La petite fille

5 minutes de lecture

Perché sur la branche d'un arbre, je regarde la pleine lune. Grande, majestueuse. Lumineuse. Elle tranche avec la forêt. Pâle, brumeuse, silencieuse. Les feuilles ont si peu de couleurs qu'on croirait les arbres morts. Ou plutôt, c’est toute la forêt qui semble morte. Et parfois ce n'est pas qu'une impression. On n'entend que les croassements des corbeaux, qui pullulent, bien nourris. Les petits oiseaux ont disparu depuis longtemps, je suppose.

Qu'est-ce qui s'est passé ici ? Tout est mort ou brisé, on ne croise que des cages, des pièges, des cadavres, des toiles d'araignées et parfois des télévisions. Même le vent semble s’être arrêté de souffler dans les feuilles. Maintenant il soupire à peine.

Je ne suis pas spécialiste mais je crois que ce n'est pas normal.

Par contre, le froid est mordant. Je frissonne un peu dans mon manteau marron qui m’arrive au genou. Le sac en papier qui me sert de masque et au travers duquel je regarde le monde est légèrement humidifié par ma respiration.

CRAC ! Je tourne rapidement la tête, en alerte. Et à travers les fentes du sac en papier, je la vois.

Ce n'est qu'une petite fille. Je veux dire, vraiment petite. Non pas que je sois plus grand, mais dans ce monde tout est si gigantesque que nous autre enfants paraissons minuscule. Elle a les cheveux noirs, une robe grise, des jambes tellement fines que je me demande comment elle peux tenir dessus. Elle s'adosse à un arbre et respire, semblant avoir le souffle court. Elle a l'air mal en point. Que fuyait-t-elle ?

Puis soudainement ses yeux se dirigent vers moi. Peut-être voulait-elle seulement admirer la lune ? En tout cas, elle ne peut que me voir. J'imagine que je ne suis pas très discret, de toute façon : avec la lune derrière moi, ma silhouette se discerne aisément. Je vois mal son visage, et de fait ses cheveux mal coiffés en cachent une bonne partie. Pourtant elle dégage tout de même une certaine beauté.

Et la seule chose à laquelle je pense à cet instant, c’est que moi, par contre, avec mon masque en papier, je dois avoir l’air ridicule.

Nous nous toisons un petit moment qui me semble être une petite éternité. C'est rare de voir des enfants. Après tout, nous sommes traqués et restons souvent cachés. Mais un craquement non loin nous rappelle que nous avons baissé notre garde.

Et il ne faut jamais baisser sa garde.

Le chasseur, comme une apparition cauchemardesque, sort de derrière un arbre, fusil à la main. Il pointe son agressive lampe torche sur la petite fille. Elle ne peut rien faire. Le chasseur est au moins quatre fois plus grand que nous, il est armé d'un fusil et connaît tous les pièges de la forêt. Et pour cause : c'est lui qui les a posés. Un sac en tissu dissimule son visage. Seul un unique trou, au milieu, lui permet de voir.

Et cet « œil » fixe la petite fille.

Elle n'a aucune chance. Pourquoi mon cœur se serre-t-il à cette idée ? Ce n'est pas comme si c'était la première fois que j'assiste à ce genre de situation. Ni comme si j'y pouvais quelque chose. Je n'arrive pourtant pas à détacher mes yeux de la scène qui se joue en contrebas.

La petite fille esquisse un mouvement de fuite, mais le chasseur ne prend même pas le temps de charger son arme. C'est le canon qui la frappe directement, l'étalant au sol dans les feuilles mortes. L'homme, si on considère que ce monstre est encore homme, n'a qu'à se pencher pour la ramasser.

Il relève la tête. Quel idiot, je n'aurais pas dû rester planté là à rien faire ! Et s’il me voyait ? Il balaie la zone du regard, puis de sa lumière. Je ne peux que me coller à la dure écorce de l’arbre, en espérant me confondre avec ce dernier. Me fondre dans l'obscurité.

La lumière passe sur moi. Je retiens mon souffle. J’entends mon cœur battre et le sang pulser dans mes tempes.

Mais la lumière ne s’arrête pas. Le chasseur ne m'a pas vu. Il repart alors, tenant fermement son butin. La fille semble être une poupée de chiffon dans sa large main.

Je respire à nouveau, le cœur encore tambourinant. Je vais vivre encore un peu.

Que va-t-il faire d'elle ? Je l’ignore. Peut-être qu’il mange ses proies... Même si vu notre petite taille, ce doit à peine être un apéritif pour lui. En fait, je préfère ne pas y penser. Tout est atroce. Et puis, de toute façon, qu’importe son futur, je vais devoir m'y faire. Il n'y a plus d'espoir. Encore une âme innocente balayée par ce monde cruel. Une de plus. C'est comme ça. Il est difficile de vivre dans ce monde. Je le sais bien. Ça ne m’empêche pas d’avoir l’estomac noué.

Je saute de mon perchoir, m'agrippant à des branches, l’une après l’autre, pour ne pas tomber comme une pomme de pin. Et m’éclater par terre façon "tomate pas fraiche". Par chance, je suis assez agile. Ce n’est pas comme si j’avais le choix, remarque. C'est ça ou... finir comme tous les autres.

Avant il y avait plein d’enfants. Plus maintenant. Les chasses partout dans le monde ont eut raison d’eux. C'est la loi de la nature, n'est-ce pas ? Nous, nous sommes des rescapés. Et cette fille en était une aussi. Jusqu’à maintenant.

Alors, après que mes pieds heurtent la terre je marche seul dans la forêt, tâchant d'éviter les cages, les trappes et les pièges à ours, au milieu des odeurs de sous-bois et de pourriture. Une grande lassitude m'envahit. Je suis fatigué. Il me faut un endroit calme, puisque visiblement la branche d'un arbre ne l'est pas assez.

Je m'arrête dans une clairière. Il y a une petite télévision au milieu, qui semble abîmée. Mais rien d’étonnant à cela, il y en a pas mal dans ces bois. Je n'aime pas trop les télévisions mais, celle là n’étant pas allumée, je crois que je ne risque pas grand chose. Peut-être même qu'elle pourra me protéger du froid, ou au moins me cacher un peu.

Je m'allonge donc à côté et m'oblige à dormir, malgré mes pensées tourbillonnantes et le regard de cette fille ancré dans ma mémoire.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 7 versions.

Vous aimez lire Théo The Théol ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0