Chapitre 1.2 : Pour vivre heureux... 1/2

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 Heres se réveilla brusquement alors que résonnaient en échos tonitruants les cloches du temple tout proche. Il avait encore fait ce rêve. Mais le jeune homme ne prêtait guère attention à ce que son imaginaire tentait de lui dire. Ses souvenirs étaient en lambeaux, et le passé n’était que le passé. Peu importait combien de fois il ferait ce rêve, il ne distinguerait jamais le visage de ses parents, ou de qui que ce soit, mis à part celui de sa petite sœur, et cela lui suffisait.

 Il s’assit sur le bord de son lit tandis que le son des cloches s’estompait, résonnant faiblement dans un dernier écho tenace. Encore mal réveillé, il observa sa vielle montre posée sur son chevet. Elle indiquait maintenant midi et deux minutes. Il enfila machinalement les vêtements rafraichis par l’humidité ambiante qui traînaient au pied de sa couchette, sortit de sa minuscule chambre, puis se dirigea avec lourdeur vers la cuisine.

 Il ouvrit le frigo et en sortit une gamelle qui contenait les restes de la veille. Une sorte de bouillie à base de viande accompagnée de champignons sautées. Après avoir réchauffé rapidement le tout sur un vieux poêle à bois, il mangea en silence.

 La maison dans laquelle il vivait se trouvait être modeste, aussi bien en termes de taille que d’équipements, ou même de salubrité. Trois chambres minuscules munies de lits au matelas rembourrés à la paille, un salon doté d’un canapé et d’un fauteuil bricolés en bois de récupération et aux rembourrages de paille également, accompagnés d’une bibliothèque de fortune. Une cuisine où trônait un poêle chargé de réchauffer aussi bien la nourriture que la bâtisse complétait le logement ; avec une salle de bain abritant des sanitaires rudimentaires mais reliés à un semblant d’eau courante, un véritable luxe. Le réseau électrique douteux ne passait quant à lui que par la cuisine afin d’alimenter le réfrigérateur bricolé par Harbard, et la vieille ampoule au plafond, ainsi qu’une prise libre pour brancher divers appareils sur le plan de cuisine. L’humidité courait sur les murs en toute saison, mais c’était là la seule maison de Heres ; celle qu’il avait toujours connu d’aussi loin que pouvaient remonter ses souvenirs. Il était de toute façon difficile d’être mieux logé dans et il se moquait de ce confort spartiate.

 Il avala sa bouillie tout en jetant un œil à l’ampoule pendant au plafond de cette pièce sans fenêtre. Elle faiblissait et rendrait bientôt l’âme. Cette simple idée le déprima. Elle lui rappelait que les jours ne feraient que décroître encore et toujours jusqu’au solstice d’hiver. Mais de toute façon, cela importait peu dans la mesure où la lumière du soleil ne parvenait jamais jusqu’à chez lui. C’était en fin de compte ce cheminement de pensées-ci qui finissait par lui miner le moral. Car comme toutes les habitations du village, la sienne était bâtie sous terre ; là où les escadrons de la mort de l’Empire ne pouvaient les repérer.

 La menace de voir un jour débarquer les escadrons impériaux faisait trembler d’effroi tous ceux qui refusaient de ployer le genou devant l’Empereur-Dieu. Celui qu’adoraient les êtres dociles résidants dans les tentaculaires cités de l’Empire. Quand leurs drones repéraient un village, ils s’élançaient aussitôt avec un seul objectif : l’annihilation. Rares étaient ceux à avoir échappé à l’un de ces raids aussi fulgurants que brutaux. Sans même qu’on ne puisse s’y préparer, les vespiptères de l’Empire arrivaient tel un essaim de frelons pour décharger leurs flots de soldats sans pitié. Ils ne laissaient derrière eux que monts cendreux et mares de sang.

 Certains affirmaient que la volonté de ces derniers n’avait pas tant pour but de punir ceux défiant le culte rendu à l’Empereur que de supprimer les potentiels porteurs de maladies. Celles contre lesquelles les « barbares » refusaient obstinément de se faire traiter. Finalement, peu importait la raison de cet acharnement, le résultat était le même.

 Seulement, Heres, comme tous ceux de sa génération, n’avait jamais vu un seul de ces fameux soldats sanguinaires dont parlaient les plus vieux. Il vivait dans un cloaque, enterré vivant, pour se prémunir d’un danger hypothétique. Il s’était même déjà surpris à se demander si ces histoires n’étaient pas exagérées, pour une raison qui lui échappait. Mais son père adoptif confirmait à chaque fois ces racontars, et il s’agissait de l’une des rares personnes dont il ne remettait jamais en doute l’honnêteté. Alors il restait là, cloitré sous terre avec le reste du village, espérant ainsi échapper à une menace fantomatique qu’il ne verrait probablement jamais. En revanche le manque d’air frais, l’humidité et la dangerosité de ces antiques galeries minières, accompagnés d’un manque de lumière à rendre fou, étaient des menaces bien réelles à ses yeux désabusés.

 Sans prévenir, la morne tranquillité qui régnait sur la cuisine mal éclairée s’effondra dans un gloussement de jeune femme, accompagné du cri grinçant de la porte métallique de l’entrée s’ouvrant avec fracas. Heres ne releva pas la tête mais reconnu sans mal le rire de sa sœur cadette, Thalie, elle-même talonnée par Harbard, leur père adoptif. Tout en continuant leur discussion, ils se défèrent de leurs vestes alors que le jeune homme finissait son repas. Thalie s’approcha de son frère pour entamer les reproches.

 – Tu aurais quand même pu faire un effort pour venir à la cérémonie de Samaïn.

 – C’est pas mon truc d’aller au temple. Et puis ces cérémonies à rallonge… Vraiment je trouve pas ça important.

 – Ça l’est pour la communauté. Et pour moi.

 Le jeune homme se contenta de hausser légèrement les épaules, sans émettre un son. Il n’était pas du genre à attendre quoi que ce fut des forces divines. Et si certains n’y allaient que par respect des conventions, lui refusait de s’y plier simplement pour faire bonne figure. Il racla le fond de son assiette creuse de sa cuillère pour ne pas perdre une miette de sa bouillasse protéinée.

 – Tu n’as rien préparé pour nous… C’est pas sympa, se lamenta la jeune femme. J’espérais qu’on pourrait avoir un vrai repas en famille aujourd’hui.

 Heres s’essuya la bouche du dos de la main, puis se leva d’un bon.

 – Désolé Thalie mais je suis pressé. J’ai du boulot aujourd’hui.

 – Où tu vas ? le questionna Harbard.

 – On part à la chasse. Avec un peu de chance je serais de retour demain dans la journée.

 – Elle est maintenue ? Pourtant c’est dangereux de sortir, reprit Harbard. La Motte s’est fait attaquer pendant la nuit.

 – Sans déconner ?!

 – Sans déconner, lui répliqua son père adoptif tout en s’asseyant à table. C’est forcément les clans de l’Ötztal qui remettent ça.

 – T’es obligé de sortir ? demanda Thalied’un ton visiblement anxieux.

 – Faut bien manger. Mais à mon retour on pourra faire un vrai repas de fête tous ensemble. Je te le promets. D’accord ?

 – D’accord !

 Thalie avait toujours été d’une nature agréable et positive, quoiqu’inquiète, tranchant avec le caractère taciturne et je-m’en-foutiste de son aîné. En effet, ce petit bout de femme aux airs de poupons à peine sorti de l’adolescence et à la belle chevelure noire, ondulée et épaisse, savait toujours redonner le moral aux autres. Cette joie de vivre était d’ailleurs toujours très appréciée dans la clinique que tenait Harbard, où elle travaillait depuis longtemps déjà.

 Heres aussi, même s’il n’aimait pas l’admettre, se laissait toujours adoucir par un sourire ou une petite attention de sa cadette avec qui il avait toujours eu un lien particulièrement vif, possessif même. Était-ce dû aux évènements marquants qu’ils avaient vécus ? Peut-être, il ne pouvait l’expliquer par des mots. Quant à ses souvenirs, ils lui échappaient sans cesse, malgré ses efforts. Si bien qu’il s’était résigné à se remémorer les premières années de sa vie.

 Le jeune homme retourna alors dans sa chambre afin de se munir de son équipement de chasse. Il prit sa paire de mitaines, enfila de solides bottes de cuir fourrées, et empoigna une épaisse écharpe verte en laine que Cassandre lui avait tricotée elle-même l’an dernier. Il l’enfourna ensuite dans sa sacoche de cuir avec quelques affaires de plus, enfila sa lourde veste brune, passa à son dos un grand sac de randonnée contenant son matériel de survie et son sac de couchage en fourrure. Enfin, Heres ouvrit son armoire en bas de laquelle reposait un vieux fusil de chasse et une boite de cartouches. Il déposa ces dernières avec soin dans sa sacoche avec le reste de ses affaires, puis fusil à la main, se dirigea de nouveau vers la cuisine.

 Thalie y était affairée à préparer le déjeuner, tandis que Harbard s’occupait sur son holotablette, un petit dispositif rectangulaire et plat capable de projeter des hologrammes interactifs, des pages de livres et une pléthore d’autres gadgets. Il ouvrit le cellier afin d’y prendre quelques barres de viande séchée avant de se diriger vers la sortie de la maison.

 – Je t’aime. Fais bien attention à toi ! s’écria Thalie.

 – Oui oui, promis. Moi aussi… répondit timidement Heres tout en ouvrant la porte.

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