Chapitre 9 - Louis -
Nous avons déposé Aurore depuis une petite heure déjà. Jeanne ne fait que de parler et j’essaye de l’écouter attentivement, même si le temps commence à se faire long. Au début, elle me parlait de ses copines, qu’elle ne voit presque plus depuis qu’elle a quitté le lycée. Et elle a enchaîné sur ses anecdotes concernant sa prépa aux grandes écoles de commerce. Mais si je suis tout à fait honnête, ni ses histoires avec ses copines ni ses études ne m’intéressent. Elle s’arrête un instant, fixe mes iris verts et me pose une question qui lui brûlait les lèvres, je le sais, je la connais.
- Hé, pourquoi elle n’osait pas me regarder dans les yeux, ta pote ?
- Ce n’est pas ma pote.
- Ouais, si tu veux. Comment tu la connais d’ailleurs ?
- Je t’ai dis, ça se passe pas très bien avec ses parents en ce moment, c’est tout.
- Ouais mais ça ne répond pas du tout à ma question.
- Bon, et si tu arrêtais de m’interroger comme un criminel.
Elle reste silencieuse quelques secondes et finit par acquiescer. Elle sait que, de toutes façons, je ne répondrais pas à ses questions. Je n’aime pas lui mentir, d’ailleurs, ça n’arrive jamais, ou presque. Mais je n’en suis pas fier. Elle reprend son monologue, partant dans des explications sans fin. De mon côté, je me surprend à me poser des questions que je ne devrais pas me poser. C’était quand la dernière fois qu’elle et moi avons passer un moment mémorable ? C’était quand la dernière fois que nos conversations ont été animées par la passion ? Est-ce que ce que ressens ressemble toujours à de l’amour ? Et c’est parce que ce genre de question ne devrait pas surgir dans mon esprit, et je ne devrais pas chercher la réponse, pas à un si jeune âge, que je prend cette décision aussi précipitée soit-elle. Elle est toujours plongée dans son récit quand je la coupe.
- C’est fini, Jeanne. Toi et moi, c’est fini.
Elle prend un temps pour réaliser, et les yeux embués elle me répond.
- Quoi ? Mais pourquoi ?
Je voudrais lui donner une vraie réponse, avec de véritables explications, un raisonnement qui suive la route. Mais la vérité c’est que je n’en ai pas. Pourtant, elle mériterait de savoir. Elle mériterait une explication, de savoir. Elle a toujours été droite avec moi, m’a pardonné tout, même ce qu’elle n’aurait probablement pas dû. Jamais de poignard dans le dos, toujours loyale et présente pour moi, sans faute. Mais je ne peux pas continuer, parce que, au-delà de tout, elle mérite quelqu’un qui l’aime sans limite et sans faille, inconditionnellement. Le genre d’amour qui dure, pas celui qui camoufle nos cœurs qui se déchirent. Alors je reste là, face à elle, à la regarder fixement comme l’imbécile que je suis, sans pouvoir apporter une réponse au tourbillon de questions qui submerge son esprit. Et elle part, me laissant seul à la table, les mains autour de mon gobelet de café. Je suis sûr que vu de l’extérieur, la situation paraît romanesque ou tiré d’un film. Mais ce n’est rien de plus que ma vie.
Après avoir fais un tour dans la galerie, je constate que rester seul ici est vraiment triste, alors, sur les coups de dix-huit heures, je rejoins ma voiture et passe par un pizzeria où je récupère ma commande. Je roule pendant presque une demie-heure à cause de flot ininterrompu de voitures. Les musiques s’enchaînent et se ressemblent, allant de Nekfeu à Georgio en passant par Jok’Air. Quand j’arrive devant la maison d’Aurore, je m’apprête à faire demi-tour. Après tout, je l’ai moi-même assuré à Jeanne, elle et moi ne sommes pas amis, alors qu’est ce que je fais ici ? mais j’envoie valser mes doutes et prends mon courage à deux mains. Au pire, elle me renvoie chez moi. J’avance, enfonçant de quelques centimètres mes chaussures dans le gravier, illuminé par les petits spots qui bordent l’allée. Devant la porte d’entrée, je prends une grande inspiration et frappe un coup. Puis deux. Puis trois. Mais je n’ai jamais de réponse. Pourtant je sais qu’elle est là, la lumière est allumée à l’étage. Je sors mon téléphone de ma poche et lui envoie un message, en ignorant ceux que j’ai reçu plus tôt dans la journée.
De : Louis À : Aurore
Salut, je suis devant chez toi. Tu viens m’ouvrir ? j’ai apporté à manger.
J’attends encore quelques minutes et enfin, le bruit de la clé qui tourne dans la serrure se fait entendre dehors puis son visage apparaît. Elle me laisse entrer et je détaille un peu les lieux. La maison fait ancienne de l’extérieur, comme une vieille longère, mais l’intérieur est bien plus moderne et lumineux que je ne l’aurais imaginé. Elle prend mes affaires et je la suis dans le salon où on s’installe pour manger.
- Elle est où, Jeanne ? me demande-t-elle une fois installés.
- Hum, on - enfin non, je l’ai quitté cette après-midi.
- Oh... je suis désolée. Je savais pas...
- T’en fais pas, ça va, je la coupe alors qu’elle se confond en excuse. Je pense que ça n’aurais pas pu durer très longtemps encore de toutes façons.
- Ça faisait combien de temps ?
- Neuf mois.
- Quand même ! Vous vous êtes rencontrés comment ? Elle n’est pas au lycée, je crois.
- Non, elle vit à Nantes. On s’est rencontré à mon travail il y a quelques temps.
Puis je lui ai raconté ma rencontre avec elle, et au fur et à mesure j’ai compris. J’ai trouvé les réponses que j’aurais dû donner à Jeanne plus tôt, sans y parvenir. Tout est soudainement devenu limpide. Celle que j’ai tant aimé, c’est celle que j’ai rencontré, pas celle qu’elle est devenue par la suite. Je ne faisait que me voiler la face en pensant que j’aimais cette facette de sa personne autant que je le prétendait. Je l’aime, mais pas assez pour continuer.
L’heure tourne et il est bientôt minuit. Ni elle ni moi n’avons vu le temps passer alors que nous échangions quelques détails de nos vies. Elle me partage ses récits avec ses amis et ils sont passionnants. Je lui partage des anecdotes que j’ai vécu avec ma petite sœur, la prunelle de mes yeux. Je tapote chaque poche de mes affaires et me rappelle que je n’avais pas pris mes clés sur le guéridon, dans l’entrée, ce matin en partant, puisque je pensais revenir plus tôt. J’envoie donc un message à ma mère, sans trop d’espoir, pour lui demander si elle est toujours réveillée. Mais aucune réponse ne me parvient, alors je souffle longuement. Aurore qui m’entend me propose de dormir dans la chambre d’amis. Un peu gêné, je finis par accepter après avoir fais le tour de mes options, autrement dit, dormir dans ma voiture. Elle va chercher des draps et fait le lit à l’étage. Un dernier au revoir et nous filons au lit. La pièce est spacieuse pour sa fonction, les murs sont blancs, tout comme la plupart des meubles. Sur une commode trônent plusieurs cadres avec une petite fille en justaucorps, les cheveux bien attachés et le visage couvert de paillettes, un bouquet de fleurs dans les bras. Elle fixe l’appareil et la lueur qui brille dans ses yeux ne laisse aucun doute sur le bonheur de cette enfant.
Je reste à me tourner et me retourner dans le matelas sans trouver le sommeil pendant plusieurs longues minutes. Dans le couloir, j’entends le sol craquer. Aurore ne doit pas trouver le sommeil non plus. Je sors alors et la trouve en train de descendre les marches.
- Oh, désolée. Je t’ai réveillé ?
- Non, j’arrive pas à trouver le sommeil.
- Moi non plus. Viens, j’allais me faire une tisane, je vais t’en faire une aussi.
J’acquiesce et la suis. Dans la cuisine, elle m’indique les chaises hautes pour que je m’installe pendant qu’elle fait chauffer de l’eau et ramène une boîte en fer rose gold. Quand elle l’ouvre, une odeur de thé s’en échappe et il semblerait qu’elle apprécie le moment, au vu du sourire en coin qui se dessine sur son visage. C’est ça ou bien la notification qui apparaît sur son écran. Elle m’a parlé de ce garçon, un ami de sa meilleure amie, un peu plus tôt dans la soirée. Et cette relation ne semble pas aussi innocente qu’elle ne veut bien l’accepter quand je vois la teinte rosée que prennent ses pommettes quand elle lit le premier visage. Je la regarde sourire devant son écran et ça me fait sourire aussi. Je pense qu’elle mérite d’être heureuse, parce que malgré ses airs de dame froide et au cœur de pierre, son cœur est tendre et elle est remplie de douceur. Il faut juste prendre le temps de percer sa bulle de méfiance.
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