Chapitre 1 - Le journal de l'Automne
Les feuilles des cyprès caressaient les vitres du manoir Ursan. Le grincement du bois contre le verre délivrant Eritas de sa torpeur. Les examens de l'Académie des sciences humaines de l'Anneau approchaient : plus qu'une semaine avant le début des épreuves. Ses diplômés avaient une place de choix dans les archives impériales et plus intéressant encore, un droit d'accès à la Bibliothèque de l'Ether.
Il jeta un regard sur sa montre et ses yeux s'écarquillèrent. "Merde ! s'écria-t-il, Par la patte d'Ursoc, il va me tuer !" Il balaya les ouvrages épars sur son bureau en chêne massif et passa par-dessus attrapant sa sacoche au vol. Avec un père qui refusait de financer ses études, Eritas devait se débrouiller par lui-même. Leur relation était compliquée. Jennan Ursan était le gouverneur du quartier de l'Automne, la partie Est de l'Anneau. Aux yeux de Jennan, Eritas ne représentait qu’un échec, un fils incapable de perpétuer la tradition guerrière de la famille. Les Ursan étaient connus pour être des combattants, pas des gratte-papiers enfermés dans des bureaux, -même si Jennan n'avait pas connu le terrain depuis de nombreuses années.
Eritas quitta précipitamment son bureau et heurta son frère qui grogna à son égard. "Pas le temps de m'excuser, lui lança Eritas en recoiffant ses cheveux châtains dans sa course, à plus !
- Si tu as eu le temps de dire ça, tu aurais pu t'excuser, abruti !" répliqua Origel tandis qu'Eritas tournait à l'angle du couloir et disparaissait.
Le quartier de l'Automne était connu pour ses arbres aux teintes orangées qui le composaient. Une douce lumière crépusculaire filtrait à travers les feuilles et luisaient dans les yeux noisette d'Eritas. Il n'avait pas eu le temps de s'apprêter. Il portait ses vêtements de la veille, un jean délavé et un t-shirt de l'académie avec la devise "Savoir c'est pouvoir".
Une maxime en parfaite adéquation avec sa vision du monde : la connaissance, aussi acérée qu’une lame d’onyx, pouvait être décisive, bien que sur un tout autre champ de bataille.
Il n'arriva qu'avec une demi-heure de retard. La circulation avait été clémente, l'heure de pointe était déjà passée et seuls quelques métamorphes goélands distribuaient encore les journaux dans le ciel dégagé.
Le hibou attendait devant la petite librairie. "Les bouquins du Duc" était un petit établissement dans une ruelle de l'hypercentre-ville de l'Anneau. C'est là-bas qu'Eritas assistait Ygma, le gérant. Eritas tressaillit en croisant le jaune perçant de ses yeux et fut encore plus troublé, d’autant que son corps était tourné à 180 degrés. C'était bien connu qu'il en était capable mais il ne s'y ferait jamais.
"Une demi-heure de retard jeune homme, les pupilles du hibou s'étrécirent jusqu'à former un trait fin, tu n'es pas indispensable. Les incompétents ne manquent pas.
- Désolé Monsieur Bivaillon, s'excusa Eritas sentant son âme quitter son corps après sa course folle à travers la ville. Cela ne se reproduira plus.
- Comme les trois autres fois, n’est-ce pas ? répondit-il la voix emplie de malice. Dépêche-toi d'entrer, mes livres ne vont pas se ranger tout seuls !"
D’un battement d’ailes, il le poussa à l’intérieur.
Les clients étaient rares dans la boutique, Ygma Bivaillon récoltait les ouvrages les plus rares et anciens. La plupart des habitants de l'Anneau était davantage intéressés par les grimoires de sortilèges que par la dynastie d'Hiroclès II, premier seigneur du feu des terres de l'Est, il y a 3000 ans. Ce bouquin était particulièrement poussiéreux.
"J'ai de nouvelles arrivées, vermisseau, siffla Ygma de la mezzanine. Classe-les par ordre chronologique.
- Oui, monsieur Bivaillon." L'insolence vibrait dans sa gorge mais il parvint à la contenir et ne pas insulter le libraire de vieille chouette mommifiée.
Il passa de laborieuses heures à recenser les périodes concernant les livres. Identifiant des langues plus étranges les unes que les autres. C'était son cursus d'histoire étrangère qui avait convaincu Ygma de l'embaucher.
Il avait pu identifier 2 manuscrits daedriques, 2 oniriques et 5 elfiques. Les elfes adoraient écrire. Ils abattaient des arbres par centaines pour écrire poèmes et psaumes à leur sujet.
En revanche, Eritas ne parvenait pas à identifier le dixième. Celui-ci n'avait pas l'odeur du charbon de l'Est, pas de blason travaillé comme à l'Ouest tandis que la couverture était froide et souple. Encore plus intrigant, aucun titre. Il n'y avait que l'étrange matière qui narguait le jeune homme à travers ses mystères.
Il l'ouvrit avec grande précaution, s'il était millénaire, il fallait absolument préserver les pages. Eritas avait entendu dire qu'Ygma avait pour habitude de sectionner les doigts de l'employé malheureux qui déchirait les pages de son antique collection.
Il ne put réprimer un hoquet de surprise. Le livre était totalement vierge. Des sortilèges ou autres astuces devaient en garder le contenu secret. Le jeune homme portait des gants en peau de troll pour éviter les désagréments. Les maléfices des Daedris avaient tendance à réduire en tas de chair fumante leurs victimes.
Deux options se présentaient à lui. Placer le livre au hasard ou alors pénétrer dans la bibliothèque personnelle du hibou pour chercher des indices à propos de l'étrange journal. Sa curiosité l’emporta.
Le libraire était au téléphone avec un client important, avec lequel, en se basant sur les cris stridents qu'il hurlait à son encontre, la vente ne se déroulait pas bien.
"Traité de l'écureuil-sorcier est le premier ouvrage d'Ernest Sylvian, le mage vert, maître des pins du Nord et gourmet des glands, vociférait Ygma sur son téléphone. Il vaut 10 fois le prix que vous me proposez. Ce n'est pas un magazine people comme votre stupide fille a l'habitude de s'abrutir la cervelle. Rappelez-moi quand vous aurez un brin de jugeote !" Le métamorphe hibou ne se laissait jamais marcher sur les pieds. Mais les fois où il arrivait à conclure une vente méritaient une fête annuelle...
Il tourna ses grands yeux jaunes sur Eritas qui attendait à son bureau. "10 pièces pour le Traité de l'écureuil-sorcier, vous vous rendez compte, Eritas ! renchérit-il.
- Une insulte à tous les rongeurs”, ironisa Eritas. Le libraire fronça les sourcils mais Eritas reprit. "J'ai besoin de consulter votre bibliothèque si vous me le permettez afin d'identifier la dernière livraison." Ygma plissa les yeux. "Rappelle-moi les règles.
- Règle 1 : Il est interdit d'emprunter les livres. Règle 2 : Si j'emprunte un livre, je perdrai mes doigts. Règle 3 : Sans doigts on ne va pas loin... récita Eritas.
- Et je me ferais un plaisir de te les arracher avant de les dévorer si tu désobéis, petit asticot." Un frisson lui parcourut la colonne quand le regard du rapace se posa sur ses doigts. "Prend la clé et fais-vite." Ygma lui jeta la clé qu'Eritas rattrapa avec aisance. "Merci, monsieur." Merci, vieux croûton emplumé.
La bibliothèque privée était plongée dans une semi-obscurité pour protéger les livres qu'elle contenait. Une lanterne magique avec une faible lueur bleue provenant de la petite fée qui y était emprisonnée lui permettait de parcourir les pages. "Tu te fais rare, Eritas, murmura la petite créature.
- C’est Ygma, tu sais bien...
- Il devrait se trouver une vieille chouette, ça l'adoucirait un peu.
- Je plaindrais cette pauvre âme", répondit Eritas en tournant les pages d'un livre sur les magies anciennes.
Il le referma et s'avança dans les allées pour le remettre à sa place. L'une des bibliothèques attira son attention, elle dégageait une énergie étrange, envoûtante.
Eritas feuilletait le catalogue quand une voix rauque résonna derrière lui : "Tu cherches des réponses, mais es-tu prêt pour les questions qui suivront ?" Le bibliothécaire à la tête d'hibou, à demi dissimulé dans l'ombre, le fixait avec des yeux curieux.
Son coeur voulut jaillir de sa poitrine. C'était ce foutu automate qui rôdait dans la bibliothèque pour en effrayer les intrus, et les faire disparaitre si l'on ne connaissait pas le mot de passe.
"Je serai prêt à les accueillir, les réponses naissent des questions", parvint à articuler le jeune homme haletant.
La copie d'Ygma cligna des yeux, ceux-ci passant du jaune au vert. "Permission de rester accordée, puisse les mystères fuir votre regard". Il dépassa Eritas et reprit sa ronde.
Avant qu'il ne puisse reprendre ses recherches, il entendit un soupçon de surprise dans la voix de Safia : "Eritas ! Ton journal a vibré !". Le jeune étudiant accourut et il vit que le mystérieux livre s’était ouvert de lui-même, une énergie familière ondulant à sa surface. Cette énergie était familière, la même que la bibliothèque qui avait attiré son attention.
"Ça ne ressemble à aucune magie que je connais, murmura la fée.
- Je vais l'examiner de plus près", il s'assura que ses gants étaient bien ajustés et prit le journal en main.
Puisses les mystères fuir votre regard, Eritas Ursan s'inscrit sur les pages jusqu'ici vierges.
Eritas se tourna vers elle. "C'est une blague ?", mais Safia, pâle de peur, lui conseilla de s’éloigner. " Je sens une énergie maléfique dans ce journal.
- J'ai les gants, ça va aller", prononça Eritas plus pour se rassurer lui-même.
Il s'écarta légèrement et plaça le livre à la hauteur de son regard comme pour s'adresser à l'interlocuteur de l'autre côté. Cela lui semblait ridicule. "Qu'est-ce que tu es ?" s'enquit le jeune homme.
Les pages s'animèrent à nouveau. Je suis le Journal de l'Automne, suivi d'un poème :
L'or redeviendra poussière
A l'orée du flétrissement, le froid reviendra
Il signera une nouvelle ère
Celle de la victoire du fils sur le père
Explosions célestes en fracas
Ainsi l'Automne arrivera
L’évidence le frappa, c'était une des 4 prophéties de l'apocalypse ...
-----
Extrait du prochain chapitre: Son professeur lui expliqua: "Selon les légendes, il existe 4 prophéties de l'apocalypse. Celle du Printemps, de l'Été, de l'Automne et de l'Hiver. Cependant, il ne faut pas les prendre au pied de la lettre. Elles ont été rédigées par des mages qui tenaient leurs pouvoirs de sources ténébreuses. On ne peut pas manipuler la magie du temps sans bouleverser l'équilibre de l'univers.
- Mais leurs oracles se réalisent toujours, non ?" Herman comprit où son étudiant voulait en venir. C'est solennellement et le regard sombre qu'il répondit : "Toujours..."
Annotations
Versions