Chapitre 2
Mickael débarque à la maison comme un chien dans une pétanque, bousculant ainsi ma tranquillité, perturbant mes pensées qui s’envolent chaque seconde vers la femme qui définitivement changera ma vie. Il commence sérieusement à m’emmerder ce con. Mais il est le seul lien me permettant d’accéder à mon amour éternel. Je décide d’en profiter pour apprendre à connaître ma bien-aimée. « Raconte-moi ce qu’elle affectionne ». Entrer dans son monde est la meilleure façon de la séduire, mais cela devient une question rhétorique lorsqu’il me confie ses passions, semblables aux miennes. La musique, la littérature, la douce brise bordant le soleil d’été, le bonheur des autres, la paix. Toute cette beauté dont Mickael est tant apathique. Alors je lui décris, je lui explique, il ne comprend pas. Mais sa capacité à faire semblant m’impressionne. Il cherche à l’étonner et évoque l’idée d’un restaurant romantique en bord de fleuve suivi d’une promenade le long des quais lors d’une douce soirée. Efficace, mais conventionnel. Il faut créer un effet de surprise, un moment unique, unique pour elle et pour les autres. Je préconise plutôt une part de pizza dans la fosse d’un concert de punk. « Je ne sais pas si elle aime le punk ». Elle aime la musique.
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Toujours dans une incompréhension totale, Mickael jouit des conseils de Gégé. Il vogue de succès en succès, gagnant, jour après jour, le cœur de Julie. Une promenade romantique dans les catacombes, un week-end dans une ZAD, une journée dans une association aidant ainsi des réfugiés ne parlant pas la langue à s’adapter à leur nouvelle vie. Chaque jour est une aventure, Mickael se donne corps et âme, Julie devient une meilleure personne. Le temps passe et Gégé offre à ce jeune couple une existence palpitante. Après ces deux mois productifs d’une odyssée saisissante, Géraud se surprend lui-même de voir comment Mickael tient le cap.
Je m’inquiète de savoir que Mickael n’ait toujours pas couché avec Julie. À moins qu’il l’ait déjà fait, sans m’en parler. « Alors ? T’as fini par la tringler ? » « Quelle vulgarité ! Cette femme n’est pas comme les autres ». Merde ! Il est amoureux. Lui, cet homme dénué de ce sentiment si fort si noble. Il est amoureux, à cause de moi. Mais on ne change pas un homme, pas en deux mois. C’est l’ivresse des premières rencontres. D’un autre côté, passer d’une vie d’alcoolique, obsédé par le sexe et le baby-foot, pour découvrir le romantisme, la joie, la solidarité, la beauté. Forcément, il préfère ce monde au sien. Il est temps d’accélérer les choses.
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« La prochaine étape, mon ami, c’est de l’inviter à une soirée chez toi. Tout le monde aime le cinéma, mais rares sont ceux qui ont vu le cinéma hollywoodien des années 30. Je te propose une histoire d’amour comme on fait plus : “It Happened One Night”. Mais attention, ce film évoque pour la femme un désir profond de sexe et tu dois absolument répondre à ses attentes. Il y a une scène particulièrement efficace pour cela, le couple dort dans la même chambre, Peter se réveille au beau milieu de la nuit pour retourner au journal écrire son article. À ce moment précis, tu coupes le film, tu l’embrasses, et tu lui fais l’amour comme jamais tu ne l’as fait auparavant. » Certes, il a changé, il est devenu plus respectable, plus attentionné, plus humain. Mais il est resté naïf et m’accorde une confiance aveugle. Il revient le lendemain, la mine triste. Visiblement, c’est un échec, un échec attendu. Et il y a de quoi, couper un film magistral au moment précis du dénouement. Suivre cette aventure rocambolesque, d’un romantisme incroyable, et arrêter tout sans même connaître la fin de cette épopée. N’importe qui aurait hurlé le complot, l’absurde, le déshonneur, l’infamie, la honte, le dégoût. Et tout cela dans quel but ? Le sexe. Mickael est enfin redevenu lui-même. Il s’assoit sur mon canapé, sans dire un mot. Il me fixe longtemps... et surgit dans mes bras en me portant en gloire. « Merci pour tout, merci pour tout ce que tu as fait pour moi. Grâce à toi, j’ai trouvé l’amour de ma vie. Quelle brillante idée de regarder un film si mauvais et de couper la fin pour pouvoir céder à nos pulsions. »
Elle déteste les films en noir et blanc, lui aussi. C’est leur premier véritable point commun. Là, c’est la merde.
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