étranges phénomènes se sont produits dans votre ancienne maison. Ta mère a vécu dans la frustration et l'angoisse face à l'insouciance de Bill et de ton oncle. Je pense que c'est depuis ce temps-là, qu'elle a commencé à prier et à méditer plus que jamais pour se protéger, ton père, mais surtout ton frère et toi.
Ken était sous le choc de cette révélation.
– Qu'est-ce qu'il faisait exactement avec la magie noire ?
– Je ne suis pas sûre... invoquer des esprits, je suppose ?
– Penses-tu que cela pourrait être un esprit démoniaque qui a assassiné mes parents et mon frère ? lui demanda-t-il avec inquiétude.
– Je ne peux pas te le dire avec certitude… Mais rien que d'y penser me fait frissonner…, répondit-elle en haussant les épaules. Deux ans plus tard, tes parents ont mis fin à la relation qu’ils entretenaient avec ton oncle et son ami Bill. C’est d’ailleurs la dernière fois que je les ai vus. Mais depuis ce temps, je n’ai même pas osé reprendre de leur nouvelle. J’ai préféré ignorer toute cette histoire … finit- elle par ajouter.
Abattu Ken dévisagea sa tante, il prit un moment pour assimiler cette déclaration.
– Donc, la raison pour laquelle tu as décidé de déménager, est-ce parce que tu te sentais anxieuse de vivre proche de mon ancienne maison après tous ces phénomènes passés ?
Elle acquiesça de la tête avec amertume. Elle se tourna vers Ken afin de le serrer contre elle par consolation, mais les yeux rivés au sol, Ken resta abasourdi par cette vérité.
– Pardonne-moi Ken... je ne voulais que te protéger... Étant ta tante et ta marraine, je veux tout faire en mon pouvoir pour que tu aies le meilleur environnement et que tu sois le plus heureux possible, larmoya-t-elle.
Ken tourna finalement son attention vers elle. Ses traits s’adoucirent par compassion et il se laissa enlacer par cette dernière afin de soulager leur peine. Malgré tout, Ken tenta de relier tous ces événements. Sa tante lui avait donné beaucoup d’informations à réfléchir, mais il savait qu’il manquait encore des éléments essentiels. La cause de la mort de ses parents restait un mystère ; ce qui était advenu de son oncle et du mystérieux Bill également. Ken comprit que sa tante lui avait dévoilé tout ce qu’elle pouvait. C’était également évident pour lui qu’elle tenait à ne plus revivre cette tristesse et la peur qu’elle avait vécues.
Le lendemain, en début d’après- midi, lors de la pause, Ken était assis à son bureau avec la tête posée contre sa main, absorbé dans ses pensées. Brendan arriva à côté et tira la chaise voisine vers lui pour s’asseoir face au dossier en appuyant ses bras au-dessus.
– Hey mon amigo! Ça va ?
Ken souleva sa tête en regardant Brendan inexpressif.
– Ça pourrait aller mieux…
– Oh... tu veux en parler ?
– Je ne préfère pas…
Brendan fixa avec compassion Ken et réalisa que son intuition à son sujet était bien réelle. Ce dernier cachait effectivement quelque chose de lourd. Sa curiosité prit alors le dessus et en tentant de ne pas être trop insistant, il dit à voix basse en approchant sa chaise vers Ken :
– Tu sais Ken, je sais qu’il y a quelque chose qui te tracasse depuis longtemps. Tu peux me faire confiance, et me dire ce qui ne va pas ?
– Je ne suis pas prêt à en parler ouvertement, c’est tout…
– Je comprends, fit Brendan d'un air déçu.
La cloche sonna annonçant le début des cours. Brendan se leva, remit la chaise en place et retourna à son bureau en avant de la classe proche de la porte. En s’assoyant, il jeta un dernier coup d’œil vers Ken, puis laissa échapper un court soupir. Il espérait qu’un jour, Ken soit capable de s’ouvrir à lui. Zoé entra dans la classe souriante et marcha directement à côté de Brendan.
– Salut! Comme j'ai pu le voir, tu t'es finalement réconcilié avec Ken ?
– Ouais... mais il a réellement quelque chose qui ne va pas chez lui et il ne veut rien me dire …
– Je vois, mais n’abandonne pas, donne-lui une chance, cela ne fait pas très longtemps que vous êtes amis. Il faut juste lui montrer qu’il n’est pas seul, ajouta Zoé calme et compréhensive. Accompagnée d’un petit sourire, elle posa sa main sur l’épaule de Brendan pour lui montrer son soutien. Puis, s'assied à son bureau à quelques pupitres derrière celui-ci. Brendan se retourna vers Zoé et lui échangea un sourire complice.
Le soir même, Ken était dans sa chambre en train de faire ses devoirs avec Miko endormie sur son bureau. Soudain, il entendit sa tante se disputer avec un homme ; les voix semblaient provenir de la cuisine. Alerté par les cris, il sortit de sa chambre et remarqua ses deux cousines assises sur les marches en train d’épier la scène.
– Qu’est ce qui se passe ? leur demanda Ken à voix basse, en se penchant à leur niveau.
– C’est papa… Il est fâché contre maman… répondit avec tristesse la jeune Sonia.
– Votre père est là ? s’étonna Ken.
– Oui, il est venu nous voir, puis maman nous a dit d’aller dans nos chambres et ils ont commencé à se chicaner… fit Lora affligée.
Ken se redressa puis descendit les escaliers doucement. Il s’empara d'un crayon et d’un bout de papier qui se trouvaient sur la petite table d’entrée et laissa un mot pour sa tante. Il fit ensuite signe aux filles de le suivre à l’extérieur.
– On va où ? s’enquit Lora.
– Au parc. Vous n’avez pas à rester ici et être témoin de tout ça.
Sans plus tarder, elles se précipitèrent hors de la maison, toutes heureuses de profiter d'un moment avec Ken.
Arrivés au parc, Sonia courra immédiatement vers l’aire de jeux pour s’amuser dans le toboggan, tandis que Lora suivi Ken jusqu’aux balançoires.
– Je suis désolé que vous deviez vivre cela… Nous n’avons pas une famille facile … pensa Ken.
– C’est correct, j’aime mon papa, mais il ne dit pas toujours des choses gentilles à propos de toi et de ta maman… avoua-t-elle.
– Cela ne m’étonne pas. Ils nous trouvent fous c’est ça ?
Lora hocha la tête attristée.
– Depuis le temps que je le connais, il n’a jamais voulu se donner la peine de comprendre notre situation.
– Si tu es fou, alors moi aussi ! proclama Lora avec assurance.
Ken ne put s’empêcher de sourire.
– C’est de famille, plaisanta- t-il.
Lora ricana amusée.
– Hey vous venez ! cria Sonia assis en haut de la glissoire, leur faisant signe de venir la rejoindre.
Lora sauta de la balançoire, prit la main de Ken et l'entraîna avec elle.
Pendant ce temps, la voiture d’Elena s’arrêta à l’entrée du parc. Elle marcha jusqu’au banc face aux jeux et fut rassurée en voyant Ken se divertir et rigoler avec ses filles.
En haut de la glissade, Lora et Sonia prirent place devant Ken pour former un train avant la descente.
– Vous êtes prête ? leur demanda-t-il en préparant son élan.
– Oui ! s’écrièrent-elles en chœur.
Ils glissèrent à grande vitesse, puis arrivés en bas, ils se jetèrent sur le sable.
– Encore ! jubila Sonia en se levant d’un bond.
C’est alors qu'ils remarquèrent la présence d’Elena qui les surveillait gaiement. Ken se leva et secoua le sable collé sur ses vêtements et alla s’asseoir à ses côtés. Il laissa ses cousines retourner s'amuser dans les jeux.
– Merci Ken de prendre soin d’elles, fit Elena reconnaissante.
– C’est la moindre des choses. Sinon ça va ?
– Ce n’est pas facile, je ne te le cacherai pas.
– Pourquoi il est revenu ? Je croyais qu’il ne voulait plus rien à voir à faire avec notre famille ?
– Il voulait garder les filles plus longtemps avec lui, il est convaincu que je vais leur inculquer une mauvaise influence par rapport au surnaturel. Tu le sais comment ? Il n’a jamais respecté ta mère à ce sujet. Pour lui, tous ces évènements n’ont rien de paranormal, que tout était dans sa tête et qu’elle devait aller en thérapie.
– J’y pense… La fois où ma mère est venue nous porter chez toi avec mon frère en disant qu’il y avait une énergie démoniaque dans notre maison, est-ce que c’est à ce moment-là qu’il t’a laissé ?
– Il est toujours mon mari, mais oui effectivement cette situation a été l’élément qui a brisé notre relation. Je n’ai jamais réussi à le convaincre.
– Est-ce la raison pour laquelle tu as décidé de déménager finalement ?
– En partie oui …J’avais essayé de lui tenir tête pendant toutes ces années, mais il était finalement mieux pour nous de faire une pause. Je devais me concentrer sur ton bien-être et celui des filles, tant que j'en ai la garde. On verra ce que cette année nous réserve. Il a tout de même promis aux filles qu’il les verrait ce Noël pour le souper.
Ken comprenait mieux la situation difficile dans laquelle sa tante se trouvait. Le drame dans sa famille lui a coûté son couple. Elena percevait sa culpabilité.
– Ken ne t’en fais pas pour moi. J’ai fait le choix de te prendre sous mes ailes. Tu le sais comment j’étais proche de ta mère et tu es si important aux yeux de mes filles.
Ken lui échangea un sourire discret.
– Je suis heureuse de voir enfin un sourire sur ce visage, fit-elle touchée, je suis désolée de ne pas en savoir plus sur la mort de tes parents… finit-elle par ajouter consternée.
– T’inquiète pas, je sais que je vais le découvrir tôt ou tard.
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