Chapitre 2.8 : Vers l'est
Dos au mur, le survivant du massacre prit rapidement sa décision. Le Martien s’approchait de lui à grand pas, talonné de deux chasseurs impériaux. D’un air déterminé, mais pas moins apeuré, il empoigna fermement son pistolet et fit exploser la cervelle de sa compagne qui se blottissait contre lui en fermant de toutes ses forces ses yeux baignés de larmes. Des aspersions de sang vinrent alors souiller son épaule et son visage. C’est alors que défiant une ultime fois les hommes de l’Empereur du regard, il s’infligea le même traitement qu’à son épouse, se réfugiant ainsi là où les impériaux n’auraient pas le cran de le poursuivre.
L’attaque fut d’une rare brutalité, même selon les standards des escadrons. À peine la base avancée des tribus ötztaliennes avait-elle sautés que des drones de reconnaissance s’étaient mis à sillonner les cieux tels une nuée de charognards. Bien vite, se fut au tour des vespiptères de se poser sur les gravas encore fumants. De ce moment, il ne fallut pas longtemps non plus pour que les escadrons trouvent l’entrée menant au village souterrain proche de là.
Les habitants surpris en pleine nuit n’eurent pas le temps d’évacuer, stoppés net dans leur évacuation par la réactivité étonnante des forces impériales. Accompagnés de ces géants de combat qu’étaient les Martiens, les chasseurs n’en avaient été que plus efficaces, leurs nouveaux collègues avançant en ligne droite dans les défenses adverses comme autant de chars d’assaut humain. Entre leurs modifications génétiques, leur entrainement intensif, et leur matériel militaire de haute technologie, ces monstres de guerre formaient une force de frappe inarrêtable. Ils n’avaient pas éprouvé la moindre gêne en massacrant toute âme qu’ils croisèrent, s’attaquant même aux plus jeunes, et laissant à leurs frères équipés de lance-flammes le soin de réduire chaque maison en cendre sur leur passage.
Novak activa rapidement le filtre à gaz de son masque de combat, afin de ne pas mourir étouffé dans ce décorum infernal nimbés d’épaisses fumées noires et de flammes féroces. Avec ce masque et son casque en salade, on ne distinguait plus le moindre trait de son visage. Il ressemblait simplement à la mort. Sa tête entièrement protégée n’était que le sommet d’une ombre équipée pour la guerre. Elle se reliait à son torse – qui se cachait sous un épais gilet noir carapaçonné mais étonnamment léger – par un gorgerin protégeant son cou, quand les segments de son casque protégeaient sa nuque. Un long et lourd manteau brun imperméable et rembourré enveloppait des jambes équipées de coques de protections, pour tomber finalement sur des pieds en bottes de combat noires qui balayaient sur leur passage la poussière de ces lieux.
Il se dirigea vers ce qui lui sembla être la demeure du chef local. Une grande bâtisse quelque peu plus élaborée et spacieuse que les autres. Il trouva devant celle-ci le général Tarkon et ses hommes, lesquels avaient aligné une petite dizaine de prisonniers à genou devant leur supérieur. Comment ces monstres de guerre faisaient-ils pour rester là, face découverte ? Étaient-ils réellement des demi-dieux insensibles aux fumées toxiques ?
– Général, entama Novak tout en saluant avec rigueur.
– Vous tombez bien, Lieutenant. L’Empereur soit loué, on dirait bien que la chance nous sourit.
Le chasseur alpin inspecta du regard les hommes à genoux face à lui. Il était traditionnel chez ces sauvages particulièrement belliqueux de l’Ötztal d’afficher son statut social par un collier arborant des cartouches de fusil. Une seule autour d’un simple lacet pour les guerriers, avec leurs initiales gravées, mais tout une collerette de munition pour les chefs de guerre. Sur la dizaine d’hommes, plusieurs d’entre eux possédaient de tel colliers. Tarkon s’adressa alors à eux.
– Nous recherchons un homme se faisant appeler Harbard. Est-il ici ?
Aucune voix ne s’éleva pour répondre au général Martien. Ce dernier empoigna alors l’épée à vibrolame pendant à son côté, puis l’éleva pour mieux décoller la tête de l’un des captifs en l’abaissant d’un geste sec et précis.
– Il doit se faire connaître comme médecin, ou plus généralement comme scientifique.
La même scène se reproduisit. Une deuxième tête roula au sol. Le Martien dévisagea les hommes soumis devant lui, pas un ne semblait prêt à parler. Le général n’avait pas pour lui la vertu de la patience, surtout lorsque le repaire souterrain dans lequel il se trouvait risquait de s’effondrer à cause des flammes.
– Général, ces hommes ne parlent jamais aux impériaux, ils préfèrent mourir. Même si votre cible était leur ennemi ils ne vous le diraient pas même sous la torture.
– Vraiment ? s’amusa le Martien. En voilà de bons soldats. Dommage qu’ils ne soient pas plus évolués que des animaux.
Tarkon conclut sa phrase en abaissant sa vibrolame sur une nouvelle nuque, déclenchant cette fois ci une réaction furieuse d’un jeune homme solidement retenu par l’un des surhommes du général. Ce dernier ramassa alors la tête de celui qui fut un grand chef et guerrier, au vu de son magnifique collier de sauvage orné de dents et de griffe d’ours, en plus de sa multitude de cartouches de fusil. Il la présenta au jeune homme, la saisissant par les cheveux tel un déchet. Il s’accroupit devant le captif en ne fuyant nullement la haine qui jaillissait à torrent des yeux de ce dernier. Le jeune homme s’était visiblement battu récemment, sa tête étant encore ornée de bandages tachés du sang s’écoulant d’une sévère blessure à la tempe droite.
– Il y a comme un air de ressemblance, dit Tarkon en dévisageant le jeune homme et la tête qu’il tenait avec dédain. Ton père peut-être ?
Le prisonnier voulut cracher à la face du général, mais ce dernier se protégea avec son macabre trophée. Il se releva puis fit signe à son technomancien de s’approcher. Le Martien cyber-augmenté abaissa son ample capuche noire et rouge, laissant apparaitre une chevelure de câbles s’agitant comme autant de serpent sur la tête d’une gorgone. Novak eut une mimique de dégout cachée derrière son masque, tandis que le surhomme-machine s’approchait du prisonnier.
Les serpents synthétiques se mirent à danser en un lent ballet alors que le technomancien prenait la tête du captif entre ses grandes mains gantées d’acier. Il les releva brusquement pour emporter avec elles le pauvre captif qui ne toucha alors plus terre, se débattant dans le vide. Ses yeux vides et froids fixèrent ceux emplis de terreur du jeune homme avant que les câbles vivants ne viennent s’approcher de sa tête en serpentant lentement.
Ils passèrent par ses oreilles, par ses narines. Percèrent même son crâne de petites morsures horribles afin d’aller se connecter à leur objectif. Le technomancien n’eut aucun mal à obtenir tout ce qu’il désirait. Aucune créature humaine n’était de taille à lutter contre une telle agression, pas un seul esprit n’était assez fort pour résister à ce type de piratage des plus odieux.
Le Martien chercha alors dans le cerveau de sa victime une quelconque référence à leur cible, sans succès. Mais passant en revue la journée d’aujourd’hui, il tomba sur un épisode qu’il jugea intéressant. Il vit comme s’il y avait été lui-même le visage de celui qui avait blessé l’Ötztalien. Un autre jeune homme, d’un peu plus de vingt ans peut-être. Mal rasé, emmitouflé dans une grosse écharpe verte, brandissant un vieux fusil en hurlant autant de peur que de colère. Il apprit comment le guerrier ötztalien avait su profiter de la naïveté de son ennemi pour les sortir lui et son père de ce mauvais pas, grâce à un bon mensonge.
Le technomancien fouilla encore dans les souvenirs de ce jour et vit une entrée de mine abandonnée. C’était là que se cachait les ennemis du jeune éclaireur ; il en était persuadé. Il avait rêvé toute la journée des récompenses que lui apporterait cette information. Satisfait de sa vision, le surhomme mécanique se déconnecta de sa victime qui s’effondra sans vie à ses pieds, le corps comme désarticulé et la tête horriblement mutilée.
Novak se sentit mal devant ce spectacle et cru qu’il allait vomir. Il avait vu beaucoup d’horreur dans sa carrière de chasseur, mais rien de ce type. Le dégoût qu’il ressentait pour ces choses qu’étaient les technomanciens venaient de s’infiltrer un peu plus profond en lui, jusque dans ses tripes. Toujours choqué par ce qu’il venait de voir, le lieutenant s’adressa au général martien d’un ton hésitant.
– Mon Général…
Novak se tut dès que l’œil suspicieux de Tarkon se posa sur lui. Le Martien comprit rapidement ce qui causait la gêne de l’officier des escadrons.
Le piratage cérébral avait été reconnu comme technique hérétique par le Codex Inquisitorial. Cette pratique, très répandue durant la Croisade Artificielle, fut rapidement bannie à cause du douloureux traumatisme qu’elle laissa aux survivant de cette sombre période. Elle représentait également une atteinte sans précédent aux droits humains. C’est pourquoi les autorités préférèrent l’interdire malgré son énorme potentiel, en raison de son caractère jugé révoltant et l’hostilité qu’elle suscitait chez les populations de l’Empire. Tarkon se plaça à côté du lieutenant et se pencha légèrement sur lui, pour se faire correctement entendre malgré le brouhaha qui régnait toujours autour d’eux, dans ce village agonisant.
– Cette opération est menée pour l’Empereur en personne. Vous comprenez, Lieutenant ? Cette fois-ci, vous jouez au-dessus des lois.
Novak resta là, muet comme une tombe. Il se contenta de hocher la tête alors que les soldats du général exécutaient les captifs devenus inutiles d’un tir de leurs armes surpuissantes. Elles ne laissèrent que trous béants dans des corps sans vie. Le technomancien cacha de nouveau sa chevelure de cauchemar sous sa grande capuche. Il indiqua à Tarkon la direction à prendre pour se rendre aux anciennes mines qu’il avait aperçu durant sa macabre vision. Ils iraient maintenant vers l’ouest.
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