Chapitre 3 - partie 1

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Lotosheim était devenue au cours de la décennie une des plus importantes de Suisse. Au bord de la frontière, elle avait triplé de taille avec l’arrivé de migrants et de réfugiés des nombreux pays qui l’entourait au point d’être maintenant une immense métropole. Il faut dire que durant la guerre mondiale, peu de pays eurent l’opportunité de rester neutres comme la Suisse. On pouvait voir ces changements rien que dans l’architecture de la ville pleine de nouveaux immeubles construits rapidement, de manière désordonnée, créant des labyrinthes de rues sans logique. Et même ces expansions n’avaient pas suffi, certains quartiers avaient été construits par les réfugiés eux-mêmes, apportant avec eux leurs styles architecturaux. Un vrai paysage hétéroclite.

Un peu comme ce café turc tout à fait dans le style du pays qu’elle rejoint au tournant d’une ruelle. L’intérieur était tapissé d’un carrelage terre de Sienne caché par des tapis usés dont on discernait de superbes motifs. Sur les murs peints en ocre étaient accrochées de vieilles copies de peintures célèbres représentant les paysages chauds du sud de la Turquie. Une lampe ancienne diffusait une lumière tamisée et jaunâtre, assez pour qu’on se voie, mais laissant une sensation d’intimité. Plusieurs canapés aux tapisseries de faux velours entouraient des tables basses rondes et cuivrées. On y avait disposé dessus des carafes aux longues formes alambiquées. Une vision des plus exotiques, on se serait cru ailleurs, on y entendait même une musique aux paroles et aux rythmes étranges.

Faith salua poliment le barman aux habits colorés et se dirigea vers le fond de la salle, pour arriver dans une pièce privée. La décoration était la même que dans le café, mais en plus miniature.

L’homme au costume blanc leva à peine la tête et indiqua d’un geste de la main la place en face de lui.

Sa tenue immaculée faisait ressortir sa peau ébène, en regardant de près on pouvait voir qu’elle était poreuse, craquelée comme de la terre trop sèche.

Bien que l’on soit à l’intérieur, il portait encore son chapeau blanc et ses lunettes de soleil noires. Et malgré tous ces efforts pour se rendre plus humain, Faith savait que derrière ses lunettes se cachaient deux trous béants lui servant d’yeux.

Faith n’était pas spécialement heureuse d’aller à son rendez-vous, contrainte était un mot plus exact. Devoir des comptes à quelqu’un… bon sang, elle ne s’était pas mise indépendante pour avoir à subir cela, sinon elle serait devenue…je ne sais pas … flic.

Finalement, on est tous le larbin d’un autre.

Le barman arriva pour prendre la commande, elle demanda avec un plaisir discret une tasse de thé, mais son ami d’un signe de tête refusa l’offre du garçon. Lorsqu’il repartit chercher le thé, notre détective regarda l’homme d’argile.

— Alors que me veut le Conseil ?

— Vous avez vu l’humain de ce matin ? questionna-t-il de sa voix rocailleuse.


— Oui, exactement à l’endroit de vos indications, un tragique suicide…


— Le Conseil suspecte quelque chose de plus grave. Nos devins y voient une possibilité de conflits dangereux qui pourrait enflammer la ville, annonça-t-il de marbre.


— « Suspecte », ça veut dire que vos devins ne sont pas sûrs.


— Ils ne sont jamais sûrs. Le futur n’est qu’une multitude de possibilités, nous ne faisons qu’emprunter un chemin dans un labyrinthe de voies et de tournants. Aucun risque ne doit être pris, enquêtez sur ce suicide et vérifiez que rien d’ennuyeux ne peut en découler. 


— Ce n'est qu’un mort, je trouve ça un peu exagéré de me mettre maintenant dessus à moins… , elle observa son commanditaire avec un regard suspicieux avant de continuer, que ce ne soit pas le premier…, finit-elle d’une voix grave un peu théâtrale.


L’homme se figea telle une statue et les lèvres serrées. Le serveur brisa le malaise qui s’installait en revenant avec la commande : une jolie tasse peinte de motifs floraux bleus et rouges fumante. Elle lui sourit et attrapa la sucrière et remplit un quart de sa tasse de sucre et se mit à touiller tranquillement, sous le regard rebuté du serveur. Ignorant ses spectateurs et dans un rituel presque sacré, elle prit la tasse pour se réchauffer les mains, huma la fumée, puis but une petite gorgée qu’elle laissa tranquillement glisser le long de sa gorge. Satisfaite, elle sortit de sa bulle gustative pour se reconcentrer sur cette mascarade de conversation.

Au moins, Rémy ne va pas chercher pour rien, pensa-t-elle.

— Ce ne serait pas plus judicieux de mettre un de vos hommes, je ne suis pas à votre disposition.


— C’est un humain. Vous savez bien que le Conseil des Seelies ne s’occupe pas de ce genre d’affaires.


— Mais vous voulez un homme dessus, enfin, une femme.


— Faites-le. Enquêtez. Tenez-nous au courant, finit l’homme en se relevant tel un automate avant de partir.


— On dirait que je n’ai pas le choix. C’est toujours un plaisir de faire affaire avec vous, soupira-t-elle.


En sortant, le soleil avait déjà disparu derrière les immeubles, et seul le ciel rougissant rappelait encore sa présence. Il était temps de rentrer.

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