Angel

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Philippe Vandekerckhove était d’humeur morose depuis quelques mois. Il avait été professeur de français pendant une dizaine d’années. Déjà qu’il avait atterri dans cette profession un peu par hasard, ne trouvant pas de travail dans l’édition. Au début, l’expérience n’avait pas été trop horrible. Il espérait même pouvoir s’y plaire mais force avait été de constater qu’il détestait enseigner. En particulier à des jeunes gens qui n’en avait que faire de l’orthographe ou de la beauté de la littérature quelle que soit sa forme.

Avec le temps, l’horreur constante de voir la jeunesse renier l’orthographe française au profit du langage sms, les points généraux de ses élèves n’avoisinaient jamais plus que la moyenne, et encore seulement grâce à un ou deux excellents élèves qu’on pouvait catégoriser d’intello de la classe. Des enfants souvent brimés dans de ce genre de classes où les enfants n’avaient pas d’intérêt pour les études et qui ne se présentaient en classe que parce qu’ils y étaient obligés.

A coté de ce stress constant et les corrections de devoirs et examens plus horribles les uns que les autres, sa mère était décédée au suite d’un AVC fulgurant. Il n’avait pas eu le temps de lui dire au revoir. Entre son boulot qu’il détestait de plus en plus chaque jour et le drame familial, Philippe était tout simplement tombé dans la dépression et était depuis quelques mois en arrêt maladie.

Alors qu’il était penché sur son roman à suspense, concentré à l’extrême, il soupira quand son frère aîné pénétra dans sa chambre sans même frapper. Luc et lui partageaient la location d’un triplex. Lui vivait au troisième et laissait le reste à son frère et son neveu. Neveu qui était actuellement chez sa mère, d’où l’entrain de Luc de le faire sortir de la maison. Cela faisait quelques semaines qu’il avait cet objectif.

Fatigué de ce harcèlement continu et ayant l’angoisse de la page blanche pour le moment, Philippe céda au caprice de son frère et accepta de l’accompagner dans les rues de Bruxelles.

— Où tu m’emmènes Luc ? Demanda-t-il au bout d’une bonne vingtaine de minutes de marche et après avoir dépassé deux parcs et trois cafés.

— Dans un club assez branché et tendance en ce moment, répondit Luc. Un ami me l’a conseillé quand ça s’est fini avec Céline et j’ai pu remonter la pente. Je me suis dit que ce serait bon pour toi.

— Je ne suis pas le genre d’homme à aller dans ces boites de nuit et ces clubs, soupira Philippe. C’est ton monde, Luc. Pas le mien.

— Essaie toujours … Ce n’est pas comme si tu avais quelque chose à faire de tes journées… Donne-toi un mois à venir occasionnellement au club pour voir.

Philippe soupira encore mais n’ajouta rien. Il suivit simplement son frère à travers encore quelques rues avant d’entrer dans un club, L’Écarlate. Dès qu’il fut à l’intérieur et qu’il eut vu quelques hommes et femmes à moitié dénudés dansant aux barres et dans des cages, il jeta un regard noir à Luc qui, lui, avait un sourire goguenard.

— Sérieusement, Luc ? Une boîte de strip-tease ?

— Essaie seulement, Phil. Cela ne te coûte rien d’essayer.

Philippe leva les yeux au ciel avant de suivre son grand frère à une table faisant face à la scène. Une femme métisse en bikini à paillettes roses, une écharpe de fourrure fuchsia et tenant un plateau dans la main vint les voir, les éblouissant de son sourire.

— Bonsoir, messieurs, que puis-je faire pour vous combler ?

Luc jeta un oeil à son cadet qui ignorait volontairement la serveuse puis fit un sourire en coin, charmeur et charismatique.

— Deux Sex on the Beach, ma jolie.

— Deux Sex on the Beach ce sera, fit-elle avec un clin d’œil.

Elle revint dix minutes plus tard avec la commande.

— S’il vous faut encore quoi que ce soit, appelez-moi, dit-elle avec joie avant de s’éloigner.

L’homme ne la laissa pas partir en lui saisissant doucement le poignet. La serveuse se retourna et releva un sourcil, ne se départissant pas de son sourire. Il lui fit un signe de s’approcher. Elle se pencha et lui tendit une oreille attentive. Luc lui murmura alors quelques mots tout en lui glissant discrètement une liasse de billets. Elle rit doucement alors qu’elle se redressait.

— Elle n’était pas au programme de la soirée, mais je vais voir ce que je peux faire, promit-elle.

Elle jeta un oeil à Philippe et repartit d’un petit pas dansant en direction du bar, son plateau vide sous le bras. Luc connaissait tous les danseurs et danseuses du club et bien qu’il n’avait pas un grand attrait pour le Joyau, il savait que c’était le genre que son frère appréciait. Et puis, même si ce n’était pas le cas, il était toujours agréable d’apprécier un bon spectacle. Il jeta un regard au bar où il avait vu le dit Joyau en rentrant et apprécia de voir qu’elle acceptait de faire son show. Elle n’avait à ce jour jamais refusé pour ce qu’il en savait.

Puis, la scène se dégagea et il reconnut la serveur qui tirait le Joyau Écarlate qui semblait avoir eu tout sauf le temps de se préparer. La pauvre… Mais c’était encore mieux de la voir à l’état brut… Encore mieux pour Phil. Il préférait les femmes dans leur état naturel et justement le Joyau, Angel, était d’une sobriété sans égale. Il donna un coup de coude à son frère et lui montra la scène. La lueur dans le regard noir se fit légèrement curieuse alors qu’il détaillait le spécimen de petite taille toute vêtue de blanc présente juste à côté de la serveuse qu’ils avaient vu plus tôt.

— Et voici … Angel !

La musique commença lentement mais Luc savait que cet ange allait en donner plein la vue à ses spectateurs et encore plus à son frère car elle portait littéralement bien son nom de scène car elle allait tout simplement s’envoler. Elle était une déesse parmi les hommes et femmes adeptes de la pole-dance.

Et pour sûr ! En temps normal, la barre était fixée au sol mais Angel, elle, la pratiquait à un tout autre niveau, à la limite de la voltige ! La danseuse, alors que le rythme prit brusquement en rapidité, courut vers la barre et s’envola littéralement, les bras vers le ciel, ne se tenant accrochée que par ses jambes et son bassin.

Philippe eut un sursaut en la voyant ainsi se jeter et, surtout, en constatant que la barre n’était pas fixée au sol. Il s’attendait à un accident. Mais en voyant le visage de la danseuse, il comprit que tout était parfaitement normal et il se détendit légèrement. Angel était dans son élément, le visage animé par la passion, le regard étincelant. On pouvait difficilement en voir la couleur à cause des spots et lumières qui teintaient son corps d’une douce nuance de rouge.

Angel se balançait et semblait presque marcher sur l’air, tel un sol invisible, transpirant de grâce et de passion pour son art. Elle ne craignait de toute évidence pas le vide autour et en-dessous d’elle. Elle ne reposait que rarement le pied au sol pour se stabiliser elle et sa barre — question de sécurité sans doute — et tournoyait, jouant de la force de ses bras et de son agilité. Tantôt, elle se tenait accrochée avec ses bras, le corps complètement décollé de la barre, tantôt elle en était collée ou accrochée d’une autre manière. Elle y faisait des figures qui pouvaient s’apparenter à de la danse classique.

Soudain, Philippe porta une main à sa bouche quand il la vit complètement lâcher la barre pour ne plus que se tenir essentiellement par ses pieds et ses mollets. Luc sourit en voyant cela, son frère était totalement absorbé par la beauté et tout aussi impressionné par ce Joyau.

— Seigneur ! S’exclama-t-il.

La jeune femme venait de faire le grand écart dans les airs, ne se tenant même pas à sa barre autrement que par son bassin et le creux de son bras et agrippant un pied au-dessus de sa tête de son autre main. Puis, alors qu’elle reprenait une prise bien plus classique sur son perchoir amovible, Angel se suspendait par un bras dans le vide, bras et jambes écartées, tournoyant avec grâce dans les airs. Elle avait les yeux fermés dorénavant et semblait ne plus vouloir s’intéresser au monde qui l’entourait. Elle était dans sa bulle de paradis.

Quand la barre prit de la hauteur, l’ange s’accrocha, comme assise en tailleur et se laissa aller en arrière, la tête en bas, arquant son dos avec délice, révélant encore plus de sa poitrine généreuse et de son ventre plat sous la lumière des spots. Sans crier gare, elle lâcha les jambes pour petit à petit descendre son corps tendu sur le côté avant de finalement revenir à une position normale pour un être humain. Elle se laissa glisser jusqu’au bout de la barre de telle manière à ce qu’elle soit suspendue les bras en l’air. Elle termina son show par une toupie gracieuse et rapide à la fois avant de progressivement ralentir et de venir atterrir sur ses genoux sur le plancher que foulaient les simples mortels.

Angel écarta les bras, souriante, alors qu’elle semblait reprendre conscience du monde qui l’entourait. Puis, elle se laissa aller en arrière et fit une sorte de roue pour revenir debout sur ses pieds. Elle s’inclina plusieurs fois avant de sortir de la scène d’un pas dansant. Son show était fini. Luc la vit du coin de l’œil retourner au bar quelques instants plus tard. Cela devait être probablement son assignation de la soirée.

— Nom de Dieu ! Jura Philippe à côté de lui. Cette femme n’est pas humaine ! C’est impossible !

— A ton avis, pourquoi se fait-elle appeler Angel ? Répliqua son frère, amusé.

Il avait réussi à ramener une légère étincelle dans le regard de son petit frère. C’était déjà cela. Il ne restait plus qu’à laisser faire le temps. Soit il prendrait ce jeune spécimen en chasse hors du club, soit il retrouverait simplement goût à la vie et ses plaisirs et en chercherait un autre qui lui soit tout aussi adapté. Tant que son frère sortait de sa dépression, recommençait à vivre et peut-être même à sourire, il serait déjà amplement satisfait. Mais il ne dirait pas non au fait qu’il se case enfin… Ce serait même un bonus.

Pour le plus grand plaisir de Philippe, Angel revint deux fois sur scène ce soir-là mais jamais pour faire exactement la même performance. Ses mouvements étaient toujours emplis de cette même grâce mais elle faisait toujours quelque chose de légèrement différent, comme si elle n’avait pas une chorégraphie bien établie mais qu’elle se laissait simplement portée par la musique et ses émotions. Elle était au summum de son art, dansant pour le plaisir et leur offrant à tous ce magnifique spectacle.

Philippe prit la décision de revenir à l’occasion pour revoir cette divine créature, cette ange venue de nulle part et apprécier le spectacle qu’elle leur accordait, à eux simples mortels.

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