Le désœuvrement du souffleur - 4
Ce poltron n’ira jamais…
Bien sûr, il était allé. Et plusieurs fois même. Mais il sentait l’angoisse le saisir à chaque fois. Son alter-ego devenait vraiment fou. Il pouvait se l’imaginer : lui, entendant des voix, il ne le supporterait pas non plus et se sentirait coupable d’avoir basculé dans la folie.
Lui aussi, de son côté, coincé, se sentait lentement devenir fou. Il ne vivait que par procuration, branché sur un autre qui lui échappait. Sa seule existence consistait à parler et penser. Et le silence, c’était la mort. Si encore l’autre était un interlocuteur valable. Mais non, il était devenu un être torturé et apeuré. Plus rien à tirer de lui.
Gaspard ne supportait plus rien, il préférait en finir.
Ce matin-là, le Gaspard-corps s’était réveillé en sursaut. Son petit-lui intérieur avait crié dans son rêve « casserole » dans une histoire sans queue ni tête, certes, mais dans laquelle ce mot particulier n’avait aucune place. L’étrangeté brutale de ce mot crié dans sa tête alors qu’il époussetait un meuble à côté de sa sœur qui dansait, le réveilla brutalement. Le Gaspard interne se nourrit avec délectation de la sueur et des tremblements de ses mains alors qu’il tentait douloureusement de se recoucher. Ça marchait !
Le reste de la journée ne fut pas plus facile pour Gaspard-acteur épuisé par cette nuit d’horreur. Au moment du café entre collègues. Le petit autre avait crié, incisant dans un long silence : ATTENTION ! Ce qui lui avait fait renverser sa tasse sur le sol et en partie sur les pieds de la secrétaire de direction…
À la pause de midi, il lui avait infligé un concert de chants grégoriens (alors qu’il chantait on ne peut plus faux), pour bien lui gâcher son repas. Il avait senti, de l’intérieur, l’ulcération se former dans son ventre. Aux grands maux les grands remèdes. Il restait encore l’escalier. Gaspard, l’hôte, un peu meurtri et fatigué, s’apprêtait à le descendre. L’ascenseur était en panne. L’aubaine.
D’abord un premier pas, puis un second… C’était le bon moment !
Gaspard, l’enfoui, avait alors, de sa plus puissante voix et de toutes ses forces, hurlé des sons stridents, infernaux, perçant le silence qu’il avait patiemment distillé.
L’effet fut immédiat. Son corps se précipita en avant, ripant sur la troisième marche et il dégringola longuement jusqu’au palier du dessous.
Il sentit la douleur, atroce, percer son corps à plusieurs endroits. Et elle le fit jubiler.
— Que veux-tu ? gémit le corps, meurtri.
— Le magasin…
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