Prémices
Un couloir. Un long et étrange couloir bleu, tordu, ondulant. Une porte au fond. Mais il y a comme un grésillement, comme un brouillard qui la masque. Comme une interférence. Je m'approche. Lentement. Sans toucher les dalles au sol, qui flottent. Cette porte… Je veux l’ouvrir. Je meurs d’envie de l'ouvrir. Il y a comme des particules noirs qui volent ça et là. Comme des cendres. Et un bourdonnement dans ma tête. Je m'approche encore. Encore. Je suis presque devant la porte. Dans le bois est gravé une sorte d'oeil. Je vais l’ouvrir. Je sens presque la fraîcheur de la poignée qui brille. Encore un peu plus…
Je m'éveille en sursaut, en haletant, en sueur. Qu’est-ce que… Un cauchemar ? Je reprend lentement mes esprits, puis me tourne vers la télévision. C'est étrange, il m'avait semblé qu'elle s'était allumée... Non, ça doit être un effet du cauchemar, je suis mal réveillé. Quand même... C'était... assez réaliste. Et déroutant. Cette porte… j’ai encore l’impression qu’en tendant la main, je pourrais l’ouvrir.
Bon, je suppose que c'est un signe, dans un sens. Le signe qu'il faut me mettre en route. Une pâle lueur illumine la clairière. Je suppose qu'il fait jour, mais cette forêt est tellement sombre qu'il est difficile de faire la différence avec la nuit. Et puis avec cet éternel brouillard, même le soleil, s'il existe encore, ne pourrait probablement pas se frayer un chemin.
Quelques feuilles mortes craquent sous mes pas. J’apprécie ce son, depuis toujours. Je fais quelques sauts dans les feuilles mortes, juste pour le plaisir de les voir virevolter autour de moi. Ce n'est pas parce que ce monde est pourri qu'on ne peut pas profiter de ce genre de petit plaisir, si ?
Mais rien ne saurait me faire oublier que je suis en danger si je suis immobile. Même la joie est mêlée de crainte.
Alors je me remet en route. J'enjambe ce qui fut peut-être un jour une rivière. Sur une rive, des insectes s'agitent autour d'une substance peu ragoûtante. Et vu l'odeur... pouah, je ne veux pas en savoir plus.
Sans savoir où je vais, j’emprunte un petit tunnel. Ma petite taille a aussi ses avantages, je passe sans mal. Souvent, je me demande : Qui a creusé cela ? Un être vivant ? La nature ? Mais en vérité, qu'importe. La curiosité un défaut mortel, de toute façon.
Mon esprit n’est pas très concentré. Cette porte… J’ai l’impression de l’avoir déjà vu. Peut-être ai-je déjà rêvé d’elle. Oui, c’est ça, je l’avais déjà vu en rêve. Probablement plusieurs fois. C’est curieux, et irrationnel, mais… je crois que je dois retrouver cette porte. Comme si elle m’appelait...
Un rire nerveux m’échappe. Et puis quoi encore ? J’ai vu une petite fille se faire capturer et maintenant mon but dans la vie est d’ouvrir des portes. J’ai craqué, je crois. Allez, Mono, reprends tes esprits.
Je passe devant un piège, en hauteur, suspendu aux branches d’un arbre. Un piège qui fut vraisemblablement efficace. Des bras et des jambes pendouillent du filet, pourrissant et attirant les mouches. L'odeur est... indescriptible, et pas dans le bon sens. Ce spectacle me dégoûte toujours autant. Je suis déjà passé devant, il y a quelques lunes.
Je suis ici depuis trop longtemps. J’avais pris un bateau pour traverser l’océan et me réfugier dans ces bois. J’ai voulu fuir la ville qui se changeait en enfer. Je ne pouvais pas savoir que la forêt aussi serait finalement corrompue par la folie virale de la transmission. Je ne sais pas si un morceau du monde est encore épargné, à présent.
Las, je m'assoie sur un rocher et j’enlève mon masque en papier. La fille... qu'est-elle devenue ? Sûrement morte à l'heure qui l'est. Quoique le chasseur ne l'a pas tuée tout de suite, alors... Non, je me fais des idées. Elle est morte, point. Et pourtant... Je ne sais pas. J'aimerais la revoir. J'aimerais avoir quelqu'un avec qui parler, quelqu'un avec qui jouer, même. Cela fait si longtemps que... Rah, mais qu'est-ce qui me prend ? Je dois survivre, m'apitoyer ne va pas m'aider. Je me lève de mon rocher et continue. Pourtant tout me ramène à elle.
J’ai vu beaucoup d’enfants. Beaucoup sont morts. Mais elle… elle dégageait quelque chose. Quelque chose de spécial. Quelque chose qui me fait dire que j’aimerais qu’elle ne finissent pas comme les autres et qu’elle pourrait être bien plus.
Elle était en vie la dernière fois que je l'ai vue. Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir, non ? Peut-être... qu'il faudrait que j'essaie de faire quelque chose ? Peut-être que je peux l'aider ? Faire une bonne action. Au moins une fois. Je ne devrais pas le faire. L'aider serait me mettre en danger. Mais... ne rien faire pour elle me pèse.
Bon... Ma décision est prise, même si je sens que je vais la regretter. Est-elle juste prise sur un coup de tête ? Je ne sais, pas, mais pour une fois je décide d’écouter mes envies.
Et elles me disent que j’en ai assez d’être seul. J’ai envie de parler, de rire avec quelqu’un. De ne plus seulement entendre mes pas dans les feuilles. Quelque chose est spécial avec cette fille, hors de question qu'elle serve de trophé au chasseur.
Je remets en place mon masque en papier d'un air déterminé. En vrai, c'est vraiment pour me donner de la contenance, je suis loin d'être aussi assuré. Et puis... je n'ai rien d'autre à faire de toute façon. Enfin... rien dans l'immédiat.
C’est le chasseur qui l’a emmené. Je ne vois qu’un lieu où elle pourrait être si elle est encore en vie : sa cabane. Bon, je connais ma destination alors. Je passe au dessus d'un précipice, utilise une grande cage pour monter sur un bord trop haut pour moi. En bref, je dompte mon environnement avec mon environnement. J’ai appris à m’adapter dans ce monde trop grand.
Il faut aussi toujours faire attention, puisque le moindre obstacle peut-être synonyme de mort. Je grimace lorsque les racines me griffent et agrippent mes vêtements, et puis….
Crrrr…
Je sursaute. Un réflexe de survie me pousse à faire un bond en arrière. Et heureusement.
Dans un vacarme assourdissant, un tronc tombe juste à côté de moi, manquant de m’écraser. Je n’ai rien mais… c’était moins une.
Si c'est un signe, on ne peut pas dire qu'il soit de bon augure. En tout cas, super l'arrivée discrète, la forêt entière doit être au courant, maintenant. J'espère que le chasseur a autre chose à faire que d'aller voir un tronc...
Allez, Mono, qu'est devenue ta motivation ? Tu veux aider cette fille, oui ou non ? C’est pas un tronc qui va te faire peur ! Même si il a failli t’écraser la cervelle… Je me relève. De toute façon je ne vais pas rester planté là. Le tronc ne m’a pas tué, alors allons-y.
Plus j'avance, plus je croise de pièges. Des pièges à ours, des cages, des filets… Je suppose que je me rapproche. Je les déjoue tous. J’ai l’habitude. Soit en les évitant bien gentiment, soit en les désamorçant en jetant des trucs dessus. Cailloux, pommes de pin, branches, chaussures de cadavre (beurk), tout est utile. Les pièges à ours sont particulièrement effrayant, ils se ferment si violemment dès qu'un projectile les atteint, je ne peux réprimer un petit sursaut. Imaginer ces dents d'acier qui entrent dans ma chair... brr. Qu'est-ce qui me prend de me torturer comme ça, moi ?
Puis, enfin, c’est bon. Je la vois. Une maison tout en bois, sinistre, à l'image de la forêt qui l'abrite, entourée de cages et de caisses en tout genre. Elle semble si vieille que c'est presque un miracle qu'elle tienne encore debout.
La cabane du chasseur.
Je prend une bouffée d'air. Bon. C'est le moment d'être courageux.
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