Le désœuvrement du souffleur - 3
— Pourquoi tu ne veux pas y aller ? Du fond de son crâne, Gaspard se faisait plaintif.
— Voilà… ça recommence, elle me parle…
— Et que dit-elle ?
Le médecin-psychiatre, bien assis au fond de son fauteuil, un carnet sur les genoux, le fixait d’un air serein.
— Pourquoi tu te fatigues à venir ici, alors que la solution est simple ? marmonna Gaspard dans les tréfonds.
— J’essaye de ne pas l’écouter, dit l’hôte, l’air éteint. Vos médicaments marchent bien mais pas assez…
— Je peux peut-être légèrement augmenter la dose, continua le médecin, soutenant. Ça ne vous rend pas somnolent ?
Au fond de ses orbites, Gaspard regardait l’ensemble avec mépris. L’autre Gaspard va surement te dire non, dr Machin-Chose, pensa-t-il. Mais c’est faux, archi-faux.
Depuis peu, le Gaspard doué de mouvement mettait son corps dans le gaz avec ces médocs et le témoin était obligé de hurler pour qu’il l’entende. Il se savait un peu borné, un peu tête de mule, mais à ce point-là ça confinait de la démence…
— Justement non, répondit gaspard, vaseux. Ça diminue les voix – enfin – la voix !
— Excusez-moi d’insister, reprit le médecin. Mais que dit-elle, cette voix ? Peut-être serait-il temps de la prendre en considération ?
— Je suis parfaitement d’accord avec vous, monsieur ! cria Gaspard du fond de son gouffre.
— Là, elle dit qu’elle est d’accord avec vous, par exemple.
— Ah ! Ah, bon ! répondit le docteur, un peu surpris. Mais encore ?
— Allez, même le médecin est d’accord avec moi, susurra Gaspard à son hôte dépité. Écoute-moi, je suis toi, je tiens à toi, je veux te préserver et me préserver. Allons, sors d’ici ! Allons au magasin !
— Elle prétend qu’elle me veut du bien… Mais je sais que c’est faux ! Elle me veut du mal… En fait c’est moi, docteur, c’est ma propre voix que j’entends. Je le sais. Je ne suis pas fou ! J’ai été voir sur internet. C’est l’inconscient c’est ça ? Mes pensées refoulées qui viennent me hanter ?
Le médecin se rembrunit un peu.
— Tout ça c’est très théorique… vous savez… Mais parlez-moi d’elle, ce qu’elle dit ? C’est important.
— Elle parle d’aller au magasin.
Le psychiatre étouffa un petit rire.
— Mais il se fout de notre gueule ! clama derechef le Gaspard du fin-fond de sa tête.
— Vous voulez dire, continua le docteur, en se récupérant. Qu’il voudrait juste faire quelques… courses avec vous, c’est ça ?
— Pas n’importe quoi, reprit l’hôte. Non – et au passage je dois vous dire qu’elle pense que vous vous foutez de nous – il s’agit d’un petit magasin, un antiquaire.
— Les origines… donc… fit le docteur, l’air énigmatique.
— Sors d’ici ! hurla la voix.
— Non, cette thérapie va te faire disparaitre !
— À quoi vous fait penser ce petit magasin, cet antiquaire ? continua le psychiatre, sur sa lancée.
— J’aimais bien aller chez l’antiquaire, enfant. Comme si des trésors incroyables pouvaient y être trouvés. Comme si j’allais trouver des objets originaux.
— Les origines donc ?
À l’intérieur, Gaspard se débattait comme un beau diable, impossible d’interagir, de bouger, hurler. Il ne pouvait que parler à son autre, qui se croyait fou et qui par conséquent ne l’écoutait pas…
— Oui, car ma mère était fille unique et…
— Ah, je vais vous proposer d’arrêter là. Mais nous reprendrons cela la prochaine fois si vous le voulez. En attendant, je pense qu’il serait intéressant pour votre thérapie d’oser vous aventurer à l’entour de ce fameux magasin. Mais doucement. Si vous êtes trop angoissé n’insistez pas, surtout. Et vous m’en parlerez la prochaine fois, d’accord ?
— Oui, docteur, pensa Gaspard, très fort, mais en se gardant bien de le faire éclater tout haut dans cette boite crânienne bornée.
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