Chapitre 1 - Achalmy
An 500 après le Grand Désastre, 1e mois de l’automne, au pied des collines de Minosth, Terres de l’Ouest.
Les chênes et frênes du domaine de Zane s’étaient colorés de jaune, rouge et orange. Les dernières traces vertes provenaient des aiguilles des résineux et de la colline au pied de laquelle la cabane était installée. Mon ancien maître avait autrefois acheté les terres à des fermiers du village d’à côté pour une somme misérable – la proximité avec les Collines de Minosth et ses bandits ne facilitait par les cultures.
À présent, le Maître d’Armes Zane Soho était connu à travers tout l’Ouest et le Nord pour son enseignement de l’art du combat. Il avait formé une cinquantaine d’élèves depuis une dizaine d’années, certains pendant quelques mois, d’autres durant toute leur enfance – comme moi. C’était un homme patient, bienveillant et rigoureux, des qualités plus qu’essentielles quand on devait former des enfants ou des adolescents retors et arrogants. Zane avait éduqué les filles et fils des Nobles alentour, mais aussi de simples fermiers ou de Chasseurs venus du Nord. Il me semblait même qu’une marchande sudiste lui avait envoyé un fils pendant une saison.
Sa réputation n’était plus à faire. Et Mars expérimentait à présent ses remarquables talents de combattant.
J’avais rencontré l’Occidento-Sudiste quelques mois plus tôt, alors que je descendais vers Vasilias dans le but de retrouver Alice. Le Souffleur – qui était en réalité un guérisseur – avait tenté de m’arrêter afin de se remplir les poches grâce à la prime offerte pour ma capture. Il s’était révélé être un piètre combattant et m’avait supplié de l’épargner. Alors que je pensais ne jamais revoir le bougre, il m’avait ensuite sauvé la mise en me libérant de la troupe occidentale qui avait réussi à me capturer. Nous avions voyagé ensemble pendant quelques temps avant d’être séparés de nouveau. Je l’avais abandonné au beau milieu de la nuit – entre les mains bienveillantes de Vanä – dans le but d’accélérer la cadence pour atteindre Ma’an. Rongé par la culpabilité de l’avoir laissé seul et de ne pas avoir remboursé ma dette auprès de lui, je l’avais retrouvé en compagnie de Vanä après les événements du Noyau. Il en avait pleuré de joie.
Les larmes qui coulaient à présent sur ses joues étaient en revanche pleines de douleur et de colère.
— Mars, lançai-je en me laissant tomber de la barrière qui délimitait l’arène de sable où l’on s’entraînait au maniement des armes. On reprendra plus tard, repose-toi.
Le jeune homme, prostré par terre, secoua vigoureusement la tête. Les lèvres pincées, ses yeux ambrés larmoyants plantés dans ceux de Zane, il lui tint tête jusqu’à ce que mon ancien maître soupirât.
— Al n’a pas tort, marmonna Zane en se frottant la nuque. Tu t’entraînes sans relâche depuis deux semaines, ton corps comme ton esprit sont à bout.
— Je peux encore me battre, répliqua-t-il avec humeur en se redressant péniblement.
En constatant que ses jambes tremblaient, je me déplaçai derrière lui et lui donnai un petit coup dans le genou. À bout de forces, il s’écroula aussitôt dans le sable.
— Mars, murmurai-je en m’accroupissant près de lui, c’est pas comme ça qu’on apprend.
— Je veux être fort, susurra-t-il en levant les yeux vers moi. Peut-être pas aussi fort que toi ou Maître Soho, mais plus fort que je ne le suis actuellement.
J’esquissai un sourire et l’attrapai par le col pour le redresser. Il avait des grains de sable coincés dans la barbichette à son menton.
— Tu es devenu bien plus doué depuis ce jour où tu m’as affronté.
Le souvenir douloureux de notre rencontre éclata dans ses iris d’ambre.
— Tu aurais pu me briser les jambes et je n’aurais rien pu faire contre, déclara-t-il à tout vitesse dans un souffle haché. J’étais faible, pleutre, et je le suis toujours.
Agacé par son apitoiement, je le forçai à me regarder bien en face.
— Si tu manquais effectivement de capacités quand je t’ai rencontré, tu es aujourd’hui plus doué. Quant à la lâcheté… (Je pouffai, ce qui le fit rougir d’embarras.) Je ne trouve pas que tu t’es montré lâche lorsque tu as débarqué parmi une troupe royale afin de me faire libérer. Ni lorsque tu as voulu m’accompagner en direction de la ville la plus dangereuse d’Oneiris.
— C’est parce que tu étais avec moi, avoua Mars en baissant le menton. À tes côtés, je me sens invincible. Seul… c’est différent.
J’entendis Zane rire sous cape. À mon tour gêné par les propos de Mars, je grommelai avant de répondre :
— Moi aussi, je me sens plus fort lorsque je suis accompagné. Ceci nous concerne tous, Mars. Et… par les Dieux, essaie d’avoir plus confiance en toi et en tes capacités. Il n’y a pas beaucoup d’Hommes capables aussi bien de guérir que d’allumer un feu ou de tirer à l’arc.
— Tu es d’ailleurs plutôt doué pour ça ! intervint Zane en s’approchant de son nouvel élève. Pour le lancer de couteaux, c’est autre chose… mais les arcs, tu sais comment te débrouiller.
Le jeune homme rougit de plaisir et ramassa son béret qui traînait sur le côté pour se cacher le visage. Avec un soupir, je me relevai puis tendis la main à mon ami.
— Merci, chuchota Mars en acceptant mon aide.
Je haussai les épaules puis sortis de l’arène.
Nous étions ici depuis deux semaines. Après avoir quitté le Noyau, Alice, Soraya, Wilwarin et moi nous étions dirigés vers Ma’an, où nous avions retrouvé Vanä et Mars. Après quelques échanges, les deux Orientaux étaient repartis chez eux afin de faire leur rapport au haut-conseil de l’Est, l’Épine. Soraya ayant refusé de retourner au Palais d’Or, elle nous avait accompagnés jusqu’à Vasilias, où Alice s’était payé une place à bord d’un navire en direction de Mor Avi. La Sudiste s’était décidée à l’accompagner, ce qui avait allégé ma conscience. J’étais mort de trouille à l’idée de laisser Alice voguer seule vers les Terres au-delà des Mers. Elle s’était évidemment endurcie au cours de nos péripéties avec les Dieux, mais elle gardait une certaine naïveté et une trop grande empathie. Des facteurs agaçants qui la rendaient incapable de blesser autrui – et donc de se protéger elle-même. Soraya Samay était une Élémentaliste tout à fait convenable et une femme qui n’avait pas peur de s’affirmer. J’espérais qu’elle saurait protéger Alice si nécessaire.
Après avoir quitté les deux jeunes femmes, Mars et moi avions traversé l’Ouest jusqu’au domaine de Zane. En plus de présenter mon récent compagnon à mon ancien maître, cette pause nous avait permis d’apprendre à Mars les bases du combat armé. Et il en aurait bien besoin s’il s’entêtait à m’accompagner dans le Nord.
Car là où j’allais, aussi bien des bêtes sauvages que des clans nordistes agressifs nous attendaient. Si la mission d’Alice la menait jusqu’à Mor Avi, mon propre objectif se situait loin au nord, au niveau de la chaîne de montagnes qui délimitait mes Terres. C’était là-bas que Galadriel soupçonnait le Dieu de l’Espace de s’être exilé. L’essence d’Eon se trouvait encore sur Oneiris, mais elle était trop diffuse pour que les divinités protectrices pussent l’atteindre. C’était, du moins, les dires de Galadriel. J’espérais sincèrement que la Déesse de la Vie ne se trompait pas. Dans le cas contraire, ce serait une sacrée trotte réalisée pour rien.
Mars traînait les pieds derrière moi tandis que nous nous dirigions vers la petite masure où Zane rangeait les armes, armures et autres outils. Malgré mes encouragements, le Souffleur gardait une mine sombre et un regard lointain. Il s’était entraîné dur depuis deux semaines pour apprendre l’essentiel du combat et la fatigue devait commencer à lui ronger le moral.
— Je crois qu’il y a de la truite pêchée dans la rivière voisine et des légumes marinés pour midi, annonçai-je par-dessus mon épaule, espérant raviver l’étincelle de vie au fond de mon ami.
Il marmonna quelques mots incompréhensibles en guise de réponse. Je me tournai vers lui et tendis la main. Étonné, Mars haussa un sourcil sombre.
— Ton épée, ajoutai-je avec un demi-sourire devant sa confusion.
Il me la donna maladroitement et me suivit à quelques mètres de distance pendant que je rangeais l’équipement dans la petite masure. J’inspirai avec plaisir l’odeur de métal, de graisse et de cuir. Du bout des doigts, je frôlais les protections légères dont je m’étais paré pour apprendre les postures de défense, les épées en bois pour esquisser des tactiques offensives, les cibles en liège criblées de trous – flèches, projectiles, couteaux – et les pièges dont se servait Zane pour me mettre à l’épreuve.
J’avais passé de riches années à ses côtés, alternant entre les armes et les chiffres. Mon ancien maître n’avait négligé aucun pan de mon éducation : histoire, littérature, mathématiques, sciences et art du combat. Plus qu’un simple mentor, Zane avait été un véritable père de substitution.
— Al ! lança la voix de Zane depuis l’arène. Une fois que tu auras terminé de ranger l’équipement, tu pourras me retrouver près du grand chêne ?
— Ouais ! répondis-je aussitôt, non sans me demander la raison pour laquelle il voulait me voir seul à seul.
Mars m’aida à ranger les armes et morceaux d’armures qu’il avait utilisés pendant son entraînement puis se dirigea vers la cabane principale pour aider à la préparation du repas. J’attendis quelques instants qu’il se fût éloigné pour m’approcher du plus haut arbre du domaine. Zane attendait sous ses branchages orangés, les yeux levés vers le ciel et un léger sourire aux lèvres. Mon ancien maître appréciait la nature et sa beauté brute. Sûrement l’une des raisons pour lesquelles il s’était installé dans l’Ouest. Les paysages y étaient plus variés et épargnés de la neige éternelle.
— Tu voulais me voir, soufflai-je d’une voix intriguée en allant m’appuyer contre le tronc épais du chêne.
Il m’adressa un regard bienveillant. Les feuilles colorées se reflétaient dans ses yeux bleu marine. Avant de prendre la parole, il posa la main sur le manche d’une arme à sa hanche que je n’avais pas remarquée jusqu’ici.
— Je ne voulais pas que Mars écoute cette conversation, expliqua doucement mon maître en m’adressant un clin d’œil.
Je sentis une boule d’appréhension se loger dans ma gorge malgré le ton léger de Zane. Que cachait-il à Mars ?
— C’est à propos du voyage ? demandai-je aussitôt en fronçant les sourcils. Crois-moi, Zane, j’ai tout fait pour le raisonner. Mais se borne à vouloir m’accompagner.
Mon maître s’esclaffa puis secoua la tête, sourire aux lèvres.
— Je sais tout ça, Al. Connor et moi-même avons essayé de le convaincre de laisser tomber. Mais nous avons dû nous rendre à l’évidence : Mars veut absolument partir avec toi. Grand bien lui fasse, je crois que ce voyage l’aidera à grandir sur de nombreux plans.
Surpris des propos de mon ancien maître, je ne répondis pas tout de suite. Si ce n’était pour me rappeler les dangers auxquels j’allais exposer Mars, de quoi voulait-il me parler ?
— Je voulais simplement te demander ton avis, cher élève, souffla Zane d’un air amusé en constatant mon impatience.
— « Cher élève » marmonnai-je d’un air boudeur avant de reprendre mon sérieux : mon avis à propos de quoi ?
— De cette lame.
Précautionnent, il détacha l’étui à sa taille et me le déposa entre les mains. Un katana, d’une taille identique à celle de Kan, le plus petit de mes deux sabres. À voir son fourreau vierge de coup, son manche aux tissus vivement colorés et sa garde étincelante, l’arme était neuve ou presque. Intrigué, je dévisageai Zane en la sortant de sa gaine. La lame était belle et, je n’en doutais pas, terriblement tranchante. Avec quelques gestes vifs, je testai sa souplesse et son équilibre. Je n’avais rien à redire – si ce n’était que je m’étais déjà habitué à mes propres sabres. Néanmoins, je soupçonnais Zane de vouloir l’offrir à quelqu’un d’autre que moi.
Avec un sourire, je soupesai le katana entre mes paumes puis lâchai :
— Mars va l’adorer.
Une lueur satisfaite éclaira les prunelles bleutées de mon mentor.
— Tu penses ? J’espère qu’elle n’est pas trop lourde pour lui.
— Non, ça devrait aller ! le rassurai-je en la tendant de nouveau face à moi pour en admirer la finition. Tu l’as fait forger il y a combien de temps ?
— Je suis allé la chercher ce matin chez le forgeron du village, me révéla Zane avec un sourire crispé. À un jour près, je ne vous la donnais pas à temps…
— Nous aurions décalé notre départ, on n’est pas à un jour près, lui appris-je avant de ranger la lame dans son étui. C’est un très beau présent que tu lui fais. Il va être ravi et honoré.
— Connor a participé, prit bon de préciser Zane en récupérant le fourreau. Et… je me suis attaché à ce maladroit. Je lui retrouve un petit quelque chose de toi quand tu étais plus jeune. Comme il n’a pas d’arme digne de ce nom, j’ai pensé que c’était l’occasion de lui offrir une lame correcte qui l’accompagnerait pendant plusieurs années.
— Vous avez bien fait !
Alors que Zane m’adressait un énième sourire satisfait, je m’enquis en marmonnant légèrement :
— Mais pourquoi papa et toi ne m’avez pas prévenu ? J’aurais pu participer au financement de la lame… Elle a dû vous coûter cher.
— Elle coûtait le prix qu’elle valait, se contenta de répondre Zane d’un air mystérieux avant d’ajouter : et Connor et moi ne voulions pas te vider les poches alors que tu as peu de revenus. Comme nous gagnons de l’argent grâce à nos professions respectives, nous pouvons nous permettre ce genre d’écart. Pour toi… c’est plus délicat.
— Je ne suis pas si pauvre, maugréai-je, néanmoins reconnaissant qu’ils eussent pensé à ma situation actuelle, plutôt délicate. Mais… merci. Ça me fait plaisir que vous pensiez à Mars.
— C’est tellement rare de te voir t’attacher à quelqu’un, avoua Zane d’un air penaud. Connor et moi voulions marquer le coup.
Ses propos me crispèrent pendant quelques secondes. Je ne pouvais pas le contredire. Déchiré par l’abandon de mon père et hanté par la mort de ma mère, j’avais toujours été réticent à lier des amitiés avec mes diverses rencontres. Que ce fussent des Chasseurs avec qui j’avais partagé un coup à boire ou des filles que j’avais serrées contre moi pendant une nuit, j’avais toujours pris soin de disparaître assez rapidement. Avant ma rencontre avec Alice, et si ce n’étaient Zane et mon père, je n’avais aucune relation proche.
Il avait fallu attendre l’arrivée de la princesse dans ma vie pour que je découvrisse des personnes avec lesquelles j’avais envie de passer du temps. Vanä, Mars, Wilwarin… et, bien sûr, Alice. Chacun avait réussi à faire sa petite place au sein de mon cœur, marquant mon esprit par sa marginalité ou sa bienveillance. Car il me semblait que c’était quelque chose qui avait manqué à ma vie. Depuis mon plus jeune âge, j’avais vécu dans des contrées hostiles, entouré d’un peuple rude et prompt à verser le sang. Je m’étais entraîné au combat pendant des années, persuadé que ce serait ma raison de vivre et mon gagne-pain jusqu’à la fin de mes jours.
À présent un peu plus mature et fort de rencontres diverses, je songeais doucement à ce que la vie pouvait offrir de moins brut et sauvage. Après avoir fait couler le sang – celui des adversaires ou le mien – pendant des années, après avoir donné ma vie pour les Dieux, je songeais que mon destin ne tenait parfois qu’à un fil.
Et que je devais prendre soin de ce fil.
Le fourreau en partie caché derrière son dos, Zane pénétra dans la cabane juste derrière moi. Une forte odeur d’épices régnait dans l’habitation. Mon estomac se réveilla aussitôt, arrachant un sourire à Zane lorsqu’il l’entendit gargouiller.
— Toujours présent pour manger, murmura mon ancien maître tandis que nous nous déchaussions.
— C’est essentiel pour vivre, répliquai-je d’un ton pince-sans-rire avant de lui adresser un large sourire. J’apprécie les plaisirs de la vie, c’est tout.
Après nous êtes débarrassés de nos vestons, nous rejoignîmes Mars et mon père, occupés à mettre le couvert. La marmite laissait s’échapper un délicieux fumet. Une boule de pain dépassait à moitié d’un torchon sur la table. Sans attendre plus longtemps, j’attrapai un couteau et en tranchai une part. Je la coinçai aussitôt entre mes dents.
— Al, soupira mon père en me jetant un regard désapprobateur. Bientôt dix-neuf ans et toujours un enfant désobéissant…
— Moi, je l’ai bien élevé, je ne sais pas d’où il tient ça, bougonna Zane et glissant discrètement le sabre derrière deux sacs de grains.
Connor et Mars rirent doucement puis entreprirent de servir les bols. La truite était frite et assaisonnée d’épices venues du Sud. Quant aux légumes, les avoir fait mariner dans du bouillon avait rehaussé leurs saveurs.
— Toujours aussi bon, Connor, souffla Zane en jetant un regard reconnaissant à son ami d’enfance.
— Merci, murmura mon père, tandis que Mars renchérissait sur les compliments.
Comme j’étais occupé à mâcher, il me jeta un coup d’œil rapide avant de retourner à son assiette. Je grommelai intérieurement. Depuis que je l’avais retrouvé au campement de la Maturité, mon père ne cessait de chercher mon approbation. À croire que les rôles étaient inversés.
Zane attendit la fin du repas pour offrir son présent à Mars. Alors que les deux adultes et le guérisseur se réchauffaient avec des tisanes, mon ancien maître se leva.
— Mars, nous avons quelque chose pour toi, déclara-t-il d’une voix mystérieuse.
Mon ami se raidit sur sa chaise et leva un regard stupéfait vers Zane. Ce dernier se pencha légèrement vers lui et souffla :
— Je vais te demander de fermer les yeux.
Sans broncher, le guérisseur s’exécuta aussitôt. D’une démarche souple, Zane alla récupérer le fourreau caché derrière les sacs de grain puis le déposa délicatement sur la table à manger. Les épaules de Mars tressaillirent lorsque l’étui produisit un petit bruit mat.
— Tu peux rouvrir les yeux, souffla gentiment mon père.
Presque timidement, Mars entrouvrit les paupières puis observa l’arme sans réagir. Il chercha des explications auprès des deux adultes puis tourna la tête vers moi. Je haussai les épaules puis lâchai :
— Regarde de plus près.
Avec des mains tremblantes d’anticipation, le Souffleur souleva le fourreau, écarquilla les yeux, puis tira lentement le manche. Sa bouche se décrocha lorsque la lame brilla sous la lumière douce de cette belle journée d’automne.
— C’est… pour moi ? murmura-t-il avec stupéfaction en nous dévisageant à tour de rôle.
— Il semblerait, le raillai-je avant de rouler des yeux. Ben oui, imbécile.
Ses joues s’empourprèrent, mais je savais que ce n’était pas à cause de ma moquerie. Il était touché par le geste, ne se sentait peut-être pas à la hauteur d’un tel présent, avait honte de la somme qui avait dû être dépensée pour l’achat. Je connaissais bien ces sentiments : je les avais expérimentés lorsque mon père m’avait transmis Kan et Eon, les deux sabres élémentaires qui m’accompagnaient depuis plus de deux ans. Héritages de mes familles paternelle et maternelle, les deux lames étaient à présent ce que j’avais de plus précieux.
— Je… bredouilla Mars en observant le katana sous toutes les coutures. Je… n’ai pas les mots. (Il posa des yeux embués sur les deux hommes et moi-même avant de reprendre d’une voix étranglée d’émotion :) Merci beaucoup. Vous n’avez pas idée d’à quel point ça me touche. Je vous suis extrêmement reconnaissant.
— Je n’y suis pour rien, révélai-je avec un sourire contrit. Ce sont eux qui ont eu l’idée.
— Maître Soho, Maître Dillys, souffla Mars avec gravité en se levant maladroitement.
Il empoigna le manche du sabre et inclina la tête pendant quelques secondes. Une expression ravie passa sur les visages des deux hommes. Même moi, je souriais. Le salut nordiste. Plus belle preuve de respect et d’honneur dans notre culture.
Il n’aurait pas pu mieux remercier Zane et mon père.
Annotations
Versions