Chapitre 4.2 : Le crash
L’étrange engin volant de Harbard fonçait toujours en direction de l’ouest. Son grondement roque troublait la fraîche tranquillité des forêts en passant par-dessus la cime des arbres. Doren, bien que peu rassuré, s’était mis aux commandes de l’appareil et se contentait d’enfoncer les commandes vers l’avant, orientant ainsi l’appareil droit devant. Malgré ses airs complexes, la machinerie s’était laissé apprivoiser assez aisément, à sa plus grande surprise.
Assis à côté du géant blond, Clovis il triturait le tableau de bord de l’appareil sans s’occuper de ce qui se passait autour de lui, renfermé dans sa bulle depuis le macabre spectacle qu’il avait dû contempler. À l’arrière de l’habitacle, Heres observait avec empathie son camarade, le nez plongé sur un tas de vieux boutons crasseux. Il ne serait plus jamais le même. Et lui non.
Il ne pouvait chasser de ses pensées cette tête mutilée, entre ses mains. Cette tête inhumaine, qui lui adressa ses dernières volontés en le fixant avec insistance, pleurant, suppliant. Heres avait la nausée en repensant à ce massacre, était perdu de ressentir pareil sentiment pour une machine, à égal avec son dégoût pour les monts de chairs calcinées laissés en arrière. Cette chose était certes d’un niveau de sophistication dépassant de loin toutes celles qu’il avait déjà vu auparavant ; mais cela restait une machine tout de même. Un robot qui l’avait trompé depuis toujours. À moins qu’un tel niveau de réalisme le fasse dépasser de loin ce statut, justement.
Et ses sentiments envers lui, avaient-ils été réels ? Comment avait-il pu être élevé par cet… être ? Sans même s’en apercevoir ? Cela avait-il vraiment de l’importance ? Sur le coup, il n’avait même pas réalisé ce détail pourtant crucial, se contentant d’assister à l’agonie de son ami et père de substitution. En fait, il ne savait absolument plus quoi penser de ces événements qui venaient de détruire tout ce qu’il pensait avoir su un jour. Le cœur lourd et plein d’anxiété, il préféra perdre son regard dans le lointain, la dichotomie entre le ciel blanc de ce jour hivernal et les nuances brunes et vertes de ces forêts d’épineux qu’il survolait. Heres enfoui son nez dans sa lourde écharpe de laine. Sous l’odeur piquante de la fumée, on pouvait encore déceler le léger parfum agréable du propre. Une odeur qui lui rappelait sa sœur, elle qui prenait toujours soin de lui laver ses affaires. Tout n’était pas perdu. Pas tant qu’elle serait si proche, même entourée d’une armée.
Sa tranquillité fut de courte durée car Doren lui signala rapidement ce qui se profilait à l’horizon. Une vallée montagneuse comme des centaines d’autres s’étalait sous leurs yeux, au détail près qu’un escarpement rocheux semblait accueillir sur son point de rupture une structure comme ils n’en avaient jamais vu pareil, mais en devinaient la nature évidente : une forteresse. Les deux jeunes gens se questionnèrent et théorisèrent quelques instants, mais un autre engin volant attira toute leur attention. Un drone impérial !
La chose était conçue de deux turbines à hélices montées sur un corps courbé en croissant de lune abritant à son extrémité haute de nombreux capteurs. L’autre bout de cette silhouette arquée se munissait en revanche d’un armement à canon magnétique léger largement décris par ceux qui avaient eu la chance d’en réchapper. Rapidement la sentinelle volante approcha pour analyser l’intrut et Heres se rua sur le fusil appartenant autrefois à son tuteur. Une arme à propulsion magnétique également, chose extrêmement rare voire impossible à trouver en dehors du système impérial. Bricolée et même améliorée par un esprit dont on connaissait maintenant l’origine du génie. Malgré leur état de choc, Doren avait eu le bon sens de prendre en plus de leurs armes de chasse cet instrument ingénieusement conçu qui permettait de traverser les blindages, ainsi qu’une boite de munitions cachée sous le lit du cyborg.
Heres se pencha avec prudence, la moitié du corps hors de l’habitacle de l’engin, visa le drone. Le premier tir fut manqué. Le vespidé de métal était donc suffisamment agile et intelligent pour esquiver. Le deuxième essaie fit mouche, mais le drone continua sa course et de son abdomen sortit un ultime dard qui manqua Doren par miracle mais endommagea gravement le tableau de bord. L’appareil devint incontrôlable, se mit à tournoyer dans les airs avec violence, détruisit au passage le drone en le tapant brutalement de sa queue. Les trois jeunes hommes se cramponnèrent au mieux. Leur appareil tapa contre la cime d’un grand sapin. Les hélices de l’engin se réduisirent en morceaux d’acier tordu tout autant qu’elles détruisirent l’arbre malheureux en lambeaux. Le bruit fut assourdissant, à rompre les tympans, alors que les trois passagers étaient secoués dans un torrent de brutalité encore inconnu. La carcasse du véhicule s’immobilisa. Un calme d’après tempête traversa la forêt.
Heres réouvrit les yeux. Sa vision était trouble et ses oreilles sifflaient d’un son strident qui lui perforait le crâne. Clovis se pencha sur lui avec inquiétude, s’adressant à son ami qui ne compris pas un mot. Doren lui tapota alors sur la joue, sa manière à lui de le faire sortir du brouillard dans lequel il était plongé.
– Mais t’es débile !? Il a surement un trauma crânien. Arrête de lui taper dessus !
– S’il a un trauma on ne pourra rien pour lui de toute façon. Faut qu’il émerge avant que les escadrons débarquent.
Alors que les deux rivaux s’écharpaient au-dessus de lui, Heres retrouva peu à peu ses esprits. Il tenta de se redresser en vain, puis fut aidé de ses amis durant son second essaie.
– J’ai cru que t’été mort, avoua Doren. Tu t’es envolé et t’as traversé la vitre à l’avant.
– D’ailleurs tu devrais être mort, reprit Clovis. Les dieux sont avec toi pour que tu puisses déjà te remettre debout.
Le jeune miraculé, dont un fin filet écarlate coulait depuis la base du front, pointa simplement son doigt vers l’avant d’un air peu sûr.
– Heu… non. Je crois que la forteresse, c’est dans l’autre sens, fit remarquer Clovis.
Pendant ce temps, Doren avait attrapé un morceau de métal ayant appartenu à l’appareil et s’en servit afin de ratisser assez de terre qu’il mélangea ensuite à de la neige. Il malaxa le tout, le faisant chauffer entre ses doigts afin de créer une bouillasse noirâtre et froide qu’il se tartina sur le visage, puis sur l’ensemble du corps, en imprégnant ses vêtements et ses cheveux. Malgré la situation son sang-froid était admirable. Il fut le seul à se souvenir des enseignements de survie qu’on leur prodigua autrefois. Se masquer des yeux humains n’était pas suffisant face aux escadrons, il fallait aussi se rendre invisible aux capteurs de leurs maudits drones et cette boue les y aiderait. Clovis l’imita, aidant Heres encore sonné. Ils se camouflèrent ainsi tous les trois. Le mélange d’eau glaciale et d’humus raviva les esprits de Heres. Agressant sa peau, laissant infiltrer son odeur forestière dans ses narines, pour mieux lui rappeler qu’il était toujours vivant, aussi dingue que cela ait pu paraître.
Ils extirpèrent ensuite ce qu’ils purent sauver de l’habitacle de l’appareil en piteux état, à savoir deux fusils, ceux de Clovis et Harbard, et peu de ce qu’ils avaient eu le temps d’emporter avec eux depuis le village. Ils s’éloignèrent aussi vite que possible de l’épave sur laquelle se plaça rapidement un vespiptère bourdonnant de colère. La traque allait commencer. Les trois jeunes gens devraient se frayer un chemin jusqu’à l’avant-poste impérial aussi vite que possible. Par chance la nuit tomberait sans tarder, leur laissant l’avantage de pouvoir se mêler aux ombres pour faciliter leur avancée.
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