9. Un Noël blanc

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À la fin des cours, Ken était seul dans la classe ; Il n'était pas pressé de partir. Songeur, il regardait la neige tomber par la fenêtre, hypnotisé par les flocons. Malgré toutes les réponses qu’il avait obtenues, son cerveau tentait inévitablement de faire le lien entre sa famille et celle de Curtis. Brendan survint à ses côtés interrompant ses rêveries.

– Hé ! Te voilà ! Mais qu’est-ce que tu fais encore là ? C’est les vacances de Noël ! lui dit-il enjoué.

– Je sais… J’avais juste besoin d’un petit moment avant de quitter la classe, répondit Ken mélancolique, ne partageant pas cette réjouissance.

Brendan comprit sa tristesse et compatit.

– C’est en lien avec ta famille, n’est-ce pas ? Je suis vraiment désolé…

– Ça va … ce n’est jamais évident de surmonter ça, malgré toutes les réponses que je connais…

Ken se retourna et son regard croisa ceux de Zoé, qui attendait patiemment Brendan à l’extérieur de la classe.

– Je vois que tu t’es beaucoup rapproché de Zoé.

– Oui en quelque sorte, répliqua fièrement Brendan.

– Promets-moi une chose : laisses-la hors de tout de ça.

– Que veux-tu dire ?

– Promets-moi Brendan de ne jamais l’impliquer en ce qui concerne ma vie, insista Ken en lui lançant un regard sérieux.

– Promis… bredouilla Brendan confus, pris au dépourvu par cette demande soudaine.

Ken quitta finalement la classe, en passant devant Zoé ravi de le voir :

– Salut Ken ! Comment vas-tu ?

– Ça va, lui répondit-il secrètement d’un sourire dissimulé.

Soucieuse, celle-ci dit à Brendan qui arriva à ses côtés:

– Je vois qu’il va un peu mieux moralement, mais il me parait encore tourmenté. J’espère vraiment pouvoir l’aider plus que ça…

– Je sais… Mais il serait préférable qu’on ne se mêle plus de sa situation. On ne peut malheureusement rien y faire, simplement rester à ses côtés et être là pour lui.

– Oui, si tu le dis… marmonna-t-elle déçue.

Sous de gros flocons de neige, dans l’ambiance des fêtes très présente dans le quartier, ce fut un grand défi pour Ken de se rendre chez lui. Entendre ses pas dans la neige provoqua l’éveil de ses sombres souvenirs le soir de la tragédie. Sa respiration s’accéléra. Il fut absorbé dans ses réminiscences morbides et son anxiété prit le dessus. Les rires des enfants s’amusant dans la neige se transformèrent en cris horrifiés à ses oreilles. Son cœur cogna plus fort dans sa poitrine. Il éprouvait à nouveau cette sensation de rester bloqué dans ses vieux tourments. Aussitôt qu’il aperçut la maison de sa tante à quelques mètres de lui, il accéléra le pas et franchit la porte en s’empressant de la refermer derrière lui. Toujours envahit par une angoisse incontrôlable, la respiration saccadée, il avança vers les escaliers et remarqua du coin de l’œil, sa tante, en train de décorer le sapin avec ses cousines. Concentrée à poser une guirlande, Elena s’exclama joyeusement:

– Enfin tu es de retour, tu veux nous aider avec le sapin ?

Sans se remettre en question sur ses émotions, si c’était de la frustration ou de la tristesse qu’il ressentait à la vue de l'arbre décoré, il monta rapidement jusqu’à sa chambre. S’attendant à une réponse de la part de Ken, elle se tourna vers les escaliers et sous son étonnement, elle entendit un claquement de porte. Cette fois-ci, elle décida de le laisser seul.

Pris d’une crise de panique, Ken se tenait dos à sa porte. Il ressentait une sensation d’étouffement, un serrement au niveau de la poitrine. Il s’empressa d’enlever son manteau et son sac à dos, puis les jeta par terre. Soudain, son chat Miko jaillit de dessous le lit enjoué, en poussant avec ses pattes une grande plume blanche. D’un regard ambigu, le souffle coupé et les yeux inondés de larmes, il se pencha pour ramasser cette promesse d'espoir. Il la serra ensuite contre son cœur en s’allongeant sur son lit. Il se concentra sur sa respiration en la gardant lente et profonde. Miko sauta sur le lit en ronronnant, puis s’étendit près de son visage. Il parvint à se calmer grâce à cette étrange énergie qui émanait de cette plume et l’affection de son chat. En se focalisant sur le ronronnement et sur ses inspirations, il entendit sa porte s’ouvrir lentement. Son attention fut attirée par Lora qui se tenait sur le seuil de la porte. Après un dernier grand soupir, il se redressa en cachant la plume sous son oreiller. Hésitant à rentrer dans la chambre, elle resta dans l’entrebâillement et balbutia :

– Ken…est-ce que… ça va ?

– Maintenant oui… je vais un peu mieux.

– D’accord, parce que tu es parti si vite en nous ignorant, répondit-elle en s’avançant tranquillement vers Ken les mains derrière le dos.

– Oui je sais… Vraiment désolé … J’avais besoin de me retrouver seul un moment. J’éprouve juste beaucoup de difficulté à gérer mes émotions depuis que le temps des fêtes approche…

– Je sais… dit-elle d’une voix maintenant monotone en baissant son regard et son sourire. Ken s’assit sur le bord de son lit surpris par sa réponse.

– Lora que caches-tu derrière ton dos ?

– C’est ton cadeau…que j’ai fait pour toi.

– Un cadeau ? C’est gentil, mais Noël c’est dans quelques jours.

– Je sais, mais je veux vraiment te le donner maintenant…

Elle déposa un dessin dans ses mains. Il fut fasciné de voir un ange aux grandes ailes déployées.

– C’est toi… lui dit-elle.

– Tu m’as représenté par un ange ? répondit Ken avec stupeur.

Lora hocha la tête, puis d’une voix lugubre, elle déplora :

– Ne meurs pas…

Frappé par ces mots, Ken se leva d’un bond et s’agenouilla face à elle. Il posa ses mains sur les épaules de la jeune Lora en larmes.

– Mais pourquoi dis-tu une telle chose ? Je ne vais pas mourir… dit-il de sa voix calme, mais stupéfaite.

Elle se jeta dans ses bras en sanglotant.

– Ne meurs pas… répéta-t-elle, complètement abasourdie.

Il trouva ça insensé venant de sa jeune cousine. Il la serra contre lui voulant apaiser sa peine et lui redemanda alors d’une voix presque tremblante :

– Lora… Pourquoi dis-tu une chose pareille ?

– Il est venu me dire… que tu allais mourir… larmoya-t-elle, appuyée contre sa poitrine.

– Qui ?

– Je ne sais pas…il est venu une nuit dans ma chambre. J’entendais juste une voix… Mais je me rappelle avoir vu une ombre… Et ça m’a fait peur…

– Quelqu’un était dans ta chambre cette nuit-là ! Et pouvais-tu reconnaitre cette voix ? s’exclama Ken perturbé en se retirant tranquillement de l’étreinte de Lora qui semblait inconsolable.

Lui tenant toujours les épaules, il scruta son visage à la recherche de son regard.

– C’était il y a quelques mois de ça…je crois que c’était la voix d’un garçon… Mais ma maman me disait que ce n’était qu’un cauchemar. Mais ça me paraissait si réel. Je ne comprenais pas pourquoi, jusqu’au moment où, je vous ai entendu discuter dans les escaliers. Et… j’ai compris que… ce n’était pas juste un cauchemar

– Et qu’est–ce qui t’a motivé à faire ce dessin ?

– J’avais tellement peur… Mais ce matin, j’ai eu une envie de vouloir dessiner un ange… Et pendant que je dessinais les ailes, j’ai pensé à toi, que tu étais cet ange… Que tu étais comme eux…et je me suis senti mieux.

Elle renifla un bon coup en essuyant ses larmes avec la manche de son chandail. Elle leva ses yeux pour croiser ceux de Ken qui la contemplait silencieusement.

– Est–ce que tu crois aux anges ? chuchota-t-elle calmement

Ken ne savait pas quoi lui répondre. Jamais il n’aurait cru que sa cousine pouvait être aussi perspicace. Après un bref moment de réflexion, en creusant dans sa mémoire, il récapitula tous les évènements qui lui avaient apporté des lueurs d’espoir. La rencontre de cette mystérieuse Angie, la découverte de cette plume blanche à plusieurs reprises et la fois où il a vu de ses propres yeux, cet orbe de lumière, veiller au-dessus de lui. Il enlaça une dernière fois sa cousine en la remerciant de son cadeau. Il leva ensuite le dessin sous ses yeux et ses traits s’adoucirent.

– Oui… Je crois en eux, lui répondit-il enfin d’une voix basse et sereine.

Le matin de Noël, pendant qu’Elena préparait la présentation de la table avec l’aide de Ken, il remarqua qu’elle paraissait préoccupée. Il lui demanda alors curieusement, s’il va y avoir beaucoup d’invités ce Noël-ci ? Elle lui répondit, d’un ton irrité, qu’un couple de ses amis sera présent, puis s’interrompit soudainement, pour finalement retourner dans la cuisine. Ken fut saisi par son attitude. Il était convaincu que c'était contre lui. Pour en avoir le cœur net, il alla immédiatement la rejoindre. Ken l’observa frotter le comptoir avec vivacité, comme si elle cherchait à cacher sa colère.

– Est-ce que c’est à cause de moi si tu te sens comme ça ? demanda Ken.

– Quoi ? Oh bien sûr que non Ken. Je ne voulais pas te faire penser cela. Ce n’est pas toi, répliqua-t-elle d’une voix plus attendrie et désolée.

– Alors qu’est-ce qui se passe ?

– Mon mari…je veux dire mon ex-mari demande le divorce… Donc il ne viendra pas ce soir. Un premier Noël sans lui… Et je ne sais pas comment annoncer ça aux filles…

– Je suis vraiment désolé…

Ken fut attristé et contrarié par cette nouvelle. Il était conscient que depuis la tragédie, le mari d'Elena trouvait toute cette situation accablante au point d'avoir créé cette incompréhension et ce malaise dans la maison. Donc apprendre qu’il demandait le divorce le jour de Noël, il trouvait ce comportement méprisant. Avec beaucoup de compassion, il s’approcha alors de sa tante qui tordait le linge de vaisselle dans l’évier. Il posa sa main sur son bras, un toucher apaisant dont elle fut très étonnée.

– Merci, d’avoir toujours cru en nous et d’être restée à mes côtés, avoua-t-il avec toute sa reconnaissance.

Elena le contempla, touchée par ses paroles, puis un sourire ému se dessina sur son visage. Ils s’enlacèrent avec tendresse afin d’effacer toute cette amertume.

Pendant que Ken finalisait le placement des ustensiles sur la table, tapissée d’une belle nappe rouge vin, son regard fut soudainement attiré vers la grande fenêtre de la salle à manger. Entre les gros flocons qui tombaient, il remarqua une plume blanche, voleter devant ses yeux. Il la reconnut et ce même sentiment de gaieté et de quiétude l’envahit. Il sourit légèrement car, ce jour-là, il réalisa ce que cette plume signifiait réellement pour lui. Cela devenait maintenant quelque chose de naturel. En agençant trois petites statuettes d’anges au milieu de la table, qui représentait selon lui chacun un membre de sa famille, il marmonna paisiblement :« Joyeux Noël Maman, Papa et Sam… »

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