L'Ecarlate

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Esther passa par les vestiaires des employés pour pouvoir rentrer dans le club et, plus par habitude que nécessité, elle se regarda dans le miroir de plein pied qu’il y avait juste à côté de la porte.

Ses bas-collants aux croisillons larges ne cachaient rien de ses belles cuisses bien fermes et un mini short moulant lui permettait de cacher ses parties intimes pour ne laisser place qu’à l’imagination. Elle ajusta par acquis de conscience sa brassière en nylon afin que le creux entre ses seins soit parfaitement aligné avec les formes de son corps. Elle se retourna et écarta ses cheveux sombres. Elle sourit en voyant la dentelle du vêtement dessiner des ailes d’ange dans son dos. Le tout était d’une blancheur immaculée qui contrastait fortement avec sa peau beige et ses cheveux noirs qu’elle avait décidé de garder détachés pour ce soir.

Elle adorait se regarder de dos. En particulier en petite tenue. Elle se savait être une belle femme. C’était sans doute l’une des raisons qui avait poussé le Patron à l’embaucher en tant que danseuse à l’origine. Lola lui avait un jour proposé de créer un compte instagram sous son nom de scène afin de commencer à se faire connaître en dehors du club. Elle savait quel objectif sa petite protégée avait en tête et était très supportive. Mais Esther n’avait pas encore eu le courage d’aller jusque-là de peur que son cousin ou, pire, son oncle tombe sur les photos et la reconnaisse. Elle en prenait déjà bien assez sur la figure chaque mois quand ils se présentaient au club pour s’amuser. Et puis, elle ne voulait pas leur montrer qu’elle aimait ce qu’elle faisait. Toutes les personnes qu’elle avait pu connaître en dehors du club, à l’école, par hasard dans un café ou dans le métro, ne savait rien d’elle, de son métier ou de sa passion. Le club était devenu son jardin secret.

Finalement, satisfaite de ce qu’elle voyait dans le miroir, Esther passa la porte et pénétra dans le club encore fermé. Elle assurait l’ouverture.

Elle sentit une main dans ses cheveux et elle gémit légèrement.

— Bonjour, Angie ! Fit une danseuse du club.

Esther se retourna et ne put s’empêcher de faire un sourire alors qu’elle essayait de remettre de l’ordre dans ses cheveux.

— Salut, Lola, répondit-elle. Tu sais que je n’aime pas qu’on touche à mes cheveux !

— Je sais mais c’est toujours un plaisir de t’embêter un petit peu. Cela te fait sourire.

La jeune femme soupira mais ne contredit pas son aînée. Elle avait raison. Cela l’amusait quand même, au détriment de ses cheveux. Et Lola n’abusait jamais ou ne faisait jamais que ses cheveux deviennent une catastrophe. Surtout juste avant le travail.

— C’est quoi le programme aujourd’hui ? Demanda Esther en écartant ses cheveux dans son dos.

— Tu t’occuperas du bar et de la salle, soupira Lola.

Elle avait toutefois un sourire d’excuse. Sa protégée fronça les sourcils en la regardant dans les yeux. Lola était bien plus grande qu’elle, d’au moins une tête, la peau légèrement chocolatée, les cheveux bruns et des yeux d’un noir profond. Tout comme Esther, Lola était fine et avait des formes généreuses qu’elle mettait toujours en valeur. Il y avait juste un peu trop de paillette et de strass au goût de la plus jeune mais chacun son style. Elle préférait s’épanouir dans la sobriété.

Lola était la cheffe de service, la plus ancienne employée du club. C’était elle qui s’occupait de gérer les emplois du temps. En général, elle mettait sa protégée sur scène pour lui donner le plaisir de danser et de faire vivre sa passion mais il arrivait qu’elle doive la mettre autre part par question de nécessité. Il fallait que le club tourne et Esther, ou plutôt Angel au sein du club, savait tout faire, en temps, en heures, sans se plaindre et le Patron était toujours ravi d’elle et ce depuis le début.

— Autant ? Demanda Esther.

— Marc est malade et Anna a eu un accident.

— Ouille ! Grave ?

Lola secoua doucement la tête, un sourire sur les lèvres.

— Disons qu’elle ne viendra pas pendant quelques semaines. Elle s’est tordue la cheville.

— Ouf ! (Esther soupira de soulagement). Pendant un moment, j’ai cru qu’elle avait eu un accident de voiture ou un truc du genre.

— Non, non. Rien de tel, pouffa Lola. Dépêche-toi de préparer la salle pour l’ouverture, continua-t-elle tout en se dirigeant vers les vestiaires pour se changer. Tu sais que le Patron n’aime pas qu’on ouvre en retard.

— Ouais, ouais, je sais. Mais je n’ai jamais ouvert une seule fois en retard, même en étant à la bourre ! Rétorqua la plus jeune avec fierté.

— Tu n’as d’ailleurs jamais révélé ton secret…

— Normal, rit Esther. C’est de la magie !

— Mais oui, c’est cela… Je vais voir pour trouver rapidement quelqu’un pour remplacer Anna en salle et ainsi tu ne devras plus que te charger du bar.

— Merci, ma biche. Ce serait super. Mais si jamais ce n’est pas possible, ce n’est pas grave.

La jeune femme prépara rapidement toutes les tables, allumant les quelques fausses bougies colorées et vidant les cendriers qui avaient été oubliés la nuit précédente lors de la fermeture. Elle changea toutes les nappes à la vitesse de l’éclair et arrangea quelques fauteuils. Elle alluma la musique, les lampes et les spots, donnant une douce ambiance tamisée dans la salle, propice aux spectacles qui se donnaient sur les scènes, cages et barres. Elle en caressa une pendant un moment en souriant, tournant un peu autour sans pour autant quitter le sol, avant de se diriger vers la porte. Elle pouvait très bien s’occuper de terminer la présentation du bar en même temps que d’éventuels clients se pointent. Ce n’était jamais vraiment bondé à l’ouverture. Les heures chaudes étaient bien plus tard, quand le soleil était couché depuis longtemps.

L’Ecarlate était désormais ouvert. Elle fit un signe au videur. Greg était vêtu comme toujours d’un costard chic sans pour autant paraître trop habillé. Ce soir, il avait opté pour des tons brun taupe qui lui allait comme un gant et faisait ressortir ses yeux chocolat.

Greg était un grand homme bien bâti qui prenait son travail très à cœur pour que le groupe d’artistes et danseuses se sentent en sécurité à l’intérieur du club. Il régulait la clientèle. Certaines personnes n’avaient plus le droit de franchir les portes de L’Ecarlate pour quelques problèmes évidents. Dans ce lieu, ils faisaient du striptease. C’était clair et les artistes ne s’en cachaient pas. Mais ils ne faisaient rien de plus. Ils s’agitaient, se mettaient en valeur mais jamais, jamais, ils n’offraient plus de service à la clientèle. A l’exception des boissons s’entend. C’était la loi de la maison, la loi du Patron. Il ne tenait pas à ce que ses employés soient blessés ou malmenés dans le cadre de leur travail à cause de petits pervers en mal de sexe ! Ses employés étaient des artistes et non des putes, contrairement à ce que certains pensaient !

Esther prépara le bar selon son système de fonctionnement, ayant à portée de main les alcools et quelques suppléments qui étaient les plus populaires dernièrement. Elle renfloua le congélateur en glaçons venant de l’arrière-bar et salua ses collègues de la main quand ils entraient pour se mettre à leur place.

Hommes et femmes dansaient à L’Ecarlate devant les clients. Il y en avait pour tous les goûts et tout le monde pouvait être satisfait du spectacle. Il y avait plusieurs scènes sur lesquelles se répartissaient trois cages, sept barres verticales et une huitième un peu spéciale que l’on pouvait remplacer par un anneau suspendu à l’occasion et en fonction des artistes et leur performance.

Esther servit avec le sourire les clients, flirtant pour s’amuser avec certains d’entre eux qui avaient commencé au préalable à lui faire des avances. Elle veillait toutefois à toujours rester mystérieuse et inaccessible. Elle était Angel.

— Allez, Angie, fit Steeve, un client régulier depuis un peu plus de six mois.

Il n’était pas moche à regarder, cheveux châtains, des yeux bleus perçants, un corps banal mais un magnifique sourire. Sans parler de son sens de l’humour et de la drague.

— C’est quoi ton numéro ? Demanda-t-il.

— Mon seul numéro est celui du club, répondit Esther.

— Tu dois bien avoir un téléphone personnel !

— Peut-être … peut-être pas …, rit l’artiste derrière son bar. Mais je ne le donne pas facilement, encore moins à mon travail. Je ne confonds pas vie privée et professionnelle, mon mignon. J’aime m’amuser mais toujours dans les limites du raisonnable.

Elle vit l’homme soupirer, faignant le désespoir. Son sourire s’agrandit devant tant de théâtralité.

— Bon, il ne me reste plus qu’à trouver un autre magnifique bijou dans cette caverne d’Ali Baba, dit Steve avec un sourire, pas le moins du monde vexé.

— Je t’en prie, l’invita Esther en faisant un geste ample et gracieux du bras vers le club où bon nombre de spécimens, hommes et femmes, étaient présents. Tu as l’embarras du choix.

Ils rirent ensemble et la jeune femme continua à travailler dans la joie et la bonne humeur. Comme chaque jour depuis qu’elle vivait loin de son oncle et son mépris écrasant.

— Salut Angel ! S’exclama soudain une voix familière derrière elle.

Elle se retourna avec un sourire.

— Salut Mia ! Dit-elle en l’embrassant sur les joues. Tu n’étais pas en congé ?

— Si mais Lola m’a téléphonée pour me dire que tu étais toute seule pour le bar et la salle. Je ne voulais pas te laisser comme ça.

— Oh, tu sais … Ce n’est pas grave si je ne danse pas. On gère un peu tous le club…

— Taratata ! Écarta-t-elle d’un geste de la main avant de se pencher sur son bon de commande. Il me faut deux Kiwizz, un Bora bora, une Margarita et trois Sex on the Beach !

— Ça marche ! Répondit Esther en prenant le bon. Je te fais ça tout de suite.

Une bonne partie de sa soirée se déroula de cette façon, elle préparait verre sur verre, servait l’une ou l’autre bière et apéritif, flirtait, riait, blaguait, parfois rappelait certains clients à l’ordre sans jamais hausser vraiment le ton. Elle était peut-être petite mais son regard pouvait devenir glaçant par moment et beaucoup de clients se calmaient rapidement. Et pour ceux qui continuaient, elle appelait simplement Greg en appuyant sur un petit bouton en dessous du bar.

Alors qu’elle nettoyait quelques verres qui venaient de revenir, Lola vint la voir.

— Et Angie ! Fit-elle, enthousiaste.

— Oui, Lola chérie ? Demanda Esther, curieuse.

— Il y a un gentilhomme qui vient de payer cash cent euros pour voir le Joyau Ecarlate pour son grand show ! Il veut changer les idées de son ami, tout aussi gentleman, bien qu’un peu ronchon…

— Euh … moi, je veux bien, répondit la plus jeune. Mais… et le bar ? Qui va gérer ?

Elle n’était pas trop surprise par la demande ou même la somme offerte pour le show. Les hommes étaient capables de dépenser des folies juste pour se rincer l’œil devant un beau spectacle.

— Je vais demander à Mushu dès qu’il sort de scène, répondit Lola.

— D’accord.

Dix minutes plus tard, Mushu, un artiste d’origine coréenne vint la remplacer au bar afin qu’elle puisse rejoindre les coulisses. Elle retira ses lentilles de contact de peur de les perdre lors de sa performance. Elle n’avait pas les moyens d’en acheter de nouvelles. De plus, elle préférait de loin ne pas voir avec précision ce qu’elle faisait, encore moins le visage des spectateurs. Cela lui permettait de se consacrer corps et âme à son art. Tout ce dont elle avait besoin de savoir était où se trouvait sa précieuse barre et elle voyait suffisamment pour cela.

Elle eut à peine le temps de refermer le boitier contenant ses lentilles que Lola lui tirait déjà le bras pour l’amener doucement mais vivement sur scène. Elle sourit devant son enthousiasme comme à chaque fois. Lola était naturellement fière de sa protégée et ne se cachait jamais de le dire. Esther regarda la foule sans la voir, le regard étincelant alors qu’elle sentait son amie, collègue et mentor lui faire une caresse encourageante dans le dos.

— Et voici … Angel !

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