11. Un passé dans l’ombre

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Dans l’après-midi du 27 décembre, Ken allongé sur son lit, pensif, réalisa que, depuis la situation à l’église, quelque chose en lui avait changé. Il n’éprouvait plus cette lourdeur qu’il avait l’impression d’avoir trainée pendant tant d’années. En portant la main à son cœur, il ressentit une légère sensation de vide ; il lui manquait définitivement une partie de lui. Il regarda Miko couché paisiblement en boule à ses côtés et caressa son doux et chaud pelage. Ken était heureux que son compagnon bien aimé, ait été aussi épargné par cette tragédie et qu'il soit à ses côtés durant tout ce temps. Il pensa à Angie et se remémora les moments agréables passés avec elle. Il se faisait à l’idée, suite à la révélation de cette dernière, qu’il ne la reverrait plus, reléguant au passé les moments du bonheur vécus auprès d'elle. Il était persuadé que son cœur lui appartenait. Jamais, il n’avait ressenti autant d’amour envers une fille. Miko ouvrit ses yeux et Ken les contempla silencieusement, quand tout à coup, un déclic se fit dans son esprit : « Il y a quelque chose qui est resté là-bas. », susurra-t-il à son chat encore ensommeillé. Ken s’assit sur le bord de son lit et regarda les photos de sa famille sur sa table de chevet. Il jeta un dernier coup d’œil à l’édifice dessiné par sa mère, et le mot Paix se trouvant juste en dessous du mot Amour résonna profondément en lui. Il fut pris d'une forte envie de faire face à son passé. Il se dit alors avec grande assurance tout en prenant une bonne inspiration : « Je dois y retourner.»

Pendant que Ken attendait l’autobus, Brendan et Zoé sortirent d’un café en rigolant.

– Hey c’est Ken ! Mais où il va comme ça ? s’écria Zoé, en l’apercevant au loin prendre l'autobus.

Brendan remarqua que la ligne de bus passait par la ville de Torbay. Voyant la stupéfaction de celui-ci, Zoé lui demanda alors, perplexe :

– Vu ton expression, tu as bien l’air de savoir où il se dirige ?

– Je…enfin oui…

– Alors, allons-y !

– Non Zoé, on ne peut pas!

Malgré les tentatives de Brendan pour la décourager d'aller à l'ancienne maison de Ken, la curiosité de Zoé l'emporta.

– Mais, ce n’est pas toi qui as dit qu’il fallait être là pour lui et rester à ses côtés ? Je veux lui prouver qu’on peut lui apporter notre soutien dans ce qu’il vit, rétorqua Zoé les bras croisés, obstinée.

– J’ai dit non ... Laissons-le aller par lui-même. C’est mieux ainsi, répliqua Brendan voulant tenir sa promesse.

Zoé s’approcha de plus près en scrutant le visage de Brendan. Elle dégageait une attitude à la fois séduisante et intimidante. Il tentait de fuir son regard espiègle, tout aussi ensorcelant. Il voulait tenir sa parole et tenta à tout prix de résister à l'acharnement de cette dernière. Il réalisa à quel point elle pouvait devenir très persistante lorsqu’elle avait une idée en tête. Cependant, cela ne lui déplaisait pas. À ce moment-là, il tenait à prouver à Ken qu’il pouvait être un vrai ami pour lui. Malheureusement, Brendan ne réalisa pas à quel point, lorsque les émotions entraient en jeux, ça pouvait devenir assez fastidieux de tenir son bout.

– Aller… je sais que tu tiens vraiment à lui, insista-t-elle d’un ton manipulateur, toutefois charmeur.

Elle attira finalement son regard. Brendan roula les yeux désespérés, puis céda lamentablement.

– D’accord… ! lâcha-t-il.

– Je le savais ! Allez viens ! Le prochain arrive dans quelques minutes ! s’exclama Zoé avec enthousiasme.

Elle prit la main de Brendan et se précipita à l’arrêt pour ne pas manquer le prochain bus.

Ken débarqua de l’autobus et s’aventura au bout de la rue qui menait à un boisé profond. Il s’approcha de son ancienne maison toujours abandonnée, isolée au milieu d’un champ tout près de la forêt. Il marcha dans l’épaisse couche de neige jusqu’à l’entrée. Ken ouvrit lentement la porte. Aussitôt qu’il mit un pied à l’intérieur, un frisson lui parcouru le corps. Il ressentit toute cette énergie négative et froide en avançant à travers les décombres en direction du salon, poussiéreux. Il remarqua, au sol, des photos dans des cadres craquelés. Après avoir nettoyé la vitre avec sa main pour mieux examiner la photographie, il haussa les sourcils avec stupeur. Il ne pouvait pas en croire ses yeux. C'était une photo de lui âgé de deux ans, sur une balançoire avec sa mère derrière lui. Juste au-dessus de la tête de Ken, il pouvait voir une boule de lumière diffuse. Son regard fut ensuite attiré par un collier que sa mère portait. Il regarda de plus près la photo pour mieux l’analyser. Mais il éprouva du mal à déchiffrer les détails du bijou. Il pouvait seulement distinguer un pendentif avec une pierre de teinte orangée. Il se sentit très attiré par celle-ci, mais il n’en savait pas trop encore la raison.

Ken se dirigea, cette fois-ci, dans la salle à manger. Comme dans son rêve, il s’y imagina à nouveau dans la peau de son frère fixant la porte en voyant la silhouette noire ricaner d’un ton caverneux. Il savait que ce n’était pas réel, mais cette énergie malsaine y était toujours. Ken prit panique et rechercha à tout prix à s’enfuir. Il recula, terrifié, pour ensuite tourner les talons. Il remarqua au fond de la cuisine les escaliers qui menaient aux chambres à l’étage supérieur.

Arrivé en haut, il se dirigea vers celle de ses parents. Il scruta la pièce, en se forçant à garder l’esprit clair et positif. Il savait que, s’il se laissait aller par la colère et la peur, l'esprit démoniaque pouvait prendre le dessus. Il veillait à ne pas se laisser sombrer dans son passé. Soudain, une faible lueur orangée brilla dans les débris à l’entrée du placard. Il s’approcha pour identifier sa provenance. Ken fut ébahi par sa découverte. Il trouva une magnifique pierre, qui semblait être une tourmaline orange, dont la chaine manquait. Il était persuadé que c'était la même que celle que sa mère portait au cou. Ken retrouva le sentiment d’avoir trouvé ce qui lui manquait pour combler ce vide. Cependant, il ne comprenait pas encore la signification de cette pierre ni pourquoi elle l’interpellait autant.

Lorsque Zoé et Brendan arrivèrent au bout de la rue Byme's Place menant à l'entrée de la forêt, elle s'arrêta douteuse.

– Tu es certain que c'est par là qu'il faut aller ?

Brendan hocha simplement la tête.

– Il m'a dit que c'était la seule maison construite dans un boisé à la fin de cette rue.

– Regarde, des traces, s'exclama Zoé en pointant la neige, tu crois que ce sont celles de Ken ?

Les empreintes de botte s'enlignaient profondément entre les grands arbres.

– Sans aucun doute.

Ils suivirent les traces dans l’épaisse couche de neige et s'aventurèrent sur un sentier bordé de conifères et d'arbres dénudés de leurs feuilles. Après quelques minutes de marche, ils repérèrent la vieille maison de campagne blanche. Elle était à peine perceptible dans ce paysage enneigé.

Ils pénétrèrent dans la maison et explorèrent les lieux.

– C’est donc ici que tout a eu lieu ? demanda Zoé avec grand intérêt.

– Oui… confirma Brendan avec nervosité, en la suivant de très près.

Lorsqu’ils se retrouvèrent dans la cuisine, l’ambiance devint plus lourde. Un grattement derrière la porte qui menait au sous-sol, les firent sursauter et ils laissèrent échapper un cri. Puis, un miaulement se fit entendre.

– Oh mon dieu ! Tu as entendu !? Il y a un chat enfermé ! cria Zoé s’élançant vers la porte afin de libérer le félin.

– Non ! Attends ! protesta Brendan en manquant son geste de la retenir.

Elle était trop rapide. Il savait que derrière cette porte, une force machiavélique se cachait et n’attendait qu’à être libérée. Lorsque Zoé l’ouvrit, un vent glacial les frappa en plein visage. La terreur s’empara d’eux. Le miaulement s’interrompit abruptement, puis un rire diabolique se fit entendre. Zoé sauta dans les bras de Brendan, terrorisés, ils crièrent à tue-tête en se serrant fort. Brendan tenta de la protéger de cette force ténébreuse qui envahissait la pièce.

Alerté par les hurlements, Ken se rua en bas des escaliers. Aussitôt qu'il remarqua la présence de Brendan et Zoé, il devint furieux. Les portes des armoires de la cuisine se mirent à s’ouvrir et à se fermer frénétiquement, les lumières frétillèrent au point d’éclater les ampoules au-dessus d’eux. Ken leur ordonna de sortir de la maison d’un ton sans appel. Aussitôt expulsés à l’extérieur, Ken s’écria hargneux :

– Mais à quoi pensais- tu ? Tu m’as promis Brendan !

– Je suis tellement désolé Ken… J’ai essayé ! Je ne pensais pas que ça pouvait être aussi intense.

Zoé se contenta de les regarder encore sous le choc. Elle réalisa, à ce moment-là, la raison pour laquelle Brendan insistait de ne pas le suivre.

– C’est ma faute Ken … Puisque nous sommes tes amis, je tenais à ce qu’on soit là pour toi … expliqua Zoé étant convaincue de pouvoir calmer Ken, mais malheureusement elle empira la situation.

– Non ! Je n’ai pas besoin de vous ! De personne d’autre !

– Ken… Ne dis pas ça, répondit Zoé en s’approchant doucement vers Ken, blessée par ces mots.

– Je ne peux juste plus perdre ceux qui me sont proches… gémi-t-il en reculant pour éviter le contact de Zoé.

– Tu dis ça à cause de cette chose qui hante ta maison ? questionna Zoé qui comprit assez vite ce qui se passait.

Ken éclata en sanglots, envahi de fortes émotions qu'il ne pouvait plus contenir. Cette même douleur intérieure ressenti à l’église, le submergea à nouveau. Zoé et Brendan furent tous deux inquiets de son état, mais Ken refusa leur aide et leur cria de quitter les lieux pour leur protection.

– Ken… S’il te plait, laisses-nous t’aider, supplia Zoé voyant clairement la souffrance de ce dernier.

– Si tu veux vraiment m’aider…? Appelle Blair pour moi… S’il te plait…

– Quoi ? s’étonna-t-elle, confuse.

Brendan remarqua bien que Ken luttait contre une peine douloureuse. Il força alors Zoé à le suivre, mais elle lui résista un peu, affligée de laisser Ken comme ça.

– Aller, Zoé, partons !

Elle finit par coopérer étant tiré vers Brendan par la main. Elle acquiesça et lui confirma qu’elle appellerait Blair pour lui. En courant vers la forêt, Zoé sortit son téléphone de la poche de son manteau et composa son numéro .

Dans la salle de séjour, Blair, assise confortablement, était absorbée dans une lecture qui abordait le sujet des Tibétains traitant des mystères les plus profonds de l'existence, tels que le rêve, la méditation et la mort. Elle sursauta au son de la vibration de son cellulaire sur la petite table d’appoint, la ramenant brusquement à la réalité. À la seconde où elle répondit, Zoé bafouilla affolée, qu’elle devait venir immédiatement voir Ken à la maison de ses parents. Il avait besoin d’elle, mais Zoé ne pouvait pas lui expliquer pourquoi. Sans se questionner davantage, Blair savait que le temps urgeait.

– J’arrive tout de suite ! s'exclama -t-elle anxieuse.

Elle raccrocha et se leva d’un bond. Elle se précipita dans le bureau où se trouvait Curtis qui travaillait sur l’article d’un journal.

– Curtis ! On doit aller à Torbay ! Ken a besoin de nous, j’ai un mauvais pressentiment que quelque chose de grave va lui arriver ! cria-t-elle tourmentée.

Sans plus discuter, Curtis acquiesça sérieusement.

Il démarra sa voiture et prit la route à une vitesse si ahurissante qu’il fit crisser les pneus dans les virages.

– À ce que je vois, Ken est retourné dans la maison hantée et ce démon est plus fort que jamais, affirma Curtis en remarquant du coin de l’œil l’air préoccupé de sa sœur.

– Exactement…il sera tué… confirma-t-elle lugubrement.

Curtis lui jeta un regard rapide et fut consterné par ces mots. Aussitôt qu’il prit l’embranchement de l’autoroute, une poussée d’adrénaline l’envahit, il embraya à la prochaine vitesse et fila à toute allure.

Ken se tenait debout devant l’entrée de la maison, frigorifié. La main qui tenait la pierre, fut secouée d’intenses tremblements. Envahit par son anxiété, les larmes aux yeux, il l’observa et il voulait à tout prix la coller contre lui, mais il était empêché par l’ébranlement de ses bras devenus trop envahissants. L’énergie négative qui émanait de la demeure était tellement omniprésente, qu’il sentait le besoin de s’en éloigner afin de reprendre le contrôle de son esprit. Il tituba à l’écart de la maison et trébucha. En tombant, la pierre sauta de sa main et se perdit dans la neige épaisse. Le visage enfoncé dans la couche glaciale, toute sa peau devint endolorie par le froid. Avant de sombrer, il marmonna faiblement : « Angie… Où es-tu… ? J’ai besoin de toi… »

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