Chapitre 4 - Aurore -
Un dernier au revoir à mes parents et je file dans mon lit, où je me réfugie pour le reste de la soirée. J’appelle Mathilde pendant près de deux heures, pour me rassurer. Nous ressassons les souvenirs, encore et encore. Jusqu’à ce qu’elle tombe de fatigue. Un dernier bonne nuit et je me replonge dans les photos du passé.
Ma maman et celle de Mathilde se sont connues au lycée. Au début, elles ne s’aimaient pas. Elles se détestaient même. À vrai dire, ma mère a ce regard perçant qui donne à tout le monde l’impression d’être jugé, regard dont j’ai hérité. Un regard dur qui ne fait que très peu de cadeau. Corine, la mère de Math, quant à elle, a cette posture qui renvoie l’image d’une femme hautaine, se pensant supérieure. Math aussi en a hérité. Mais la première fois qu’elles se sont réellement parlé, elles ont compris. Elles ont compris que ni l’une ni l’autre ne pensait valoir plus. Et elle ont surtout compris que cette amitié durerait. Vingt-cinq ans plus tard, elles sont toujours là, une amitié plus forte que jamais.
Il y a dix-sept ans et quelques mois, une petite fille est née. En même temps que son papa, la meilleure amie de sa mère est entrée pour, tout deux, l’accueillir dans ce monde. Un an et quatre mois plus tard, cette petite fille est rentrée dans la chambre d’hôpital en même temps que le papa et le frère de ce nouvel enfant. J’ai été un des premiers visages dans la vie de Mathilde. On ne s’est jamais quitté depuis, rien ne nous a jamais séparé plus de trente minutes, et nous avons traversé bien plus de choses que nous ne pouvons garder en mémoire.
À quinze heure, ma journée se termine, un de mes professeurs étant absent. Quelques amis de la classe rentrent chez eux et d’autres restent. Je reste aussi. Autour de moi, Clara et Maxime se battent en duel pour construire le plus haut château de cartes, Gabriel et Lisa débattent sur un sujet que l’on a abordé en philosophie. Et moi, j’attends juste que le temps passe. Sur la table, mon téléphone vibre, détruisant les châteaux de Clara et Maxime qui pestent contre moi pour avoir mis mon téléphone en vibreur. Je m’excuse et ils se remettent aussitôt dans leur construction. L’expéditeur m’entraîne vers l’extérieur et je n’ai aucun mal à savoir qui me veut dehors. Alors je reste bien assise sur ma chaise, à tenter de ne rien laisser transparaître aux yeux des autres. Mais la tâche est bien plus difficile qu’elle n’y parait. Et des larmes coulent sur mes joues teintées de violet. Derrière moi, quelqu’un me surprend. C’est Antoine. Mon téléphone posé sur mes jambes me presse pour sortir. Je n’en ai pas envie, bien loin de ça. Mais j’ai un jour accepter d’appartenir à son monde. Depuis, je lui dois tout. Et je sais pertinemment que si je ne sors pas au plus vite, la sanction ne sera que plus dure. Et je ne peux pas me terrer ici éternellement. Alors je salue mes amis et m’en vais rejoindre mon pire cauchemar.
Dès que je rejoins l’endroit qu’il m’a indiqué, à côté de la vieille salle de sport où personne ne vient jamais, je sais que je serais punie d’être arrivée en retard. Mais de toute façon, il aurait trouvé une excuse pour me punir. Alors aussitôt, il m’attire à lui. Il me domine de toute sa hauteur et je suis déjà impuissante. Aucun geste ne pourra le faire reculer, puisque je suis incapable de bouger. Il saisit mon visage d’un mouvement tendre et regarde avec profondeur mes yeux puis avec insistance mes lèvres. Et il plonge. Ses lèvres assaillent les miennes et je dois maîtriser mes hauts le cœur si je ne veux pas subir plus. Il se colle à moi et me fait sentir son membre durcit par l’excitation à travers mon jean. Entre chaque baiser, il me répète qu’il m’aime et me demande d’en faire de même. Alors je le fais, parce que je ne veux pas le contrarier. Mais il entend le mensonge dans ma voix et ça l’énerve plus que tout. Alors, après ces manifestations de pseudo-amour, je reçois les coups, la punition. Son poing. Ma joue. Ses longs doigts. Mon cou. Son genou. Mon ventre. Sa poigne. Mes cheveux.
Mais cet instant se prolonge. Il appuie sur ma tête pour me faire plus petite contre le mur. Une fois à hauteur de son entre-jambe, il se rapproche et se colle toujours plus contre mon visage. Je bouge, autant que je peux pour ne pas avoir à sentir ça. Mais s’en est trop pour lui, trop qu’il puisse supporter. L’excitation est à son apogée pour lui. L’horreur l’est chez moi.
Il s’absente un instant, pour je ne sais quelle raison. J’aurais pu courir, j’aurais pu m’enfuir. Mais je n’en ai rien fait, incapable. Je suis restée contre ce mur et j’ai replié chaque partie de mon corps pour me protéger de son retour. Face à moi, une nouvelle ombre apparaît. Des mains douces libèrent mon visage et je reconnaît aussitôt les traits de Louis. Mais une autre silhouette nous domine. Nao n’apprécie pas que j’accorde un contact à cet autre garçon alors il veut le punir. Il s’apprête à lui asséner un coup quand je le pousse sur le côté. C’est ma main qui reçoit le coup que Louis était supposé recevoir. Et ça fait atrocement mal. Je crie tant la douleur est horrible. Nao s’apprête à frapper plus fort. Je ferme les yeux pour ne pas avoir à voir ça. Mais aucun coup n’arrive. Son pied heurte le mur près de ma tête, mais c’est tout. Je le vois déjà partir quand il me lance ces mots. Non sarà sempre lì per proteggerti. E posso trovarti. Il ne sera pas toujours là pour te protéger. Et je saurais te retrouver. Ce n’est pas une menace. C’est une promesse.
Louis m’a proposé de me raccompagner chez moi, et si au début j’ai catégoriquement refusé, je savais que je ne pourrais pas retourner au lycée dans cet état sans avoir à me justifier alors j’ai fini par accepter. Dans l’habitacle, un silence règne et je commence à me sentir mal à l’aise. Ça sent le tabac froid et le parfum d’homme. Depuis que nous sommes partis de ce petit parking il y a deux minutes à peine, ni lui ni moi n’avons pris la parole. Alors je me lance.
- Merci.
- Pourquoi ?
- D’être intervenu aujourd’hui, et mardi soir aussi.
- C’est normal. Je ne serais pas resté là, à regarder sans rien faire, me répond-il avec le regard chargé d‘incompréhension.
J’acquiesce et ne répond pas. Il sort son téléphone de sa poche et le déverrouille rapidement. Il me tend l’appareil et m’indique de choisir la musique que je veux écouter. Je m’exécute sans un mot et déroule la longue liste de musiques. Quand je tombe sur une chanson de Florence and the Machines, je ne peux m’empêcher de la lancer. Elle est l’élue parmi tout cet univers de rap. Je fredonne un peu l’air tout en regardant à travers la vitre. Les champs qui bordent la route défilent sous mes yeux tandis que la voix de la chanteuse attaque chaque mots de sa chanson. Louis veut dire quelque chose. Je sens un tas de questions en suspens qui ne vont pas tarder à m’assaillir. Des gouttes d’eau coulent toujours le long de mes joues sans que je ne les contrôlent vraiment. Le moment est arrivé.
- C’est qui, ce garçon ?
- Nao.
Il ne répond pas. Un instant, deux temps, et de trois. Il reprend.
- C’est la chanson préférée de ma mère.
- Vraiment ? je demande réellement intéressée par la réponse.
- Oui. Elle me dit tout le temps que si je prenais le temps d’écouter les paroles ça ferait peut être sens.
- Elle a raison. Elles veulent tout dire et rien dire à la fois.
- Pour toi, elles représentent quoi ?
- Elles me motivent. Elle me donnent envie de continuer et avancer, malgré Nao.
- Les paroles, elles veulent dire quoi ?
- Prends à gauche ici, je lui pointe une intersection. Globalement, elles disent que c’est compliqué d’avancer quand un poids du passé nous retient et pèse sur notre dos. Alors il faut s’en débarrasser. Shake it out pour moi ça veut dire secoues-toi. Débarrasses-toi de tes démons.
- C’est ton démon, c’est ça ?
- Ouais, et les décisions que j’ai pu prendre relatives à lui.
Et il se tait à nouveau. Je lui indique les directions à prendre et nous arrivons bientôt dans la cour de ma maison. J’ouvre la portière de ma main droite, la gauche étant toujours un peu sensible. J’attrape mon sac posé à mes pieds et le remercie une nouvelle fois pour la course et avance jusqu’à la porte d’entrée. Louis est toujours là, il attend que je rentre.
À l’intérieur, je vais à la buanderie et ouvre le congélateur d’où j’en sors un sac de petits-pois. Je vais m’installer dans le salon et dépose le sachet sur ma main pour éviter qu’elle ne gonfle plus.
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