Chapitre 1.1 : Un nouveau cycle
Une fois de plus, il était plongé dans son cauchemar. Sans cesse, son tourment se répétait. Revenant inlassablement l’assaillir et l’entraîner dans les tréfonds insondables de sa propre folie. Dans cet univers voué au néant, il ne faisait que voguer à travers le vide. Il dérivait dans un repli étrange de l’espace et du temps, là où aucun son ne lui parvenait, où aucune brise ne se présentait pour caresser sa peau engourdie. Rien ne se présentait à lui ; aucune sensation.
Il ne faisait que divaguer dans ce vide anxiogène, tentant de ne pas sombrer dans la démence. Car c’était bien là ce qui attendait les âmes égarées dans ces abysses ; elles dépérissaient au fur et à mesure que les antiques souvenirs des sensations d’une vie lointaine s’effaçaient. Puis, enfin, une dépravation délirante germait dans leur esprit, transformant ces pauvres errantes en coquilles vides seulement animées par leur propre folie.
Il lutta pour conserver sa lucidité autant que possible. Mais plus il s’accrochait à elle comme un naufragé à sa bouée en plein maelström, et plus il en souffrait ; se noyant dans ses angoisses oppressantes lui coupant le souffle. Mais avait-il seulement réussi à prendre une seule inspiration depuis le début de son calvaire ? Il ne sut s’en souvenir. Peut-être n’avait-il même jamais connu la sensation de ses poumons se remplissant d’air frais ? Cette pensée le fit dériver peu à peu jusqu’à s’embourber dans un marasme de sombres idées morbides. Mais connut-il seulement une autre réalité un jour ? La question lui sembla pertinente.
Son esprit se perdait dans ces mornes réflexions. Quand soudain, dans une déflagration de supernova, sa conscience pleine et totale lui revint, l’extirpant douloureusement de ses funestes rêveries brumeuses. Il se réveilla alors violement, poussa un hurlement à même de déchirer la terre et les cieux dans une brutalité apocalyptique. Le vacarme se répercuta sur les murs d’acier et fendit l’air à travers toute la cité dans un grondement d’Hécatonchires. Sa complainte de titan laissa dans son sillage des vitres frémissantes et des alarmes se déclencher comme si le ciel lui-même s’apprêtait à s’abattre sur le monde.
– N’aie pas peur mon garçon, dit un passant à son fils. C’est par son tonnerre que l’Empereur se manifeste. Il nous rappelle qu’il est là et qu’il veille sur nous.
Il était réveillé. Le sombre dormeur qui régnait sur le monde des hommes. Celui dont le nom fut effacé des livres afin d’empêcher le blasphème ; dont les mémoires ne se souvenaient plus que du titre : Empereur.
Le protecteur de la gargantuesque cité de verre et de métal, ronflante et fumante, prit quelques secondes pour se remettre de cette désagréable expérience qui lui revenait sans cesse. Il en connaissait chaque picotement déplaisant, chaque aiguillon vicieux. Mais cette vision ci fut pourtant différente de celle qu’il avait déjà fait des milliers de fois. Elle se trouvait être plus dérangeante encore. Il venait de la voir à nouveau, celle qui avait disparue depuis si longtemps. Et ressurgirent avec son souvenir les souffrances d’une autre époque, annonçant le commencement d’un nouveau cycle de tourments.
***
Le jeune garçon observait insouciamment la multitude de câbles qui se déployaient au plafond, tentant de suivre leurs courses afin de décrypter cette complexe toile tentaculaire. L’endroit était relativement sombre, baignant dans une chaude lumière tamisée émise par une multitude d’appareils bien étranges. Cependant, celui-ci ne s’en souciait pas le moins du monde. La machinerie vrombissait et clignotait dans un ballet assommant, tandis que de grands écrans holographiques projetaient çà et là des données indéchiffrables par les profanes. Le laboratoire de recherche de ses parents n’offrait que peu de distractions et il s’y ennuyait profondément, encore.
Entre deux sommeils, on le laissait vagabonder dans cette grande pièce austère aux faux airs de ruche, grouillante de travailleurs en blouses grises. Chacun s’adonnait à ses tâches sans vraiment se soucier du petit garçon. Il aurait aimé sortir et jouer dehors, sous le bleu du ciel. Mais on lui répétait sans arrêt que c’était impossible.
Soudainement sa mère entra dans la pièce, accompagnée par une enfant fluette à qui elle tenait la main avec bienveillance. Son père abandonna alors son écran pour venir se placer derrière lui. Il l’attrapa doucement par les épaules, à l’aide de ses grandes mains rassurantes. Des mains à la peau fine, sans une seule cale ; aux ongles courts et propres. Des mains d’intellectuels.
– Heres. Je te présente Thalie, ta petite sœur, lui dit alors sa mère dont il ne distinguait pas le visage.
Le jeune garçon dévisagea attentivement la petite fille à l’épaisse crinière noire. Elle devait être plus jeune que lui de quelques années et avoir à peine trois ou quatre ans. Aussi timide qu'intrigué, il la salua d’un hochement de tête silencieux, auquel elle répondit par un large sourire insouciant.
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