1 - Adulescent
Et maintenant ?
Le stage est fini, plus personne ne me poussera en avant. Je suis le seul à pouvoir m’aider.
Je réalise doucement que je suis encore un adulescent, que je le serai encore longtemps. Pas parce que je le veux spécialement, c’est plus le fait de cette part d’enfance qu’on ne souhaite pas quitter. Elle est là. Elle est bien.
Passé la crise existentielle, je vois bien que je n’ai pas vieilli en même temps que les personnes de mon âge. Il y a un truc qui a fourré en cours de route. J’ai clairement plusieurs trames de retard. Rien d’étonnant en soi. J’étais occupé à survivre, à comprendre les ombres et le mal-être qui composaient ma psyché pendant que les autres vivaient tranquillement leur jeunesse. Je crois avoir encore seize, dix-sept ans… Le lycée, c’est précisément là où je me suis coupé du monde, précisément là, où j’ai commencé à rêver éveiller d’une vie plus palpitante bercé par les animés, les dramas et la K-pop. Ouais, c’est en quittant ma vie de collégien que j’ai basculé vers une vie de solitude assez morbide. J’n’ai gardé le lien avec personne, et personne n’a gardé le lien avec moi…L’amitié m’a toujours fui comme un bon nombre de chose en fait. Je ne peux plus me leurrer. Il doit avoir un truc de foireux chez moi. J’accepte volontiers de savoir ce que c’est pour avancer.
Je me demande si la porte restera entrouverte entre l’adulte qui essaie de s’imposer et l’adolescent solitaire qui n’a rien expérimenté ?
J’ai tellement de choses à vivre et la sensation de ne pas avoir ni le temps ni l’opportunité.
Elle a dit quoi Candyce déjà ?
« Ne pas hésiter à être audacieux. Si tu sens que tu dois faire le premier pas. Fonce. T’as quoi à perdre ? Un moment gênant, dans le pire des cas ? Cet instant, est-ce que tu t’en souviendras dans cinq ans ? »
Léontine colle sa truffe morveuse sur ma main, un bâton entre ses quenottes. Si je ne lui lance pas, elle va me faire la misère et mes pauvres oreilles vont bourdonner pendant toute la balade. Pas moyen de profiter de la vue, tranquille sur le banc. C’est ça que j’aime lorsque je viens à la colline à l’heure où le lever du soleil s’éveille. Tout est calme et renouveau. Tout est respirable, même les doutes et les projets d’avenir encore bancal.
Léontine s’agite, balayé le sol terreux de sa queue envoyant un nuage de poussière sur le pauvre Larson. Bougon, il se déplace pour finir par déambuler dans la pinède à la recherche de la meilleure pisse à flairer.
Je secoue la tête faussement désespérée, attrape le bâton, tire dessus. Ma fille chérie ne se démonte pas. Cette force dans un si bout de chien et tellement d’amour que je pourrais faire des élixirs avec sa bave. Sur l’étiquette sera inscrit : « Une goutte chaque jour pendant un mois pour un ruban de douceur accroché au cœur ». Certain que ça se vendrait comme des petits pains.
Conquérant, je brandis la branchette qui virevolte dans le ciel. Léontine s’élance, svelte. Elle étend tout son corps et court comme une fusée. Seul le morceau de bois compte. Il faut qu’elle l’ait à tout prix. C’est le sien. Elle ne se le laissera pas voler par le vent frais de février ou par les aiguilles tapissant le sol. Avant de l’atteindre, ma fille glisse. Son arrière-train dévie de la trajectoire. Elle fait un roulé-boulé, pour retomber sur ses pattes, exécuter un dérapage et chopper le tout puissant bout de bois. L’oreille retournée, la truffe noircie par la terre, elle revient toute fière. J’explose de rire quand je me laisse surprendre par un tabouret velu qui passe entre mes jambe façon bourrin. Pas de doute sur l’identité de l’arrivante : Barbodine, communément nommé Daindinette dans la communauté de la colline. Elle est suivie de près par Royal et Tartine, les jumelles labrador. Je ne suis plus seul, et le soleil à fait son entré dans le ciel bleu.
— Léandre ? Bah, t’es bien matinale aujourd’hui. On est tombé du lit ?
Je me tourne vers Roxane leur adoptante. Une longue tige qui m’épate à chaque fois que je la vois tenir les trois pommes d’amour. C’est allusionnant qu’elle ne fasse jamais drapeau même quand le trio se met à cabrer.
— On a fait une petite nuit blanche pour dire la vérité, réponds-je sur un ton théâtral.
— Encore ? Laisse-moi deviner, des tracasseries, n’est-ce pas ? Tu te poses trop de question mon petit gars. Tu vas finir par t’ulcérer la pensée.
— Y’a des chances pour que ce soit déjà le cas, mais qu’est-ce que tu veux que je te dise. Je n’ai jamais su faire autrement.
— C’est encore tes démarches ? Tu n’as pas eu de réponses et ça te mine le moral.
Roxane jette son sac sur la table mille fois rafistolée, s’affale sur le banc comme je l’ai fait des instants auparavant et sors deux barres céréales.
— Tiens, mange. Ça te fera du bien. T’es tout blanc.
Je ne me fais pas prier et déguste avec elle les pétales croustillantes aux choco-noisettes. Les chiens s’amusent ensemble, plus besoin de jouer avec eux, alors je me pose et le regard rivé sur la rade de Toulon, j’avoue tout.
— Pas une. Plus de soixante-dix boîtes aux lettres et pas un appel. C’est carrément démoralisant. Même en écoutant des mantras, des phrases positive ou en méditant, je n’arrive pas à faire sortir le gars relou qui est encore à gratter l’amitié dans ma tête. Ne veut pas ce barrer. Il me casse les houppettes.
— Ouais, je serais pareil. Ça me fendrait les escalopes. En tout cas, c’est plutôt une bonne nouvelle, tu t’actives, t’avance. Sur les soixante-dix il y en aura bien un. Puis ça fait quoi ? Une semaine. Patience, Lélé !
Surnom pourrit de Roxane.
— J’essaie de m’en convaincre, vraiment. Tellement plus envie de galérer. J’la veux cette tune qui me manque temps. Je suis sûr que je pourrais commencer quelque chose de nouveau avec.
— Bah, faut voir. Moi, je sais que la tune ne m’a pas amené que du bien. Si j’avais gardé un salaire entre deux, je n’aurais pas fait autant de conneries. Je ne me serais pas laisser embarquer par la vie infernale d’une acheteuse compulsif, pour basculer dans les jeux de grattages et d’argent. Je n’aurais pas dilapidé mon compte commun ni prit l’épargne de ma fille pour ses études au japon. Mon mari ne se serait pas tirait avec ma petite sœur et mes gamins ne m’auraient pas renié.
Roxane. Triste vie. Plus que la mienne. Quand je l’ai connu au début de nos sorties en groupes, elle parlait d’une vie fabuleuse, que j’aurais sans doute adoré avoir. Puis un jour, elle a raconté se qui a suivi et là… j’ai compris pourquoi elle était aussi gaga de ses chiennes. C’est partie loin… les coupures sur ses poignets peuvent en attester.
— Léandre, t’es du genre à avoir de la ressource. Les gens comme toi savent marcher dans le noir. C’n’est pas donné à tout le monde. La vie ne te frappe pas pour te mettre à terre, elle te cogne pour que tu résistes, pour que tu sois adaptable tout en sachant qu’elle saveur à le bonheur. Putain ! C’est trop beau c’que je dis !
Elle part d’un rire de phoque s’étouffant sur la plage, ouvre le bal. Je sors le rire de bassecours.
Le silence retombe.
On observe la végétation et les perles d’eau que les rayons du soleil transforment en or.
— J’ai des rêves pleins la tête et j’ai tellement peur de ne pas les réaliser que je m’enfonce en les énumérant et en les vivant dans mon crâne.
— Arrête les questions, gamin. Apprends juste à te dire oui de temps en temps.
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