6. L’esprit perdu
La théorie du bonheur était le sujet principal du jour pendant le cours d’éthique. Le nez dans ses notes, concentré, Ken essayait de saisir le sens des mots du professeur. C’était un sujet qui l'interpellait vraiment beaucoup ; plus il essayait d’interpréter le sens du bonheur, plus il s’enfonçait dans ses pensées. Il imagina le gratte-ciel que sa mère avait dessiné. Il fit référence aux mots qui furent écrits et réalisa comment il avait surmonté certaines de ces émotions. Il se demanda alors si tout ça n’avait pas une corrélation avec ces phénomènes étranges et les synchronicités dont il a été témoin. Ou si cela fut simplement des signes pour l’aider à trouver le chemin du bonheur, afin de vivre en paix, tout comme sa mère a voulu l’atteindre grâce à la méditation. Ses idées furent soudainement interrompues lorsque des murmures indistincts retentirent autour de lui. Les murmures s’intensifièrent, puis une voix résonna en écho en l’appelant par son prénom. Il tourna la tête dans la direction où il crut entendre la voix, mais tous les élèves avaient leur attention rivée sur le tableau. Désorienté, il baissa les yeux vers ses notes pour l’ignorer, mais la voix devint plus insistante et elle se clarifia. Déconcerté, Ken finit par reconnaître celle de son frère Samuel. Elle devint si présente que son visage se crispa et il se serra la tête d’une main pour la faire taire. C'était réellement éprouvant pour Ken d’entendre à nouveau son frère.
Le temps passa et lorsque la cloche sonna annonçant la fin des cours, Ken se précipita hors de la classe. Inquiet, Brendan s’empressa de prendre ses livres sur son bureau et courut le rejoindre, mais il le perdit de vue. Il arrêta sa course en laissant échapper un soupir découragé.
Ken s’aventura d’un pas rapide dans le couloir les yeux rivés au sol. Il ressentit soudainement une forte présence devant lui, comme si quelqu’un l’observait au bout du couloir. Il regarda devant lui et vit effectivement la silhouette de son frère entouré d’une brume grisâtre. Ken s’arrêta brusquement et n’en croyant pas ses yeux, il recula de quelques pas. Il se tourna rapidement et bouscula Blair qui marchait dans sa direction. D’une voix tremblante, il s’excusa. Elle l’observa attentivement en remarquant une frayeur et une tristesse dans le regard de celui-ci. Quelque chose se réveilla en elle. Sur le point de lui répondre quoi que ce soit, Ken recula encore plus déstabilisé et s’éclipsa dans les toilettes des garçons juste à côté d’eux.
Debout devant le miroir, Ken prit de grandes respirations afin de calmer ses émotions. Tout à coup, le reflet de son frère apparut dans la glace, debout devant une cabine de toilette. Ken tourna la tête rapidement vers son frère et ce dernier, lui transmit par la pensée d’une voix mélancolique :
– S’il te plait Ken, aide- moi…
– Mais, je… je ne comprends pas… répondit Ken en bégayant, embrouillé par une immense tristesse qui remontait à la surface.
La porte de la salle de bain s’ouvrit lentement. Blair passa la tête et balaya des yeux les alentours en quête de Ken. Elle le trouva finalement déprimé, recroquevillé sur le carrelage froid devant les lavabos. Hors des regards des autres étudiants passant dans le couloir, elle entra dans les toilettes des garçons et s’assied à côté de Ken.
– Je sais que tu as vu quelque chose de bouleversant, dit Blair avec perspicacité.
Ken leva légèrement la tête, les yeux en larmes.
– Je sais ce que j’ai vu, et je ne suis pas fou… C’était si réel… larmoya-t-il désespérément.
– Je sais Ken, tu es loin d’être fou. Juste, dis-moi ce que tu as vu? lui dit-elle calme et rassurante.
Mais Ken resta silencieux. Elle finit par ajouter pour être encore plus convaincante :
– Je veux juste que tu saches que peu importe ce que tu as vu, dis-toi que je peux me mettre à ta place. Plus tôt, j’ai vu l’angoisse dans tes yeux… Je me suis vue en toi… Tu m’as fait revivre des émotions que j’ai déjà vécues lorsque j'étais enfant.
– Que veux-tu dire…? répondit finalement Ken ayant toute son attention tournée vers Blair.
– Je n’avais que six ans, lorsque j’ai vu ma mère s’enlever la vie devant mes yeux.
– Je suis désolé…
Blair lui raconta alors son histoire. Elle baissa son regard vers le sol carrelé noir de la salle de bain et replongea dans le souvenir de son enfance traumatisée. Elle vit du sang couler sur le carrelage maintenant devenu blanc. Elle suivit du regard l'endroit d’où provenait la traînée de sang. Sa mère se tenait debout devant le miroir au-dessus du lavabo, fixant son reflet. Elle avait le regard vide, un teint pâle et décharné. Blair se revit alors âgée de six ans, dans l’embrasure de la salle de bain, observant sa mère, horrifiée. Celle-ci posa sa main sur le miroir et laissa une trace de sang. Un vent glacial envahit la pièce, puis sa mère poussa un cri strident de souffrance. Elle s’écroula violemment de tout son poids au sol, inerte.
Ken regarda Blair déconcerté et à la fois surpris par cette déclaration qui lui rappelait son propre passé. Blair finit par dire :
– Je sais qu’elle était dictée par une force diabolique bien présente… elle n’était pas elle-même …
Ken resta sans mot et un sentiment de compassion s’exprima sur ses traits atténués. Blair se tourna à nouveau vers lui en le regardant profondément.
– Ken, je sais que tu as vu quelque chose… qui peut être dur à admettre… mais fais-moi confiance, je vais te croire, lui dit-elle avec sincérité.
Sa peine s’estompa en laissant place à un sentiment de paix intérieure. Toutefois, il ressentait un blocage qui l’empêchait de partager la tragédie de sa famille.
– J’ai vu l’esprit de mon petit frère… Mais je ne comprends pas la raison de ces apparitions… Il est si malheureux… avoua-t-il finalement.
– Comment est-il mort ton frère ?
– Il a été tué... par qui ou par quoi ? Je ne sais pas… C’est ce que je tente de comprendre. Mais ta situation me rappelle la mienne…
– Je comprends que ça peut être déstabilisant, j’en conviens que c’est une situation complexe. Mais tout ce que je peux te dire, c’est qu’il a juste besoin de toi.
– Je me sens impuissant… Je ne sais pas quoi faire pour l’aider… Mais toi, après ce qui s'est passé avec ta mère, comment as-tu été capable de surmonter tout ça ?
Blair se leva lentement et juste avant de franchir la porte, elle se tourna vers Ken avec un léger sourire.
– Reste fort Ken et ouvre les yeux. Tu verras qu’avec une plus grande ouverture d’esprit, tu auras tes réponses.
Elle quitta les toilettes et le laissa dans sa réflexion. Enfin, il ne ressentait plus autant ces émotions de désarroi et de tourment qui l'assaillaient. Cette discussion avec Blair lui a finalement ouvert une porte vers une meilleure compréhension pour faire face à son passé. Il sut qu’il était encore très loin d’obtenir une paix intérieure complète, mais il savait qu’il devait garder espoir.
Brendan et Zoé croisèrent Blair marchant en direction opposée. Ils l’interceptèrent aussitôt en lui demandant inquiets :
– Blair ! Aurais-tu vu Ken par hasard ?
– Oui je l’ai trouvé, mais ne t’inquiète plus, il va aller mieux dorénavant.
– Quoi, que veux-tu dire ? Tu as réussi à lui parler ?
Sans plus préciser sa pensée, elle continua son chemin et lui dit d'un simple salut de la main :
– Bye les amis, mon frère doit déjà m’attendre. À demain !
Brendan et Zoé la regardèrent s’éloigner, déconcertés.
– Ton amie est aussi mystérieuse que Ken… dit-il pour briser le silence.
– Oui, ça je te le confirme… Je vais essayer de lui parler et voir ce qu’elle sait.
– D’accord et tu me tiendras au courant.
Zoé lui sourit.
– Promis, répondit-elle en hochant la tête
Sur le point de quitter l’école à son tour, Brendan, de plus en plus charmé par son sourire, lui demanda hésitant :
– Zoé… Je voulais savoir si… ça te dérangerait que je t’accompagne, je crois bien qu’on habite dans le même voisinage ?
– Oh, c’est gentil, mais mon père vient me chercher aujourd’hui en voiture. Une prochaine fois peut-être.
– Oui pas de problème, je comprends. Alors bonne soirée et à demain, finit-il par dire en échangeant un dernier sourire.
En descendant les marches extérieures de l’école, Zoé aperçut au loin Blair qui attendait sur le bord de la rue. Sans hésiter, elle courra la rejoindre afin de lui demander ce qu’elle savait au sujet de Ken. Malheureusement, cette dernière n’osa rien divulguer. Zoé garda un air bête tentant de comprendre l’attitude distante de son amie, qui normalement était plutôt de nature joviale et lui disait toujours tout. Blair comprenait bien la déception de Zoé et à la minute où elle ouvrit la bouche pour lui répondre, une BMW luxueuse bleue, aux vitres teintées, s’arrêta en face d’elle. Blair s’interrompit brusquement,
– Mon frère est arrivé … Mais je t’appelle ce soir, promit Blair.
Elle lui échangea un léger sourire pour la rassurer, avant d’ouvrir la portière arrière et finalement la quitter, laissant Zoé perplexe.
Ken rentrait chez lui, quand soudainement, il eut un pressentiment que quelqu’un le suivait derrière lui. Il tourna la tête et remarqua Angie.
– Bonjour Ken ! dit-elle joyeusement.
Il lui répondit par un signe de la main et elle le rejoignit à ses côtés.
– Tu habites proche d’ici ? demanda Ken.
– Oui en quelque sorte.
– En quelque sorte ? Tu as un don pour répondre le plus vaguement possible …
– Je veux juste m’assurer que tu vas bien ? répondit-elle en lâchant un petit rire.
– Mais pourquoi te préoccupes-tu tant de moi ? On se connait à peine et d’ailleurs, je n’ai jamais compris ta motivation lorsque tu es venue me parler la première fois. Je ne sais rien de toi…
Sous ces derniers mots qui laissaient paraître une réelle frustration, il croisa le regard d’Angie et une forte énergie familière se fit ressentir.
– Mais j’ai cette puissante impression que je t’ai toujours connue… marmonna-t-il d'un ton apaisé.
Angie le contempla un moment en baissant légèrement son doux sourire, puis lui répondit en continuant de marcher paisiblement les mains derrière le dos :
– Pardonne-moi Ken si je te cause autant de confusion. Je peux voir que cela te tourmente beaucoup… mais je veux juste te faire savoir que je suis là pour toi.
Ken baissa son regard au sol, les mains dans les poches, il ressentait le besoin de partager avec elle ce qui le tracassait au sujet de son frère. Mais il ne savait pas par où commencer. Angie remarqua bien que Ken n'était pas très coopératif. Elle décida alors de se mettre droit devant lui, en interrompant sa marche, afin d’attirer son regard. Il s’arrêta abruptement, les yeux toujours rivés au sol, il fixa les pieds d’Angie.
– Ken regarde-moi, et dis-moi ce qui ne va pas.
Ce dernier leva enfin son regard et croisa celui d’Angie. Toujours un peu perplexe, il inspira lentement.
– Mon petit frère, Samuel, est mort tragiquement lorsque j’avais douze ans. J’ai alors cru que je ne le reverrai plus jamais… mais aujourd’hui, son fantôme est apparu devant moi… Mais il n’était plus le petit frère souriant et débordant d’énergie que j’ai connu… Il était malheureux et perdu. Il me demandait de l’aide et je ne sais pas quoi faire. Il essayait probablement de me faire passer un autre message, mais je n’ai pas su l'écouter, finit-il par lui dévoiler.
Toujours aussi attentive, Angie lui répondit de sa douce voix mélodieuse et pleine de sagesse :
– Tu sais Ken, la mort est un simple passage. Les âmes continuent de vivre. Par contre, le choc de la mort imprévue, beaucoup plus fréquente qu’on ne le croit, projette l’âme dans un tourbillon affolant, rendant le passage vers l'au-delà plus difficile et il peut se sentir bloqué. D’ailleurs, plus ton esprit est envahi de choses, plus tu as d’attentes, plus ta douleur est grande et plus tu es sourd et aveugle. Il faut que tu ouvres ton cœur et que tu te laisses aller par ton ressenti et ton imagination.
Attentionné aux paroles d’Angie, Ken resta épaté par toutes ses connaissances qu’elle sut lui partager. Ces mots lui rappelaient ceux de Blair. Une grande gratitude s’exprima alors sur son visage. Il ressentit à cet instant, ce même sentiment qu’il avait éprouvé avec cette dernière, un apaisement intérieur et la joie d’être enfin compris. Angie se rapprocha lentement du visage de Ken, puis l’examina minutieusement.
– Qu’est-ce qu’il y a… ? s'enquit Ken gêné.
– Ah ! Je perçois enfin une lueur dans tes yeux ! s’exclama-t-elle très satisfaite en reculant d’un pas avec un grand sourire. Ken ne put s’empêcher de laisser échapper un petit rire. Il commençait à saisir l’attitude si enjouée de celle-ci et étonnamment cela lui plaisait. Il réalisa à quel point elle avait la capacité d’affecter positivement son humeur et son bien-être.
– Merci Angie, dit-il reconnaissant.
Ce moment s'interrompit lorsque Brendan arriva en vélo derrière Ken.
– Enfin je te retrouve ! lui cria son ami, mais il fut aussitôt attiré par la chaleureuse présence d’Angie, Oh, mais bonjour ma belle demoiselle ! ajouta-t-il d’un ton solennel.
Angie ne put s’empêcher de ricaner face à son interlocution. Ken regarda du coin de l’œil Brendan s'interrogeant sur sa grande politesse raffinée soudaine, mais voyant bien que ce dernier dégageait une grande envie de lui faire plus ample connaissance, il finit par faire les présentations :
– Je te présente Angie.
– Enchanté de faire ta connaissance Angie, moi c’est Brendan, répondit-il avec grande courtoisie.
– Enchanté Brendan ! lui dit-elle amusée.
C'est avec son plus grand sourire charmeur, qu’elle leur souhaita une bonne soirée et prit congé d’eux en prenant direction opposée. Ken reprit le pas, suivi de Brendan marchant à côté de son vélo.
– Mais dis-moi, vous vous connaissez depuis longtemps ? demanda curieusement Brendan.
Ken réfléchit un moment.
– Depuis la dernière fois, que nous l’avons vu tous les deux à l’entrée de l’école.
– Sérieusement ! Et tu ne me l’as pas dit !
– Je n’en ai pas vraiment eu la chance tout simplement.
– Et puis raconte - moi, il y a bien quelque chose entre vous ?
– Que veux-tu dire ?
– Je me pose la question, car avec tout le charme et l’intérêt qu’elle dégageait envers toi, c’est certain qu’il y a quelque chose entre vous.
Malgré le ton convaincant de Brendan, Ken resta incertain par la remarque de ce dernier.
– Vraiment Ken ? Allez, arrête de faire l’innocent, s’exclama Brendan.
Ken baissa son regard étant lui-même confus de ses réels sentiments envers Angie. Il s’interrogeait toujours sur la véritable motivation pour laquelle celle-ci l’a interpelé la première fois. Il finit par dire en rougissant légèrement :
– Je ne crois pas non…
Brendan déposa une main sur l’épaule de Ken et lui dit d’un ton compatissant laissant paraître un air désespérer :
– Mon cher Ken… Tu as beaucoup à apprendre en ce qui concerne l’amour… Il faut que tu apprennes à ouvrir les yeux et voir les signes, parfois c’est flagrant.
Le regard toujours rivé au sol, les mains dans ses poches et embarrassé par cette discussion, il avait la conviction qu’il devait donner raison à Brendan. Mais ses sentiments étaient encore ambigus vis-à-vis Angie, car celle-ci lui laissa paraître un amour beaucoup plus fort que ce qu’il a déjà connu auparavant. Brendan reprit un ton plus sérieux et en profita pour lui dire :
– Pendant que j’y pense… Je me suis vraiment inquiété pour toi plus tôt en classe… Je me questionne réellement pour quelle raison tu es parti aussi rapidement après les cours… Et apparemment tu aurais parlé à Blair, mais elle nous a rassurés que tu allais bien…
Ken resta silencieux. Il se demanda si Blair lui avait tout raconté.
– Ken, est - ce que tout va bien ?
– Elle t’a racontée quoi d’autre ?
– Quoi ? Mais rien honnêtement, elle a juste dit que tu irais bien maintenant. Mais ça ne veut rien dire pour moi, donc je te pose directement la question.
– Elle a raison.
– Heureux de savoir que ça va mieux maintenant. Mais je sais qu’il y a autre chose qui se passe ? le questionna Brendan hésitant.
– C’est compliqué...
– D’accord, pas de soucis, alors je ne t’embêterai plus avec mes interrogations.
Ken s’arrêta devant sa maison :
– Je suis arrivé chez moi, on se voit demain, lui dit-il calmement.
– À demain et reste fort ! lui répondit Brendan optimiste. Ken lui sourit à son tour, appréciant son soutien moral.
Durant cette nuit, Ken ne trouvait pas le sommeil. Il alluma sa lampe de chevet et son regard tomba sur le dessin de sa mère qu’il avait toujours gardé précieusement sur sa table de nuit. Après l’avoir observé un moment, il eut envie de faire de la méditation comme sa mère avait l’habitude de faire dans les moments les plus difficiles. Il prit la posture du lotus : les jambes croisées, pied droit sur la cuisse gauche et le pied gauche sur la cuisse droite, la position la plus clichée en méditation. Mais à peine quelques secondes écoulées qu’il ne se sentit pas du tout à l'aise dans cette position en plus de la trouver assez inconfortable. Ken déplia ses jambes et se laissa tomber sur son oreiller en lâchant un soupir. Il décida à cet instant d'opter pour une technique simple et de rester bien allongé sur le dos. Il positionna ses bras de chaque côté de son corps et il prit trois grandes inspirations profondes et régulières. Il se laissa bercer par le rythme de sa respiration. À chaque expiration, Ken réussissait à laisser partir ses doutes, ses peurs et ses préoccupations. Il sentit son corps se détendre parfaitement. Il ressentit soudainement une chaleur sur sa poitrine et une pression sur chacun de ses bras. Des murmures traversèrent ses pensées, mais Ken se força de ne pas les faire taire. Une forte énergie s'emparer de lui à travers ses jambes, puis la chaleur devint intense. Soudain, il reconnut les voix devenues plus distinctes, celles de sa mère et son père. D’une oreille attentive, il entendit sa mère lui murmurer quelque chose. Puis de l’autre, c’était au tour de son père. Mais Ken avait du mal à déchiffrer et à trouver un sens à leurs messages. Ses pensées s’embrouillèrent et il oublia leurs propos.
Pendant que Ken continuait de respirer doucement, une lumière brillante descendit vers lui. L’énergie devenant trop forte à gérer, il n’arrivait plus à se concentrer, il ouvrit les yeux rapidement. C’est alors qu’il aperçut une magnifique boule de lumière vive s’évaporer sous son regard ébahi. Surpris, il se jeta hors de son lit, mais trébucha au sol après avoir eu le pied coincé dans ses draps. Ken resta assis sur le plancher emmêlé dans ses couvertures, ahuri par ce qu’il avait vu. Tout à coup, une voix lui dit : « Regarde… » Ne sachant pas où porter son attention, une buée blanche, comme de la vapeur, attira son regard au pied de son lit. Cela ressemblait au contour vague d’une personne. Elle devint plus claire et plus distincte à mesure qu’elle s'approcha. Ken reconnut la forme et la démarche de son frère. Celui-ci fit trois autres pas vers lui, sortant complètement de la brume. Ken se libéra des draps et se leva en titubant, hypnotisé par la présence de son frère. Sous le choc, il ne trouva pas ses mots et resta debout face à lui ému.
– Ken, je n’arrive pas à rejoindre maman et papa… larmoya son frère Samuel désespéré.
– Sam, qu’est-ce qui t’es arrivé ? déplora-t-il en avançant d’un pas.
Le visage du jeune garçon se crispa par une profonde tristesse et effroi. Il fuyait son regard et semblait hésiter à prononcer quoi que ce soit.
– Je ne suis pas sûr… Tout est arrivé si vite. La dernière chose dont je me souviens, j’étais dans le salon et après avoir entendu crier maman et papa, j’ai couru les voir dans la cuisine… Sam pausa.
Ken remarqua qu’il semblait terrorisé de lui relater en détails la suite de son histoire.
– J’ai vu tout noir, et je me suis senti perdu … finit-il par ajouter d’une voix effrayée.
Une envie insaisissable voulant toucher son frère s’empara de Ken. Il fut toutefois persuadé que cela fut peine perdue, mais une foi monta en lui et d’une main tremblante, il la déposa sur l’épaule de Samuel. Surpris de réellement la sentir sous sa main, Samuel tourna ses yeux vers sa main, lui aussi épaté par son toucher. Une chaleur émana de celle-ci et transperça toute l’âme de Samuel. Éploré, Ken serra son frère contre lui.
– Sam, pardonne-moi… Je n’ai pas su comment être à l’écoute, lui dit-il.
– je ne t’en veux pas.
Ken laissa couler une dernière larme, puis il tenta de reculer d’un pas afin de se redresser après ce long enlacement, mais il fut retenu par Samuel. Ce dernier lui chuchota d’une voix frémissante:
– Je dois te prévenir de quelque chose. Il est toujours là… Et il est très puissant… fais attention.
Ken écarquilla les yeux, ne voulant pas croire à ses paroles venant de lui si subitement. Il eut ce profond pressentiment qu’il faisait mention au diable qui serait la cause de tous leurs malheurs.
– Sam, que veux-tu dire ?
– Il est le mal. Je l’ai vu…
– Tu l’as vu !
– J’ai tout vu Ken… mais je dois y aller maintenant.
Samuel recula tranquillement dans un brouillard.
– Non Sam ! Ne me quitte pas, le supplia-t-il de rester en tentant d’attraper son bras.
– Tu ne peux plus me retenir Ken … Je dois y aller.
Ken observa son frère s’éloigner avec désolation, mais remarqua soudainement le visage de ce dernier rayonnant de sérénité. Une lumière douce se répandit dans la chambre. Ken put voir enfin la paix émaner de l’âme de son frère. Il réalisa son attachement égoïste et accepta avec un sourire de reculer lentement et de le laisser aller. Samuel lui dit alors par la pensée :
– Merci beaucoup, mon frère pour ton écoute. Je crois être capable de rejoindre maman et papa. Je me sens mieux maintenant après t’avoir parlé.
Puis, Samuel disparut dans un nimbe de lumière, laissant Ken figé de stupeur dans un silence profond. Une voix douce et familière traversa son esprit : « Je suis fière de toi Ken …ta vibration s'élève peu à peu. Tu peux enfin comprendre que les âmes sont très vivantes au ciel… tout amour est énergie… » Ken assimila ces paroles et tenta d’y mettre un sens, mais soudainement ses paupières devinrent lourdes.
– Angie…? S’interrogea -t-il en sombrant lentement dans un profond sommeil.
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