2- Plus d'excuse 1
—Tu rentres tard. Ça c’est bien passé ? Elle a bien mangé la mémé ?
La même question comme tous les soirs. Ma mère ne change pas le registre comme si c’était une phrase de politesse et qu’on n’attendait pas la réponse.
— Une catastrophe. Elle a mis une heure pour manger un yaourt et trois cuillères de purée.
Pas le temps de respirer, j’embrasse les chiens qui me font la fête à chaque fois. Une heure sans me voir et c’est l’hécatombe. Ils me cherchent partout, me saute au cou lorsqu’ils m’ont retrouvé. Puis, je file en cuisine. Rares sont les instants où je chôme. Promenade le matin, cuisine midi et soir, écriture l’après-midi et bam, je me rends compte qu’il est déjà tard. Le jeudi, c’est pire, je travaille le matin. La balade s’effectue après repas sur les coups de vingt heures.
Casserole en main, je m’organise cuisto. J’ouvre le frigo, sens passer une vague désertique comme une calotte glacière. Deux œufs, un reste de riz aux épinards, de la crème fraiche. C’est partie pour des galettes Jeon (coréenne) revisitées. Je rajoute quelques herbes de Provence, du persil et les fanes de radis. L’aspect n’est pas ragoûtant mais le goût y est. Ça ira.
Fin de repas, je range, me lave, m’éclipse, souffle et allume mon ordi.
Une musique tibétaine envahit la pièce, je ferme les yeux et je sens une larme couler.
Pourquoi je me sens si mal ?
Mon portable vibre. Bélynda et ses vidéos de chiens que j’adore en général mais qui ne me font aucun effet dans cet état proche de zéro.
Je devrais être heureux, être mieux dans mes souliers. Ce job, c’est ce que j’ai demandé.
Fin février et après trois semaines à attendre une réponse aux centaines de CV que j’ai mi dans les différentes boîtes aux lettres de mon quartier et des environs, j’ai été contacté par un vieux monsieur ; César De Loin De la longe. Un nom assorti avec le mas et la pinède qu’il possède. Il a suffi d’un entretien d’une heure et demie à échanger sur mes expériences, sur ma vie, pour que je débute le lendemain pour un essai. Ah ! Pour aller vite, c’est allé vite ! C’était à peine croyable. Je sautillais sur le chemin du retour.
Enfin une réponse ! Enfin un oui ! Enfin une victoire !
C’est ce que j’ai pensé après avoir mis tant d’effort dans mes sourires et ma narration.
Depuis, je me rends chaque soir chez lui et donne à manger à son épouse, Bekky, atteinte d’Alzheimer. Rien de fascinant. Elle est si maigre, si pâle. Parfois, j’ai le sentiment de nourrir une morte. Elle est là, puis elle n’est plus là, comme disparue dans les méandres d’un autre monde. C’est con à dire, mais j’ai cette sensation désagréable que quelque chose aspire ma gaité quand je suis auprès d’elle. Les énergies me paraissent si sombre. À moins que le voile de la tristesse m’aveugle encore… pour toujours ?
Je leur prépare le dîner et tous les jeudis, je passe quatre petites heures afin d’arranger la maison. Un rez-de-chaussée et deux étages. Au moins, je pratique du sport. Moi qui voulais perdre deux-trois kilos ; c’n’est pas plus mal. Je ne m’empatterais pas et cet été j’aurais peut-être les quatre carrés de chocolat tant souhaité depuis longtemps.
Je n’sais pas quoi dire. Evidement que je suis content de gagner de l’argent, mais il y a cette voix lointaine qui me dit : t’es pas fait pour ça. Elle est mignonne ! Je veux bien croire que l’écriture dirige mes pensées, cependant, ce n’est clairement pas elle qui m’aidera mettre du beurre dans les épinards.
Hier, en posant le chèque à la banque, ça m’a fait tout drôle. Je me suis même mi à rêver de voyage, de partir loin de tout. De devenir mon propre patron, m’éclipser de la vie des gens qui m’entourent. Oui ! Me faire de plus en plus discret, et commencer à leur rappeler que je ne suis pas un objet acquis.
Devant le PC, la musique d’un groupe japonais dont je me fiche du nom, j’observe les story sur Instagram. C’est le défilé des auteurs et autrices publiés. Mon estomac se noue. Quand j’y pense que mon roman a été arrêté et que les six derniers exemplaires n’arrivent pas à être écoulés. C’est se foutre de ma tronche lors que la corde sangle mon cou.
Avant de mes rediriger sur Messenger, je vois un message. Une certaine Chayldi. Elle m’a écrit deux pavés. Je ne la connais pas. Qu’est-ce qu’elle me veut ?
Je me balance sur ma chaise en prenant garde de ne pas tirer les poils de Larson qui roupie sous le bureau.
Chayldi
Je ne vais pas aller par quatre chemins.
Ça commence bien. Le ton est donné pour me plaire. J’ai dit un truc qui ne fallait pas ? Me voilà déjà en train de paniquer.
Je poursuis les bras derrières la tête.
Chayldi
J’ai lu ton post du dimanche soir. Et je voulais absolument te dire de garder espoir. Parce que moi, je l’ai lu Le chausseur de dame, et pour ne rien te cacher, j’ai vraiment adoré. Que se soit l’histoire ou ta plume. Je ne sais pas pourquoi la maison d’éditions est si longue pour te répondre. Je crois que c’est parce qu’il y a un problème avec une personne du comité de lecture. Enfin, juste pour te dire que tu as du talent et que je suis prête à te soutenir. Tu le mérites et ton roman aussi.
Mon cœur s’emballe sous le feu de joie que provoque le message. J’ai chaud d’un certain bonheur. J’pourrai sauter comme une sardine tellement je ne mis attendais pas. Comme un gosse, je pianote sur le clavier à vitesse grand V pour lui avouer combien ces paroles me réconfortent. Il n’y a pas à dire, ce genre de mots embaume l’âme de ceux, qui aveuglaient par les obstacles, ont du mal à accéder à la route ensoleillée de l’autre côté. Franchement, j’ai vraiment besoin de ce soutien inattendu.
Je dialogue un peu avec elle, puis retrouve un texte que j’avais laissé un peu à l’abandon. J’en relis quelques lignes, quand Haraël se pointe dans ma tête. Ah ! Ces anges ! Ils font se qu’ils veulent. Réel ou non.
— Qu’est-ce que tu fais là ? Je ne crois pas t’avoir appelé ? dis-je sèchement.
Je l’ai déjà remercié pour le taf, mais je n’en ferais pas plus. Parce qu’à la vérité, il n’a pas réalisé le bon souhait.
— La tristesse mêlé à ta soudaine joie l’a fait pour toi.
— Ecoute, si t’ai venu pour me faire un petit cours de « il faut se contenter de ce qu’on a » tu peux repartir.
— Encore bougon ? dit-il sur un ton détaché.
Je quitte le clavier, me tourne vers ce grand perchoir dont la chevelure blonde n’est qu’un tas de boucles bordé de boutons d’or. De tous les anges qui circulent dans ma tête, il est de loin le plus beau, le plus collant aussi. Peut-être plus qu’Ariel.
— Tu étais supposé fertiliser mon travail, mes textes, mon inspiration… Résultat ? Rien. Il ne se passe rien du tout. Et bon dieu que je suis patient.
— Parce que tu crois qu’un sol se fertilise en un jour ?
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