Bébé Cosmique
Partout j'ai vu des êtres pleins de grâce, dont la profondeur ne tenait que dans cette seule et native acquisition. Parmi ces êtres il y a ceux que j'ai aimés, admirés et enviés, et ceux que je n'ai pas rencontrés mais dont j'espère la proximité depuis toujours : dans les couloirs universels je vais à leur conquête. Comme une fusée trop chargée qu'inspirent les trous noirs, je cherche la collision qui me transpercera de naissances.
Mais les êtres originels envient les soleils et les lunes ; toujours ils s'en vont grandissants, contemplent l'espace en habits de philosophes tandis que leurs corps tombent en univers...
Aussi doit-il exister un contraire à la grâce, qui ne serait pas tout-à-fait la disgrâce, ou dont cette dernière serait une embouchure, nécessaire comme à un corps et libérant ses affluences sur un vide causal inventé pour l'occasion ; une impossibilité roulant à fière allure dans le trou noir de sa création - si l'on peut parler de trou, ou même de noir : ce genre de vide est très avare en renseignements, surtout en matière de physique, bien que l'on y devine parfois un fond diffus de langage, comme les bégaiements d'un bébé qui voudrait jouer aux dieux cosmiques mais dont s'effondreraient tous les mots.
D'aucuns s'accordent à penser que rien ne naît ni ne sort de ce vide qui ne soit issu de la façon laborieuse dont-ils s'accordent à le penser, et que s'ils n'en pensent rien, il y demeure néanmoins une substance pré-balbutiante recourbée sur un imaginaire non formé. Ce à quoi d'autres répliquent que si tel était le cas, si pareille substance n'existait que par le seuil qui nous permet de l'imaginer, alors elle ne pourrait en fait pas exister, puisqu'en l'imaginant nous façonnerions le seuil par lequel nous sommes supposés capables de le faire. Une troisième école considère que ce vide est constitué par une forme de guerre et s'applique à déterminer la nature de ce qui doit la gagner. Quant à moi, cueilleur des grâces, orpailleur des collisions, j'affirme que certains monstres de l'imaginaire devraient se mettre la corde au cou pour se pendre à la première étoile filante qui leur sera proposé de voir.
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De l'évidence verbeuse, du hoquet solennel strié de phrases, que puis-je faire ? Les langages amputent les hommes de leurs naissances. Mais je suis hypermnésique et sans âge ; entre grâce et disgrâce, je joue de l'une et contemple l'autre dans l'oscillation fondamentale. L'Histoire et la littérature font le hochet de l'espérance perdue.
Alors je ris avec les mots, je jongle avec les idées, comme un pantin spatial, un Pinocchio de matière noire ; est-ce là ma disgrâce ? Je me sens comme un nouveau-né absorbé dans l'illusion d'un cosmos.
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