Chapitre 8 - Achalmy
An 500 après le Grand Désastre, 2e mois de l’automne, Mont Valkovjen, Terres du Nord.
Nous avions franchi les premières lignes d’éclaireurs Valkov.
Un détour de deux jours nous avait permis de contourner les voies directes aux territoires Valkov – celles qu’empruntaient la majorité des Nordistes – et d’éviter leur surveillance. Depuis trois jours, nous revenions progressivement vers les terres protégées pour en arpenter les chemins dégagés. En effet, sur les flancs est et nord, le Mont Valkovjen était trop abrupt et sauvage pour en fouler le sol. Nous devions retrouver les plateaux de la face sud, même s’ils menaient inexorablement aux Valkov. J’espérais toutefois, qu’à cette hauteur, ils se montreraient plus cléments.
Nous avions croisé quelques-uns de leurs membres, mais leur nombre diminuait au fil des lieues. Ce n'était pas un clan très nombreux ; ils avaient placé l’essentielle de leurs forces au pied de la montagne, en contact direct avec les voyageurs. Heureusement, un seul des éclaireurs nous avait repérés et avait engagé le combat. J’avais préféré l’épargner et l’attacher à un tronc d’arbre plutôt que de le tuer. Après tout, nous étions du même clan et je préférais avoir les faveurs des Valkov si nous en venions à négocier avec eux.
Mars tenait plus ou moins bien mon rythme maintenant que nous arpentions une véritable montagne et non pas un quelconque sentier de vallée. Le dénivelé était bien plus conséquent et il était rare d’avoir un chemin tout tracé. Nous taillions notre route à travers d’épais sous-bois et des bosquets aux arbres plus épars, nous retrouvant parfois coincés face à une paroi rocheuse.
Même si notre voyage avait pris un tournant plus éprouvant, j’étais plus excité que jamais. Enfin, je foulais le sol sacré du Mont Valkovjen. Enfin, j’approchais de mon désir de rapporter un Saphir des Glaces pour acquérir ma Maturité. Enfin, j’allais rencontrer mon clan maternel.
Alors que nous grimpions une pente enneigée et bordée de bois clairsemés, j’observais l’horizon face à nous. Des brumes que le soleil ne parvenait pas à chasser cachaient la pointe du Mont, mais je distinguais la base du sommet, mélange fascinant de blanc et de gris, de glace et de roc. Je me demandais si un être humain était déjà parvenu à escalader aussi haut. S’il était seulement possible de le faire… Après tout, le Mont Valkovjen s’élevait si près des Cieux que sa cime appartenait peut-être au domaine des Dieux. Eon avait-il trouvé refuge là-haut, à la fois proche et éloigné de ses égaux ? Ou était-il parti bien loin, en contrées inconnues, par-delà nos montagnes et nos frontières ?
Un sifflement traversa l’air une pincée de secondes avant qu’une flèche furtive déchirât mon manteau et la peau de mon épaule en-dessous. Sonné par la rapidité et la puissance du projectile, je sifflai de douleur, dressai un mur de glace devant moi et l’étendis jusqu’à Mars qui marchait deux mètres plus loin. En apercevant le sang qui perlait de ma blessure, il pâlit et me jeta un regard stupéfait.
— Cours jusqu’au sous-bois et abrite-toi derrière les arbres ! lui lançai-je d’un ton autoritaire en lui indiquant les troncs solitaires qui se dressaient dans son dos.
Conscient qu’il n’avait aucun moyen de se défendre contre des flèches, il ne se fit pas prier. Il fila se poster derrière un arbre tout en me surveillant du regard. Je diminuai ma paroi de glace pour qu’elle me protégeât uniquement et dégainai Kan. Si je me fiais à la puissance du projectile, le tireur ne devait pas être bien loin, mais…
Un coup d’œil par-dessus mon épaule m’apprit que la flèche n’était pas là. Perplexe, je fouillai la neige autour du moi à la recherche d’une hampe, mais ne trouvai rien. Le jet avait-il été trop fort et avait-il disparu dans les sous-bois ?
Mon mur de glace émit un craquement sinistre quand il vola en éclats sous l’impact d’une nouvelle flèche virulente. Abasourdi par la brutalité du projectile, je me déportai vivement sur le côté en dressant une nouvelle paroi gelée. Cette fois-ci, la hampe s’était écrasée à quelques mètres. Elle n’était pas en bois. Façonnée dans un étonnant matériau brillant, elle était d’une jolie couleur bleutée. Ce n’est que lorsque la flèche se désintégra sous mes yeux que je compris.
Le projectile était de glace. Et l’arme qui le tirait était donc élémentaire.
Une vague d’appréhension mêlée d’impatience monta jusqu’à ma poitrine. Sourire aux lèvres, je dissipai mon mur de glace en brouillard opaque et me mis à courir en zigzag. Un nouveau sifflement emplit l’air silencieux de la montagne. Plutôt que de ralentir en dressant un mur de glace, j’accélérai en espérant que le nuage brumeux que j’avais formé cachait ma position exacte. Un léger dérapement dans la poudreuse me sauva la vie : la flèche me frôla le cou en me ratant.
Stupéfait, je me jetai derrière un tronc, le souffle court et le sang battant contre les tempes. L’archer était doué, mais sûrement pas au point de changer la trajectoire de ses flèches en plein vol. C’était ce qui s’était passé, car j’étais certain de ne pas être sur sa ligne de mire au moment où le projectile avait sifflé. À moins que ce fût un Élémentaliste et qu’il dirigeât sa flèche en cours de route… Je n’avais encore jamais vu ceci, mais c’était éventuellement possible.
— La poisse, marmonnai-je en inspectant le fil étincelant de Kan.
D’une pensée, j’allégeai mon arme en transformant une partie de sa lame en bulle d’eau. Si je ne pouvais pas éviter les flèches, je pouvais les briser. Ou en prendre le contrôle ? Je ne préférais pas tenter l’expérience : je savais déjà qu’un Chasseur ne pouvait pas contrer les éléments que je tirais de mes sabres… Les armes élémentaires n’obéissaient qu’à leurs possesseurs.
— Al ! siffla Mars en passant d’un arbre à un autre pour approcher de ma position. C’est un éclaireur Valkov ?
Je constatai avec satisfaction et soulagement qu’il avait dégainé le sabre que mon père et Zane lui avaient offert deux semaines plus tôt. Le bougre prenait enfin de bons réflexes.
— J’en sais rien, avouai-je en jetant un coup d’œil par-dessus mon épaule. Mais fais attention : je crois que notre archer possède une arme élémentaire. Les flèches sont de glaces et bien plus puissantes que des projectiles en bois. Je peux pas les détourner avec mes propres pouvoirs et tes flammes sont sûrement trop faibles. Sans compter que le Chasseur peut les diriger en plein vol.
Même à quelques mètres de distance, je le vis blêmir et grimacer.
— Alors qu’est-ce qu’on peut faire ? lança-t-il nerveusement en resserrant sa prise sur son katana flambant neuf.
— Briser les flèches ou les amener à se désagréger en les esquivant au dernier moment. Une fois enfoncées dans le sol ou dans un tronc, le Chasseur perdrait trop de temps à reprendre le contrôle plutôt qu’à en tirer une nouvelle.
Toujours livide, le Sudiste ne répondit rien, mais garda les yeux rivés au sommet de la pente où l’éclaireur se trouvait sûrement.
— Je vais remonter vers l’archer par les sous-bois, annonçai-je à mon compagnon en me retournant lentement. Reste ici, je t’appellerai une fois que la menace sera passée.
— Et si tu ne m’appelles pas ?
Sa question me laissa pantois un moment. Il venait d’envisager ma défaite. Soudain secoué par cette possibilité – c’était tout de même un Chasseur armé d’un arc élémentaire qui nous faisait face – je serrai les dents et susurrai :
— Tu as plutôt intérêt à courir vite.
Sans lui laisser le temps de répondre, je bondis vers l’arbre le plus proche et m’y abritai. Puis, recommençant la même manœuvre à chaque tronc, je remontai les sous-bois à la recherche de l’archer.
Une nouvelle flèche fila dans l’air après mon cinquième déplacement. Je me baissai en fléchissant brusquement les genoux au moment où le projectile traversait l’arbre sans encombre. Désarçonné, j’observai un moment la hampe gelée s’enfoncer dans la neige à quelques mètres puis disparaître dans une pluie bleutée. C’était définitivement une arme élémentaire ; des flèches fabriquées dans la glace par un Chasseur ne pouvaient être aussi puissantes.
— Qui êtes-vous ? finis-je par crier au vide en me redressant, arme au poing.
Je brandis Kan devant mon visage lorsqu’un nouveau projectile fusa dans ma direction. L’impact contre ma lame me fit déraper d’une vingtaine de centimètres. Quelle force… je n’allais pas tenir longtemps comme ça.
— Êtes-vous un Valkov ? ajoutai-je d’un ton puissant en courant vers un nouvel abri.
Je brisai un nouveau projectile et me dirigeai vers la source du tir. Une flèche m’obligea à m’arrêter pour l’esquiver. J’étais encore trop loin du tireur… et clairement désavantagé. Mon style de combat était dévoué au corps-à-corps et je n’avais que quelques couteaux de lancer en guise d’armes à distance. Je devais obligatoirement approcher l’archer pour espérer le vaincre. Or, s’il continuait à me ralentir ou à me faire reculer à l’aide ses flèches puissantes…
Un projectile gelé coupa le fil de mes pensées. Avec un juron, je dressai Kan pour dévier le tir et lâchai un petit soupir soulagé en le voyant se désintégrer.
— Nous voulons simplement passer ! déclarai-je en me levant, les bras écartés en signe de paix.
Peut-être aurais-je dû être plus convaincant, car une flèche jaillit droit devant moi pour m’embrocher la poitrine. Agacé, je brisai le tir d’un mouvement sec de ma lame et avançai d’un pas déterminé. Une nouvelle volée de projectiles fusa vers moi et j’en brisai chacun de ses traits. Si l’archer voulait jouer ce petit jeu…
— N’avance pas plus !
Surpris que le tireur eût daigné prendre la parole, je me figeai en plein milieu de la pente enneigée, vulnérable sans arbre ou rocher pour m’abriter. Deux flèches – des normales, cette fois-ci – vinrent se planter autour de moi à quelques secondes d’intervalles.
— Mon ami et moi aimerions rejoindre les grottes du Mont Valkovjen, lançai-je à la cantonade, ignorant toujours l’emplacement exact de l’archer.
— C’est impossible, répliqua sèchement la voix au moment où une silhouette sombre apparaissait au sommet de la pente.
Sourcils froncés, je repris tranquillement mon avancée en faisant des moulinets de la main droite. Pour qui se prenaient ces Valkov ? Le Mont Valkovjen – malgré son nom – ne leur appartenait pas. Ils avaient franchi la limite entre protection et possession.
— Aucune loi ne m’interdit de fouler le sol de la montagne sacrée des Nordistes, grondai-je d’une voix féroce en pointant Kan dans la direction du tireur. Valkov ou pas, laissez-nous passer. Nous comptons pas vous importuner ou que sais-je encore. Nous voulons simplement trouver des Saphirs des Glaces.
Et Eon.
— Impossible, asséna autoritairement l’archer en levant de nouveau son arc. Reculez.
— J’ai cassé tes flèches de misère, Valkov, et, dès que je serai à portée, ce sont tes os que je briserai ! cirai-je d’un ton véhément en bondissant.
La neige crissait sous mes talons tandis que je fusais vers le tireur. Implacable, celui-ci arma son arc et tira. De nouveau les flèches de glace. J’en brisai deux à la suite et en esquivai une dernière. Ces foutus projectiles devaient se forger d’eux-mêmes d’une simple pensée, car l’intervalle entre deux tirs était rageusement court.
— Tu te crois invincible avec ton arme élémentaire ? lançai-je à l’archer d’un ton moqueur en cassant en plein vol un trait qui m’aurait creusé un troisième œil.
Le silence me répondit. À ma propre surprise, le tireur abaissa son arme, le bord de sa cape enneigée soulevé légèrement par un souffle timide. Méfiant, j’abaissai légèrement la pointe de Kan et rappelai la bulle d’eau qui avait brisé des flèches en plein vol lorsque mon arme n’était pas en mesure de les atteindre. Le sabre se fit plus lourd dans ma paume quand sa lame se reconsolida entièrement.
— Tu possèdes toi aussi une arme élémentaire, lança alors le Chasseur d’une voix distante.
Et t’as pas vu Eon, songeai-je avec un soupçon de plaisir, m’empêchant de porter une main instinctive au long katana sanglé en travers de mon dos.
— C’est vrai, finis-je par répondre en m’approchant lentement du tireur. Entre Chasseurs porteurs d’armes élémentaires, pourrait-on pas discuter paisiblement ?
J’apercevais plus nettement mon adversaire. Capuche remontée sur le front, sa cape ne laissait pas paraître grand-chose. Une épée pendait à sa hanche, mais son arme de prédilection était définitivement le grand arc logé dans sa main. Fabriqué dans un étonnant bois presque noir, je distinguais vaguement des motifs plus clairs le long de ses branches. C’était la première fois que j’avais affaire à une autre arme élémentaire autre que mes propres sabres. J’étais à la fois intrigué et méfiant. Je savais parfaitement à quel point ces outils étaient puissants et imprévisibles…
En sentant Kan vrombir dans ma paume, je souris.
… non pas des outils. Des âmes guerrières dans des fourreaux divins.
— Encore une fois, je peux pas vous laisser passer, reprit l’archer en faisant quelques pas dans ma direction. Le Mont Valkovjen n’est plus accessible aux voyageurs. Nous… le clan Valkov peut plus gérer les flux de Nordistes. C’est pour ça que je peux pas vous laisser passer.
— Et moi je peux pas faire demi-tour, répliquai-je sans ciller.
Une bourrasque souleva la cape de l’archer et un écran de poudreuse avant de retomber. Le silence plana encore quelques secondes avant que le tireur redressât son arc.
— Alors je devrai vous tuer.
Un rictus glacé étira mes lèvres. Nous en venions à la loi primordiale de notre peuple, celle du sang. C’était son devoir de m’arrêter et c’était ma destinée d’avancer. L’un de nous y laisserait la vie, mais aurait l’honneur de rejoindre Lefk.
Comme j’avais déjà tenté l’expérience pour ma part, c’était au tour du mystérieux archer.
Profitant de ma proximité avec l’adversaire, j’envoyai un harpon de glace dans sa direction. Sa flèche fusa vers moi en même temps. L’archer évita souplement mon attaque tandis que je brisais la sienne de mon sabre.
Nous nous toisâmes en silence, tendus, concentrés, mortels.
— Tu es si jeune, lança l’archer d’un ton presque coupable, ça m’attriste d’avoir à achever une vie comme la tienne.
Alors que j’avançais à grandes enjambées vers l’adversaire, je ralentis. Cette voix…
Mon attention détournée faillit me coûter un membre. Je me déportai vivement lorsque le trait gelé glissa dans l’air face à moi, mais mon bras y laissa tout de même un bout de chair. L’entaille était plus profonde que la précédente et mon sang ne tarda pas à humidifier ma manche.
À la fois furieux contre moi-même et contre ce fichu Valkov, je dégainai Eon et me lançai à l’assaut de l’archer. Conscient qu’il ne lui restait plus que quelques flèches à tirer avant d’être submergé, il arma vivement son arc. Sous mes yeux ébahis, je vis le projectile de glace se former directement contre la corde tendue et être projeté à toute vitesse. Eon le pulvérisa en mille morceaux bleutés. Mon long sabre luisait d’un éclat gelé dans la lumière crue du soleil.
Un silence stupéfait envahit la pente enneigée. Mon adversaire restait planté sur place, son bras armé baissé sous le coup de la surprise. Je savais qu’Eon était plus impressionnant que Kan, mais de là à s’en figer en plein combat…
— Eon ?
Si le souffle d’air ne m’avait pas apporté l’interrogation de l’archer, je ne l’aurais sûrement pas entendue. À présent tout aussi étonné que l’ennemi, je fronçai les sourcils. Comment le tireur pouvait-il reconnaître mon sabre ?
L’évidence me fit grimacer. L’arme élémentaire était un héritage de ma mère, ancien membre du clan Valkov. La personne qui me faisait face était donc quelqu’un qui l’avait connue.
Alors qu’une drôle de curiosité teintée de joie me parcourait de la tête aux pieds, l’adversaire poussa un cri féroce, saisit son épée et commença à dévaler la pente immaculée. Je me ressaisis aussitôt et plaçai ma garde.
— Sale chien ! beugla le Valkov en me lançant plusieurs jets d’eau à haute vitesse.
Je les fis s’évaporer et armai Eon pour projeter une vague de froid. La lame de glace déchira un bout de la cape de l’ennemi. Frustré, je glissai sur mes appuis et tournai au moment où l’épée adverse fendait l’air. D’un mouvement rotatif, j’envoyai Kan vers l’épaule du Valkov, qui détourna habilement mon coup et balança son talon d’une même traite. De la main droite, je bloquai son pied et tranchai l’air à l’aide d’Eon de la gauche. L’archer esquiva souplement en grognant et reconstitua sa garde.
— Où l’as-tu trouvé ? asséna le Valkov d’une voix brûlante de colère.
Et ce que je soupçonnais depuis quelques minutes se confirma lorsque la capuche retomba sur les épaules de mon ennemi après qu’il eût reculé de quelques pas. Ses cheveux d’un noir de corbeau étaient ramenés en arrière à l’aide de plusieurs tresses et ses iris alternaient entre bleu glacé et gris translucide tandis que ses capacités d’Élémentaliste entraient en action. Sous mes pieds, le sol s’était mis à trembler, mais cela ne me détourna pas du visage crispé qui me faisait face. Même si les traits étaient tirés de fureur et de mépris, ils étaient fins, charmants bien que marqués par les années, et incontestablement féminins. C’était une archère, une Chasseuse, une Valkov.
— Qui êtes-vous ? soufflai-je d’un ton prudent en affermissant ma prise sur mes sabres.
Elle fronça le nez et retroussa les lèvres sous le coup de l’indignation et de la colère. Elle ressemblait à une louve. Une louve cheffe de meute. Un mélange de crainte et d’admiration m’envahit la poitrine. Presque subjugué, je me penchai légèrement en avant, anticipant son prochain mouvement.
Mais elle se contenta de donner un coup de menton vers Eon et de susurrer :
— Je ne répèterai pas trois fois ma question : où l’as-tu trouvé ? Dernière chance.
— Dernière chance ? répétai-je d’un air provocateur en haussant les sourcils.
— Je ramasserai Eon sur ton cadavre, expliqua la guerrière avec un sourire sans joie. À présent, réponds à ma question. Peut-être que je t’épargnerai en fonction de ta réponse.
Perplexe, j’abaissais légèrement les bras. Elle ne semblait pas vouloir attaquer. Plutôt que de chercher le conflit, je me pliai à sa volonté.
— Je l’ai trouvé nulle part, avouai-je à mi-voix en soulevant légèrement Eon pour mieux l’observer. Ce sabre élémentaire est un héritage, un cadeau de mon père. Je l’ai obtenu à la fin de mon entraînement, quand j’ai obtenu la Marque Noire.
Je me tournai légèrement de biais pour qu’elle pût voir mon tatouage. Indifférente, elle me dévisagea sans rien manifester, si ce ne fût un certain dédain.
— Un cadeau de ton père ? siffla la Chasseuse en grimaçant de dégoût. Un héritage ? Je ne crois pas, non. Eon appartient à mon clan depuis des décennies et il nous a été volé il y a presque vingt ans.
Volé ? Quelle méprise… Venait enfin l’instant où j’allais avouer ma parenté avec les Valkov. J’étais à la fois impatient et angoissé. Comment allait réagir la femme en l’apprenant ?
— Eon n’appartenait pas à mon père, reconnus-je d’une voix conciliante. Il me l’a légué, mais c’est un héritage de ma mère. Le sabre lui appartenait.
Je n’eus pas le temps de réagir lorsque la femme bondit vers moi. Elle me fit basculer dans la neige et appuya dangereusement le fil de son épée contre ma pomme d’Adam. Je pouvais la repousser, mais ce serait au prix de ma vie.
— Mensonges, cingla-t-elle en me fusillant de ses yeux bleu ciel – leur couleur naturelle.
Dérouté, je lui adressai un rictus tout autant irrité que le sien. Qu’avais à gagner en mentant ? Rien du tout.
— Je dis la vérité, marmonnai-je en ramenant lentement Eon vers moi. Vous qui portez un arc élémentaire, vous devez savoir que ces armes choisissent leurs possesseurs. Comment pourrais-je me servir d’Eon si j’étais pas légitime ?
La Chasseuse me dévisagea intensément, les lèvres pincées de colère – ou de résignation ?
— C’est faux, rétorqua la femme en secouant la tête. Eon… c’est impossible…
Sa voix mourut. Un vide s’était installé dans ses yeux. Grimaçant face à son expression amère, chagrinée, je me dégageai lentement de son poids. Elle me laissa faire, comme perdue dans ses pensées.
— Je suis désolé de vous l’annoncer ainsi, mais Eon a pas été volé. Il m’a été légué.
Je me reçus un regard noir en guise de réponse. Contrit, je haussai les épaules puis tendis la lame à la Chasseuse, qui la toisa avec un mélange d’émerveillement et de stupeur.
— C’est la seule chose qui me reste de ma mère. Peut-être… peut-être la connaissiez-vous ?
Une flamme s’alluma dans ses yeux féroces. Je me raidis, prêt à me battre, mais elle secoua la tête. Sans dire un mot, elle se releva, épousseta ses chausses couvertes de poudreuse et me toisa de haut.
— Eon appartenait à l’ancienne cheffe des Valkov. Nous dirigions à deux et protégions notre clan en comptant sur nos armes élémentaires respectives. (D’un air pensif, elle baissa les yeux sur son arc.) Elle avec Eon, moi avec Narkel. Mais ma sœur a disparu il y a des années en emportant avec elle l’un des plus grands trésors de notre clan.
Alors que je comprenais enfin qui était la femme qui me dévisageait avec tant de mépris, elle arma son arc juste au-dessus de ma tête et tendit la corde. Une sueur glacée m’envahit la nuque.
— Si tu es bien le fils de Nikja, alors tu mérites que la mort. Car nous ne tolérons pas le sang des traîtres.
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