Chapitre 3.1 : Nouvelle croisade
– Une vraie mort, dans l’Alterworld ? C’est impossible ! s’offusqua l’hologramme du maître inquisiteur.
– C’est pourtant ce qu’affirme Maître Naka, reprit un autre. On a bel et bien retrouvé le corps de son informateur et il a lui-même été blessé.
La matriarche du Culte était assise, les jambes repliées et entourées de ses bras fins. Renfoncée dans un très large fauteuil aussi luxueux que moelleux, elle observait et écoutait avec attention les centaines de petites apparitions holographiques débattre devant elle.
– Que dit le rapport d’autopsie ? continua un autre maître de l’Inquisition.
– D’après ce qui est écrit, le sujet est mort d’une curieuse façon. Son corps aurait réagi brutalement aux blessures décrites par Maître Naka. Mais sans laisser de traces physiques évidentes. En fait, d’un point de vue strictement biologique, c’est son cerveau qui l’a tué en ne parvenant plus à distinguer monde réel et virtuel, reprit le deuxième intervenant.
– Vous essayez de nous dire que cet homme serait mort « d’illusions » ? s’intrigua un autre.
– On peut sans doute le décrire comme ça, oui. Ce qui compte ici c’est l’information. Les informations transmises à son cerveau l’on conduit à pousser le réalisme de la simulation jusque dans ses ultimes limites.
L’assemblée inquisitoriale marqua une pause stupéfaite qui laissa chacun digérer la pesante nouvelle. Des airs graves se dessinèrent sur les visages orangés et tressautant qui se tenaient devant la matriarche. Le simple fait de tenir cette assemblée par communication holographique plutôt que dans le tribunal virtuel du conseil inquisitorial démontrait la méfiance qu’avait suscité la nouvelle pour les connexions à l’Alterworld.
– Et pour Maître Naka ? questionna le premier intervenant.
– Il va beaucoup mieux. Sa blessure étant par essence « illusoire », il a rapidement récupéré. En fait il semblerait qu’il ne faille qu’un peu de repos à une victime pour se rétablir de cette drôle d’expérience. Le temps que son cerveau ne remettre un peu d’ordre entre réalité et fiction.
– Sauf si elle meurt…, ironisa un dernier.
L’Alterworld avait fait exploser de très nombreuses frontières entre la réalité du Premier Monde et la multitude de nouveaux espaces qu’il abritait en son sein. Dans le sillage de cette révolution, les effets secondaires affectant le cerveau humain étaient légions, et menaient le plus souvent à des troubles mentaux variés. On y ressentait autant de sensations que dans le monde dit « réel ». Certains replis de l’Alterworld autorisaient même les utilisateurs à se battre et à s’infliger ainsi de sévères blessures dont les victimes ressentaient la douleur.
Cependant, l’Empire avait jusqu’ici assuré la tâche colossale de préserver le corps charnel des utilisateurs de dommages, bien à l’abri dans le Premier Monde. Mais il les protégeait également dans l’Alterworld de la « Vraie Mort », celle que l’on éprouvait dans le Premier Monde et dont on ne revenait pas. Lorsque le corps et l’état cérébral de l’utilisateur émettaient une série d’ondes propres aux derniers instants de la vie, la simulation se coupait automatiquement, avant que l’information ne franchisse le fin voile de l’Alterworld pour s’insinuer fatalement dans le cerveau de l’utilisateur retranché dans le monde réel.
– Comment une bande de dégénérés comme ces Arpenteurs du Vide a bien pu parvenir à contourner nos protocoles de sécurité ? C’est inconcevable, s’inquiéta un autre inquisiteur.
– C’est une question à laquelle nous allons devoir répondre très rapidement, lui répondit un confrère.
La matriarche du culte impérial sortit enfin de son mutisme, l’air toujours aussi songeur.
– Vous n’imaginez pas à quel point vous avez raison, Maître, adressa-t-elle au dernier intervenant. Les services secrets m’ont informé avant la tenue de cette réunion de plusieurs autres cas de vraie mort à travers les dimensions de l’Alterworld. Les Arpenteurs du Vide visent prioritairement nos agents. Mais aussi des personnalités des conglomérats, des régressistes, et d’autres groupuscules rivaux au leur.
Les maîtres semblèrent aussi inquiets que révoltés, y allant tous de leur commentaire belliqueux à l’encontre de la secte de fanatiques qui osait les défier, eux ; le bras armé du Culte traquant les hérétiques de leur espèce. Leurs vociférations tournoyaient, enflaient dans les airs en un bourdonnement lugubre.
– C’est pourquoi moi, Cassandre Orala, Matriarche du Culte de l’Empereur-Dieu et Première Garante de la Foi. J’ordonne en accord avec le Codex Inquisitorial et la volonté de l’Empereur Tout-Puissant, la traque, l’interrogatoire libre, et enfin la mise à mort de toute personne appartenant ou étant suspectée d’appartenir à l’une des sectes dites des Arpenteurs du Vide. Et ce absolument partout sur cette planète et au-delà.
À la suite de cette annonce, l’assemblée des inquisiteurs exulta. Tous se levèrent dans un tonnerre d’applaudissements enivrés. Leur maîtresse venait officiellement de déclarer la mise en marche d’un mouvement comme n’en avait plus connu l’ordre de l’Inquisition depuis bien longtemps. Lorsqu’un calme relatif revint planer sur l’assemblée, elle poursuivit.
– J’annonce également en ce jour l’ascension du Maître Inquisiteur Naka Friedrich au statut de Grand Maître de l’Ordre Inquisitorial pour service rendu.
Cela faisait un moment que Naka s’était fait remarquer de la Matriarche. Grâce à son excellent travail dans la traque des sectes hérétiques les plus insaisissables et les plus dangereuses que comportaient les entrailles d’Éminence, ainsi que des autres mégacités terriennes de l’Empire. Avec cette promotion, ce dernier aurait un pouvoir presque illimité dans la croisade qui s’annonçait. En le faisant accéder au cercle très fermé des Grands Maîtres, Fides espérait voir son champion mettre encore plus de zèle à l’éradication de la menace. Si cela était seulement possible.
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