Le procès
Attablée devant une soupe claire au réfectoire, je resonge au moment où les soldats ont pris mon cadet de mes bras pour l'emmener.
"Ne t'en fais pas, va. Ils ne vont pas le tuer. Pas tout de suite, en tout cas. . ." m'a lancé le caporal-chef Livaï quand j'ai esquissé un mouvement de recul en serrant plus fort mon benjamin contre moi face aux soldats des brigades spéciales venus l'emmener.
Comprenant qu'il ne risquait rien dans l'immédiat et que résister envenimerait la situation, j'ai accepté à contre coeur de le leur laisser. Je prie pour qu'ils le traitent convenablement. Le pauvre était encore inconscient quand je l'ai quitté. . .
- Eren va être jugé, mais pourquoi ? demande Mikasa, qui est assise à mes côtés.
- Je ne connais pas tous les détails, lui répond Armin, mais je pense qu'ils vont décider ce qu'ils vont faire d'Eren.
- Comment ça, ce qu'ils vont faire d'Eren ? insiste-t-elle.
- Peut-être. . . commence-t-il avec hésitation, qu'ils vont décider s'ils vont le tuer ou non.
Il n'en faut pas plus à la jeune asiatique pour se lever brusquement. Ses yeux gris bridés s'écarquillent sous l'effet du choc et de l'inquiétude. Je l'attrape par la manche de sa courte veste en cuir brun pour la rassurer du mieux que je peux. Ce faisant, je me rassure aussi à voix haute :
- Ne t'en fais pas, Mikasa. Nous pourrons témoigner en faveur d'Eren en expliquant tout ce qu'il a fait pour nous. Tous les soldats survivants de la bataille de Trost sont témoins que sans lui et son pouvoir, nous n'aurions jamais reconquis le district et serions tous morts là-bas. En plus, j'ai comme l'impression. . . que nous ne sommes pas les seuls à vouloir la survie d'Eren.
En disant ces mots, je repense aux paroles de notre sauveur. La façon dont il regardait mon petit frère et dont il a prononcé ces mots : "Ne t'en fais pas, va. Ils ne vont pas le tuer", me donne l'impression qu'il veut aussi que le jeune brun ne meurt pas. Pour quelle raison ? Je ne peux pas l'affirmer avec certitude, mais la théorie la plus probable est que le bataillon d'exploration veut se servir de ses pouvoirs pour enfin vaincre les titans. Ça me semble logique.
Je n'ai pas le temps de partager cette idée avec mes amis : la porte s'ouvre, révélant un soldat barbu des brigades spéciales, encadré de deux autres armés de fusils. Il annonce :
- Votre attention, s'il vous plaît ! Éléonore Jäger, Mikasa Ackerman et Armin Arlelt sont-ils présents ici ?
- Oui ! lui répond ce dernier en se levant en même temps que moi.
- Vous avez reçu l'odre de vous présenter en tant que témoins au jugement de cet après-midi.
*
Nous nous tenons debout dans la salle de jugement du tribunal militaire. Elle est de grandes dimensions, avec un plafond où sont représentés, en peinture, des hommes s'entretuant. Plusieurs soldats de différents grades et différentes factions sont présents, sans compter les nombreux civils venus par curiosité.
Nous attendons patiemment que "l'accusé" soit amené. Je suis impatiente de le revoir !
Les portes s'ouvrent enfin, laissant entrer Eren, vêtu simplement d'un pantalon, d'une chemise et de chaussures en cuir en brun. Il regarde autour de lui, un peu perdu. L'appréhension se lit dans son regard vert. Il est encadré de deux soldats des brigades spéciales armés de fusils. Quand il s'arrête pour observer les lieux, l'un d'entre eux pointe son arme contre son dos pour le pousser en lui ordonnant brutalement :
- Allez ! Avance !
Je fronce les sourcils et serre les poings, n'appréciant pas la violence gratuite de cet homme. Ils le conduisent jusqu'au centre d'un carré délimité par des barreaux en bois. Là, l'un d'eux lui dit solonnellement :
- Je t'ordonne de t'agenouiller.
Je constate au regard que lui lance mon cadet que celui-ci n'apprécie pas non plus la façon dont il est traité, mais il s'exécute sans discuter. Ils placent aussitôt un long poteau métallique entre son dos et les chaînes reliant ses mains, qu'ils fixent au sol, le privant ainsi de bouger autre chose que sa tête.
Il dévisage toutes les personnes présentes, allant du commandant Pixis et sa subordonnée Anka au major Erwin au côté duquel se tient le caporal-chef Livaï, tous droits comme des piques. Quand il nous reconnaît au milieu de tout ce monde, ses grands yeux verts s'écarquillent.
Un bruit de porte se fait à nouveau entendre, du côté opposé de la salle. Un vieil homme barbu au ventre fourni fait son entrée. Il pose sa veste sur son bureau, s'assied et retrousse ses manches, puis s'éclaircit la gorge :
- Très bien. Nous allons pouvoir commencer, dit-il en se penchant sur un tas de feuilles.
Il s'empare de celles-ci et redresse ses lunettes en poursuivant :
- Vous vous appelez Eren Jäger, c'est exact ? En tant que soldat, vous avez accepté de donner votre vie pour le bien de l'Humanité si nécessaire. C'est bien cela ?
- Oui, c'est ça.
- Cette situation exceptionnelle. Par conséquent, la loi ordinaire n'est pas applicable dans ce cas et ce jugement se déroulera dans le cadre de la cour martiale. C'est donc moi et moi seul qui qui prendrai la décision finale dans ce jugement.
Il cesse enfin de lire ses feuilles pour regarder l'adolescent :
- Si nous sommes là aujourd'hui, c'est pour débattre de votre sort.
Les soupçons d'Armin sont ainsi confirmés. En tant que témoins, nos dires auront un impact primordial sur la décision du juge. Nous n'avons pas le droit à l'erreur. La vie d'Eren en dépend.
Je sens une boule se former dans mon estomac et remonter jusqu'à ma gorge, mais je reste calme. Je ne peux pas me permettre de perdre mon sang-froid maintenant : il a besoin de sa grande soeur.
Je prends donc sur moi et écoute la suite :
- Vous n'avez pas d'objections ? lui demande le général.
- Non, aucune, répond-il d'une voix calme, mais je vois à son expression et à la sueur perlant sur son front qu'il commence aussi à sérieusement s'inquiéter.
- Je vous trouve très coopératif. Je vous en remercie, cela facilitera les choses.
Je ne peux réprimer un sourire : un juge doit toujours se montrer le plus impartial possible, mais il reste humain. Faire bonne impression peut donc influencer favorablement sa décision. Eren s'en sort par conséquent plutôt bien pour le moment. Espérons qu'il reste aussi calme jusqu'à la fin du procès, ce qui, le connaissant, n'est pas gagné. . .
- Je vous parlerai franchement, lui promet Darius Zackley. Comme vous pouvez l'imaginer nous n'avons pas pu cacher votre existence. Nous sommes donc obligés de la rendre publique d'une manière ou d'une autre. En attendant, nous encourrons une menace probablement plus importante que les titans. Par le jugement d'aujourd'hui, nous devrons donc décider à quel corps de l'armée vous allez être confié : les brigades spéciales ou le bataillon d'exploration. Bien. Quelle est la proposition des brigades spéciales ?
Un homme aux courts cheveux noirs arborant une médaille militaire rouge déclare :
- Moi, Nail Dock, capitaine des brigades spéciales, je fais la proposition suivante : nous avons conclu que la meilleure solution serait d'étudier le corps de Jäger dans les moindres détails afin d'en tirer un maximum d'informations. Il est indéniable que ses pouvoirs de titan ont permis de repousser le dernier assaut afin d'éviter de lourdes pertes. Cependant, son existence même ne fait qu'attiser les feux de la rebéllion. C'est la raison pour laquelle nous proposons d'obtenir un maximum d'informations le concernant avant de lui faire rejoindre les rangs des soldats tombés pour la protection de l'Humanité.
Une belle phrase pour insinuer qu'ils veulent le tuer. Je suis si choquée qu'ils veuillent mettre fin à ses jours alors qu'ils reconnaissent eux-mêmes qu'il nous a tous sauvés que je ne peux réprimer un hoquet mêlant surprise, indignation et horreur.
- C'est inutile ! s'exclame un homme portant l'habit religieux en pointant mon frère du doigt. Ce n'est qu'une vermine sans valeur qui a pénétré dans notre cité en trompant la vigilence du mur ! Nous devons le supprimer immédiatement !
- Révérend Nick, l'interrompt le juge pour lui demander de se taire.
Ce dernier s'exécute en grognant, visiblement frustré.
- Très bien, reprend le général. À présent, écoutons la proposition du bataillon d'exploration.
Le major Erwin, un grand homme blond aux yeux, bleus prend la parole de sa voix grave et puissante :
- Oui. En tant que treizième représentant de ce bataillon, moi, Erwin Smith, je fais la proposition suivante : nous, le bataillon d'exploration, souhaitons qu'Eren devienne l'un de nos membres. Avec l'aide de ses pouvoirs de titan, nous sommes persuadés que nous parviendrons à reprendre le mur Maria. Voilà notre proposition.
Un murmure d'étonnement parcourt la salle. Je souris. C'est bien ce que je pensais. Maintenant, il ne nous reste plus qu'à convaincre le responsable de l'armée de confier Eren au bataillon d'exploration.
- Hum. . . fait ce dernier. Rien d'autre à ajouter ?
- Non. Avec ses pouvoirs de titan, nous pouvons reprendre le mur Maria. Il semble évident que cela devrait être notre priorité.
- Très bien, je vois. Dans l'hypothèse où vous mettriez ce plan à exécution, pouvez-vous m'expliquer d'où vous comptez lancer cette mission ? Commandant Pixis. Dîtes-moi si je me trompe : le mur du district de Trost a bien été entièrement scellé ?
- C'est exact, confirme le responsable de la garnison. Nous avons perdu tout espoir de le rouvrir un jour.
- Nous pensions partir du district de Karanes, à l'est, reprend le major. Ensuite, nous nous dirigerons vers Shiganshina. Nous ferons notre itinéraire sur place, au fur et à mesure que nous avancerons.
- Non, attendez un instant ! rétorque un civil. Ne pensez-vous pas qu'il serait plus efficace de fermer toutes les portes immédiatement ? Ce sont précisément les seules parties de mur que le titan colossal est capable de détruire ! Alors il suffirait tout simplemet de les renforcer pour qu'il ne puisse plus nous attaquer.
- La ferme, marchand de malheur ! Si nous utilisons ses pouvoirs de titan, nous pouvons carrément revenir au mur Maria ! réplique un soldat du bataillon.
- Nous ne sommes pas d'accord ! Nous ne pouvons plus vous permettre de vous laisser jour les héros de cette manière !
- Je trouve que tu parles beaucoup pour ne rien dire, gros porc, lui lance le caporal-chef de son air impassible, les bras croisés contre son torse. Et qu'est-ce qui vous garantit que les titans vont attendre bien gentiement que vous renforciez les portes ? J'imagine que tu t'exprimes au non de toi et de tes chers amis avec qui tu t'empiffres bien au chaud et en sécurité. Et tous ces gens qui n'ont rien à manger à cause du manque de terres ? Ne me dis pas que tu les vois pas !
Je dois avouer être un peu surprise par la façon de parler quelque brutale et rustre de cet homme. Qui aurait imaginé ainsi le plus grand héros de l'Humanité ? J'aime cependant sa franchise et la façon dont il se soucie des plus démunis. J'en suis d'autant plus touchée que nous faisions partie de ces gens suite à la chute du mur Maria. C'est la preuve qu'il a bon fond et c'est le plus important, à mes yeux.
Le marchand tente de se défendre de son mieux :
- Tout ça, c'est un autre problème. Tout ce que nous voulons dire, c'est qu'il faudrait fermer complètement toutes les portes. . .
- C'est un sacrilège ! l'interrompt le révérend. Le mur Rose est un don des dieux ! Comment osez-vous ne serait-ce que proposer que de simples humains n'en déplacent la moindre de ses pierres divines ? ! Même quand vous voyez de vos propres yeux cette oeuvre divine qui dépasse l'entendement humain, vous ne. . .
- C'est à cause de ce genre de discours qu'il a fallu énormément de temps pour simplement poser des armes ur le mur, nous explique Armin pendant que le religieux continue de s'indigner.
- Il ne faut pas oublier qu'ils ont de nombreux soutiens et beaucoup de pouvoir, dit Rico Brzenska, une soldate de la garnison aux côtés de laquelle nous avons combattu à Trost. Il faut se méfier d'eux.
Pendant ce temps, l'homme d'Église et le marchand se disputent :
- Sacrilège !
- Monsiegneur, je vous demande de vous taire !
- Pardon ? !
Le général Zackley tape du plat de sa main contre le bureau, ramenant ainsi le calme.
- Silence ! ordonne-t-il. Ça suffit, messieurs. Ce n'est ni le lieu, ni l'heure de débattre de ce genre d'opinions. Eren Jäger, je voudrais tout de même vérifier une chose. Vous sentez-vous réellement capable d'utiliser vos pouvoirs de titan pour le bien de l'Humanité, comme vous l'avez fait jusqu'à présent en tant que soldat ?
- Oui ! affirme-t-il avec assurance. Je peux le faire !
- Vraiment ? Pourtant, dans le rapport de la bataille de défense du district de Trost, il est bien précisé que : "Après s'être transformé en titan, Eren Jäger a utilisé ses poings pour tenter d'attaquer Éléonore Jäger et Mikasa Ackerman".
Le jeune homme nous lance un regard mêlant surprise, incrédulité et effroi. Je lui adresse aussitôt un chaleureux sourire accompagné d'un petit geste de la main, pour lui signifier que je vais bien, pendant que la jene asiatique cache sa cicatrice avec ses cheveux noirs en lançant un regard assassin à la femme à lunettes.
- Tu ne voulais tout de même pas que j'écrive des mensonges dans mon rapport, se défenc celle-ci. Je pense honnêtement qu'il n'est dans l'intérêt de personne de cacher ce genre de détails aussi importants.
Elle n'a pas tort, mais maintenant, c'est la défense d'Eren qui se complique. . .
- Éléonore Jäger, Mikasa Ackerman, nous interpelle le juge.
- Oui, je suis Mikasa Ackerman !
- Et moi, Éléonore Jäger ! Nous vous écoutons, Votre Honneur.
- Dîtes-moi s'il est exact qu'Eren a tenté de vous attaquer après sa transformation en titan lors de cette bataille.
La jeune femme ne répond pas tout de suite. Elle semble hésiter. Quant à moi, sachant qu'il ne sert à rien de réfuter ce dont nombreux ont été témoins, je déclare :
- C'est vrai, il a perdu le contrôle pendant un court instant (des murmures d'effroi parcourent aussitôt la salle), mais aussitôt qu'il a recouvré ses esprits, il s'est relevé pour accomplir vaillamment sa mission. Je connais Eren depuis sa naissance et sais mieux que personne que ses intentions sont bonnes et qu'il est du côté de l'Humanité à laquelle il appartient et au mileu de laquelle il a grandi. Le simple fait que le district soit reconquis et que nous soyons ici pour témoigner en est la preuve, car sans lui, jamais nous n'aurions pu survivre à l'Enfer dans lequel nous avons été plongés. Je lui en serai éternellement reconnaissante et me porte garante de sa fidélité et de son dévouement envers notre cause.
Tous les regards se tournent ensuite vers Mikasa. Rico lui murmure :
- Je te conseille de répondre aussi honnêtement qu'Éléonore à la question. Pense à Eren. C'est dans son intérêt.
- Oui. C'est tout à fait exact, finit-elle par dire, générant de nouveaux murmures d'effroi. Cependant, je pense qu'il est important de considérer d'autres faits comme Éléonore l'a fait. Avant cela, dans sa forme de titan, Eren m'a sauvé la vie à deux reprises. La première fois, alors que j'étais à la merci d'un titan et que je n'avais aucun espoir de m'en sortir, il s'est interposé et il m'a défendue. Et la seconde fois, avec Éléonore et Armin, il nous a protégés du tir du canon. Ces faits en disent long sur Eren et je demande qu'ils soient pris en considération.
- Attendez un instant ! rétorque Nail Dock. Ces témoignages sont beaucoup trop influencés par des sentiments personnels pour être pris en compte dans ce jugement. Il semble évident qu'Éléonore Jäger cherche à défendre son petit frère sous l'influence de sentiments fraternels, mais Mikasa Ackerman n'est pas en reste. Il est indiqué ici qu'elle a été recueillie par la famille Jäger après avoir perdu ses parents alors qu'elle n'était qu'une enfant. Et ce n'est pas tout ! Après avoir mené une enquête, nous avons découvert un fait que je qualifierai de surprenant.
Il lit le contenu de l'une de ses feuilles :
- Eren Jäger et Mikasa Ackerman, tous deux âgés de neuf ans au moment où les faits se sont déroulés, ont ensemble poignardé et et tué trois adultes qui s'étaient rendus coupables de vol et d'enlèvement.
Les murmures de choc et d'horreur reprennent de plus belle. Le soldat poursuit :
- Il s'agissait effectivement d'un cas de légitime défense, mais un humain de neuf ans normalement constitué est-il capable d'un tel acte ? Sachant cela, peut-on confier à une telle personne nos ressources humaines et financières et de surcroît l'avenir de la race humaine ?
Je serre les dents et les poings. Je me souviens avoir été tout aussi surprise lorsque j'ai appris ce qui s'était passé ce soir-là, n'imaginant pas non plus deux enfants capables d'une telle chose, mais je sais maintenant d'expérience que lorsque l'on se retrouve confronté à la mort, notre instinct de survie se déclenche, nous transformant en véritables machines capables de prouesses que nous-mêmes ne soupçonions pas. Un autre cas de figure est possible, bien sûr : celui où la peur nous paralyse, nous contraignant à attendre sagement la mort en tremblant, mais ces deux-là ne sont pas comme ça. Ils ont suffisamment de force et de volonté pour affronter tout obstacle se dressant sur leur chemin.
L'assemblée ne semble pas de mon avis, lâchant des propos qui me révoltent intérieurement :
- Alors, c'est donc ça.
- En fait, c'est un titan qui s'est servi de son apparence d'enfant humain pour s'introduire parmi nous.
- Mais elles aussi, alors ! s'exclame le marchand en nous pointant du doigt, ma soeur adoptive et moi. Comment peut-on être certains qu'elles sont bien humaines ?
Je place un bras protecteur devant l'adolescente, tout en affrontant du regard notre accusateur, qui poursuit :
- L'une d'entre elles est sa soeur, ils partagent donc forcément la même nature et, par conséquent, les mêmes caractéristiques ! Qui nous dit qu'elle ne va pas se transformer d'un instant à l'autre pour tous nous tuer ? !
- C'est vrai, ça ! confirme un autre. Il faudrait les disséquer pour s'en assurer !
Nous écarquillons les yeux de choc et d'effroi. La peur leur fait vraiment croire et dire n'importe quoi !
- Arrêtez, c'est de la folie ! s'écrie Eren. Oui, peut-être que je suis un monstre, mais elles n'ont absolument rien à voir avec tout ça ! Ça ne les concerne pas ! nous défend-il sous nos regard émus.
- On ne peut pas leur faire confiance !
- C'est la vérité !
- Il les défend, ça prouve bien qu'ils sont complices !
"Ou peut-être juste qu'il tient à nous !" m'exclamé-je intérieurement, indignée par un argument aussi absurde.
- C'est faux ! hurle l'adolescent, tirant de toutes ses forces sur ses menottes.
La foule se tait, terrifiée.
- Non, reprend Eren d'une voix plus calme, ce n'est pas vrai. Vous avez tort. Vos arguments ne tiennent pas la route. Vous venez seulement d'énoncer des faits qui vont dans votre sens.
- Hein ? Mais qu'est-ce qu'il raconte ? demande Nail Dock.
- C'est la vérité, pour commencer. . . vous n'avez jamais vu de titans de votre vie. Alors pourquoi êtes-vous aussi effrayés ?
Il marque un temps de pause, puis fronce les sourcils et reprend d'une voix plus forte :
- Vous qui vous sentez si forts et si puissants, pourquoi n'allez-vous pas combattre ? Si vous avez trop peur de vous battre pour sauver vos vies, alors au moins aidez-nous ! Je n'ai pas peur de le dire, vous n'êtes qu'une bande de lâches !
- Quoi ? ! s'exclament certains.
Je resserre un poing contre ma poitrine. Il commence à perdre son sang-froid et à les provoquer ouvertement sans réfléchir. Même si ce qu'il dit n'est pas faux, ce n'est pas la bonne façon de l'exprimer, il va se mettre à dos une bonne partie de l'assemblée et compliquer sa défense. . .
- Laissez-moi terminer ! hurle-t-il. Taisez-vous et laissez-moi parler !
Le silence retombe sur la salle pendant quelques secondes. Tout le monde fixe l'adolescent, choqué par son attitude. Nail Dock est le premier à se ressaisir :
- Mettez-le en joue ! ordonne-t-il à son subordonné.
Celui-ci s'exécute, pointant le canon de son arme en direction du jeune brun, dont les yeux verts s'écarquillent.
- Non ! m'exclamé-je en avançant et en tendant mon bras vers eux.
Je n'ai pas le temps de déballer les arguments que je préparais déjà dans ma tête pour lui sauver la vie : le caporal-chef Livaï, qui s'était approché si rapidement et si discrètement que personne ne l'avait remarqué, lui met un puissant coup de pied sur la joue. Une dent, accompagnée de quelques gouttes de sang, sortent de sa bouche pour tomber au sol. Il a à peine le temps de se retourner pour dévisager son agresseur que celui-ci lui envoie un autre coup dans le ventre, puis enfonce son genou dans son visage, qui est déjà ensanglanté.
J'assiste à ce terrible spectacle avec des yeux plus écarquillés d'effroi que jamais, mais ne bouge pas. En effet, le temps que je me remette de ma surprise, la verité s'impose à moi : Livaï ne tuerait pas la personne que son bataillon cherche à récupérer vivant à tout prix. Certes, ses coups sont suffisamment puissants pour blesser l'adolescent, mais pas de façon définitive, et encore moins pour le tuer. Cependant, dans ce cas, pourquoi s'acharcher de la sorte sur le pauvre garçon ?
La jeune asiatique ne réfléchit quant à elle pas autant que moi : elle fait un pas dans leur direction, sans doute dans le but de protéger Eren en empêchant l'homme à la chevelure noire de le frapper plus longtemps, mais elle est arrêtée par Armin, qui attrappe fermement son bras en lui disant :
- Non ! Ne fais pas ça !
Malgré qu'il lui est insupportable de voir Eren se faire battre de la sorte, elle prend sur elle et suit le conseil de notre ami.
Pour ma part, je n'interviens pas non plus, comprenant qu'il ne serait pas dans l'intérêt de mon frère de m'opposer à un membre d'un des seuls corps d'armée souhaitant sa survie, même si je ne saisis toujours pas la raison d'une telle violence. . .
Voir mon cher cadet se faire frapper aussi fort me sert cependant le coeur, à tel point qu'il m'arrive même de fermer les yeux, de temps à autre, pour ne pas le voir souffrir.
Le caporal-chef finit par écraser son visage contre le sol avec son pied et le maintient dans cette position pendant qu'il déclare d'une voix froide et impassible :
- Comme je le dis toujours, pour retenir une leçon, il n'y a rien de mieux que les coups. Je sais exactement ce dont tu as besoin. Ce n'est pas qu'on t'explique les choses, mais qu'on te dresse comme un animal. Ça tombe bien, tu es dans une position parfaite pour ça.
Sur ces mots, il recommence à l'assaillir de coups de pied, pendant que je me dis deux choses : malgré les sentiments irrépressibles que j'éprouve déjà pour cet homme, je ne suis en accord ni avec sa méthode d'éducation, ni avec la comparaison qu'il fait entre mon frère et un animal, même s'il est vrai que ce dernier peut se montrer plus têtu qu'une mûle. Vient s'ajouter à cela que plus le temps passe, plus il le frappe, plus Eren souffre et plus je meurs d'envie d'aller le défendre, mais je prends sur moi pour le bien de celui-ci.
C'est finalement Nail, qui, à ma grande surprise, intervient :
- Non, ça suffit ! Livaï !
- Qu'est-ce qu'il y a encore ? demande ce dernier sur le même ton qui si on l'avait dérangé, un pied encore enfoncé dans le visage du pauvre adolescent.
- Arrête ! C'est trop dangereux ! Qu'est-ce que tu vas faire s'il se transforme en titan pour se venger ?
Le plus puissant soldat de l'Humanité donne un autre coup de pied au prisonnier, puis répond calmement :
- Qu'est-ce que tu racontes ? Il me semble, ajoute-t-il en se penchant pour l'attraper par les cheveux, que tu avais dit que vous vouliez le disséquer. J'ai entendu, poursuit-il en le lâchant pour se redresser, que quand il s'est transformé en titan, il a réussi à en terrasser une vingtaine avant de s'écrouler, parce qu'il était à bout de forces. S'il était notre ennemi, son intelligence le rendrait redoutable, il serait extrêmement dangereux, mais il ne ferait pas le poids contre moi. Et qu'en serait-il de vous tous ? Vous qui vous en prenez à lui, réfléchissez bien : seriez vous à même de le tuer ?
- Général, déclare le major Erwin en levant la main. J'ai une propostion.
- Je vous écoute. . .
- Nous ne savons pas encore avec certitude comment fonctionne la transformation d'Eren en titan. Il est vrai qu'elle représente encore un danger. C'est pourquoi je propose de confier la garde d'Eren à Livaï et de partir en exploration hors du mur.
Je comprends mieux, maintenant : Livaï a frappé Eren uniquement pour montrer qu'il n'avait pas peur de lui et qu'il serait capable de l'affronter et le maîtriser si besoin, afin de gagner la confiance du juge et lui prouver ses capacités. J'ai un petit sourire en pensant qu'à ses côtés, au moins, mon cadet ne risque rien, mais qu'il ne compte pas sur moi pour le laisser hors de ma surveillance. . .
- Vous voulez emmener Eren hors du mur. . . dit le général.
- Oui. En fonction de nos observations pendant cette exploration, nous déciderons si Eren est capable de contrôler sa forme de titan et par conséquent si son existence est un bienfait pour l'Humanité.
- Ce ne sera pas forcément évident de prendre en charge Eren Jäger, réplique Darius Zackley. Pensez-vous en être capable ? Honnêtement, Livaï.
- Je n'aurais aucun mal à le maîtriser si nécessaire, répond-il sans hésitation. En vérité, le plus compliqué sera de ne pas être trop dur avec lui.
Il lance ensuite un regard en biais à Mikasa qui le fixe toujours avec rage et rancoeur.
- Hum. . . Dans ce cas, voilà ce que nous allons faire. . .
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