C’est là que l’on s’est rencontré, au niveau des balançoires. Je me balançais, seule, le parc était désert, pas très étonnant sachant qu’il faisait nuit et qu’à l’heure actuelle les bambins qui animaient habituellement le parc était chez eux, bien au chaud sous leur couette à dormir. Moi, j’avais 7 ans, et j’attendais mes parents, ils m’avaient encore oubliée, j’en profitais donc pour traîner encore un peu avant d’entamer le chemin du retour à pieds. Je savais déjà comment les choses se passerait une fois rentré, ce serait cris et engueulade entre eux, entre mon père et entre ma mère, deux êtres qui m’avaient conçu par amour, hors cet amour c’était envolé depuis bien longtemps. Tout d’un coup un halètement me surpris sur ma gauche, effrayé je me jetais sur le côté et fouillait du regard la zone sombre d’où venait le bruit. Deux yeux brillaient dans la pénombre, aucune méchanceté ou malveillance n’en ressortait, je n’y lisais que de l’insouciance et de la joie. Légèrement rasséréné je me levais pour faire face à l’inconnu du haut de mon mètre cinquante. En quelques pas, l’inconnu sortit de l’ombre, je constatais alors que ce qui m’avait tant effrayé était en réalité un gros chien au regard doux. J’étais incapable de reconnaître la race de ce chien, mais il était en piteux état, amaigris, il avait l’air d’avoir été abandonné, il lui manquait des plaques de poils à certain endroit et une vilaine blessure lui déchirait une oreille, mais malgré son état lamentable, il était calme et encore plus surprenant, joyeux. Attendris, je m’accroupis pour le laisser approcher, mais la méfiance envahit son regard, il fit deux pas en arrière avant de se retourner et de partir en courant.

Le lendemain j’attendis, assise sur ma balançoire et je le vis approcher doucement, la truffe au ras du sol. Il me regarda et eu l’air de me reconnaître. Cette fois-ci je n’avais pas mangé mes biscuits et je les lui tendis, mais toujours méfiant il hésitait. Je les déposais alors sur le sol et reculait de quelques pas. Reconnaissant, il s’approcha, les renifla et avala très rapidement puis il leva un regard sur moi qui me fit éclater de rire, s’il avait pu parler, il m’en aurait demandé d’autres.

Les jours, les semaines et les mois suivant nous avaient permis de nous rapprocher. Je pouvais désormais le caresser et il venait manger dans ma main. En mémoire de notre première rencontre je l’avais baptisé Shadow, car à ce moment-là, la nuit était tombée. Ce chien m’apportait joie, sérénité et amour, tant de chose qui me manquait chez moi…

Quatre ans plus tard, nous étions toujours très liés tous les deux et il m’était de plus en plus difficile de le quitter le soir pour retourner chez moi, mes parents avaient fini par se séparer, malheureuse comme tout ma mère avait sombré dans l’alcool et ne m’accordait pas plus sinon moins d’attention qu’avant. Shadow avait retrouvé du poil de la bête comme on dit et il n’avait plus du tout l’air d’un chien abandonné. Notre point de rencontre était toujours cette vieille balançoire dans le parc et toujours à la même heure.

Maintenant Shadow est morte depuis longtemps, oui c’était une femelle, je l’ai appris plus tard, lorsque je l’ai emmené alors que j’avais 15 ans environ, en larme chez le vétérinaire du quartier qui me connaissait pour m’avoir souvent vu dans sa salle d’attente à la recherche de la moindre information sur les chiens, ce jour-là, Shadow était arrivée jusqu’à moi en titubant puis elle s’était écroulée. Je ne savais pas ce qui lui arrivait et j’avais désespérément besoin de l’aide du vétérinaire. Il m’avait accueilli, l’avait ausculté et même refusé l’argent que je lui tendais. Après l’examen de Shadow, il m’avait annoncé avec tristesse que de par son errance Shadow avait développé une maladie qui l’avait affaibli petit à petit jusqu’à aujourd’hui où elle était à l’article de la mort. J’étais restée seule avec elle, jusqu’à la fin.

Aujourd’hui encore je retourne voir cette vieille balançoire et je me remémore cette rencontre qui forgea ma vie, cette rencontre qui m’avait apporté joie de vivre, je repensais ainsi à cet animal, l’être vivant le plus humain que j’avais pu rencontrer dans ma vie.