La fuite
Mon cœur rate un battement. Comme par réflexe, j'attrape la main de Six. Je regrette presque aussitôt ce geste mais elle ne fait rien pour s'en défaire, au contraire elle la serre aussi. Je sens sa terreur et sans doute elle sent la mienne.
Voir le chasseur de haut était déjà impressionnant. Devoir lever la tête pour le regarder le rend plus monstrueux encore. Il a un large manteau vert et usé, des bottes en cuirs brun foncé et un vieux pantalon aux couleurs tout aussi austères. Même de dos, il est immense et on discerne le sac de toile qui couvre son visage. Il se tient devant une petite fenêtre, seule source de lumière... et son ombre prend toute la pièce.
Je comprend la provenance du son. Je la dinstingue mal cependant. Le chasseur est occupé sur quelque chose, à son établi. Il semble tirer un morceau de viande, ou le découper. Je ne vois pas bien, mais honnêtement, je ne suis pas certain de vouloir en savoir plus. Ce pourrait être nous, sur cette table...
Six exerce une petite pression sur ma main, m'arranchant à cette vision d'horreur. Elle pointe l'autre bout de la salle. Il y a une porte, mais elle est bien trop immense pour nous. Je la regarde avec incompréhension. Elle lève les yeux au ciel et pointe légèrement à côté. Je fini par comprendre. C'est une vieille planche qui, au vu de la lumière qui passe à travers, donne sur l'extérieur. J'hoche la tête. C'est notre chance.
Main dans la main pour nous donner du courage, nous avançons prudemment dans l'immense ombre du chasseur. Sur la pointe des pieds, le plus discrétement possible. Ce n'est plus le moment de plaisanter, si proche de ce prédateur le moindre mouvement brusque, le moindre son, le moindre claquement de dent sera synonyme de mort.
Crrr...
Je retiens ma respriration plus que jamais. Les planches grincent... Et j'ai comme l'impression que mon coeur est aussi bruyant qu'une fanfare. Fort heureusement, le chasseur ne semble pas s'en appercevoir et continue son..."oeuvre". Ouf... Six à peur aussi, je le sens, elle me tire légèrement le bras pour avancer. Nous arrivons au bout de la salle, à la vieille planche. Les yeux de Six sont déterminés lorsqu'elle les tourne vers moi dans un échange muet.
"On a pas le choix" semblaient-ils dire. Puis, en pointant la planche du menton : "Il faut la pousser".
Soit... Dans ce cas, allons-y. Je pousse avec son aide. La place recule, et la lumière de l'extérieur nous encourage à pousser plus fort.
Jusqu'à ce que la planche cède dans un craquement sonore qui résonne dans la salle. Nous dégringolons de l'autre côté du mur, dans l'herbe. Nous sommes sortis ! Pourtant notre joie est très relative.
Car il est évident que ce boucan a alerté le chasseur.
- Cours ! me crie Six, qui part sans moi.
Je la suis volontiers. Mais j'ai fait à peine quelque pas que la porte derrière nous s'ouvre à la volée. Le chasseur nous regarde, de son oeil unique caché par son espèce de sac en tissu, fusil à la main. Et il est bien décidé à nous ajouter à son tableau de chasse...
La détonation semble me transpercer. Quelque chose devant mes yeux passe si proche de moi que c'est un réflexe inespéré qui me sauve. La balle est enfoncée dans la terre comme elle a faillit l'être dans mon crâne.
J'ai failli mourir.
J'ai failli mourir.
Mon corps se glace, mon coeur remonte dans ma gorge. J'ai plusieurs fois frôlé la mort, mais rarement de si près. Le Chasseur n'a pas hésité une seconde. Il veut ma vie.
Je me débarasse de cette pensée paralysante. Il faut courir, si on se laisse avoir par le choc, on est mort. Je le sais. Je l'ai vu.
Six a bien compris ça. Je la vois devant et tente de la rattraper.
Je ne peux retenir un regard en arrière. Le Chasseur charge son fusil une fois de plus. Puis le braque sur nous.
D'instinct, je suis Six et me réfugie derrière une cage que le chasseur a encore laissée trainer.
Une autre détonation. Un choc violent.
La balle s'est logée dans la cage, qui a éclatée sous l'impact. Mais nous sommes indemnes. Heureusement pour nous, on dirait que le Chasseur laisse trainer ses affaires...
- Vite ! fait Six en détalant à toute vitesse.
Je la talonne, espérant qu'on pourra semer cet homme. J'entend ses pas, lourds. Son fusil qu'il recharge. Je trébuche mais me relève aussitôt. Je manque d'air, et mes côtes commencent à me faire souffrir, mais il faut fuir !
Je n'ai pas fait attention, mais je ne vois plus Six ! Où est-elle partie ?
La réponse m'apparaît sous la forme d'une chute. Le sol se dérobe sous mes pieds, et je tombe dans une sorte de petite caverne. Une main se pose contre mon sac en papier, à l'endroit de ma bouche, étouffant un petit cri de surprise.
- Chut.
C'est Six. Sa petite main serrée contre ma bouche. A bien y regarder, nous sommes dans le renforcement d'un mur. Je me tais, conscient qu'avoir peur pourrait me coûter cher.
Les pas se rapprochent. Le plafond de terre tremble. Il est juste au dessus de nous. Je vois le faisceau de sa lumière devant nous. Il nous cherche.
Et cela veut dire qu'il ne nous a pas trouvé. Qu'il ne nous a pas vu nous cacher.
Le temps semble se suspendre, s'allonger.
Puis, lentement, les pas reprennent, et se font de plus en plus lointains.
Je respire. On vivra encore un peu plus longtemps.
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