12. Fraternité.
12. Fraternité.
Lorsqu’ils entendirent la voiture de Chloé arriver à hauteur de la petite chapelle, Madison se sentit mal.
— Ça me fait bizarre Gaétan, je… J’ai l’impression que ce n’est pas réel, J’ai peur de la réaction de Chloé. J’ai l’impression de débouler malgré moi dans vos vies bien rangées et de tout chambouler. Bordel, mais quel secret de famille… Pourquoi c’est tombé sur moi ?
— Ne t’inquiètes pas pour ça, Madi, je pense que Chloé t’a déjà adopté en tant que sœur.
Ils entendirent Chloé garer son véhicule, Madison prit une bonne inspiration et souffla à Gaétan,
— Eh bien, je vais devoir me confronter à cette nouvelle réalité.
Elle serra la main de Gaétan lorsque Chloé passa la tête dans l’abri où ils étaient réfugiés. Le regard de Chloé passa de Gaétan à Madison. L’espace d’un instant, les choses restèrent en suspend puis Chloé lui sourit et tendit les bras vers elle ;
— Madi ! Merde, on a eu peur ! Viens ma belle !
Chloé s’approcha et la serra dans ses bras, puis lui dit,
— T’es frigorifiée ! Allez, ouste, tout le monde dans la bagnole, on va chez les parents de Gaétan, ils nous attendent avec l’apéro !
Interloquée, Madison répéta,
— L’apéro ?
Chloé dodelina de la tête et lui annonça,
— Oui, on a déplacé le repas raclette chez les parents de Gaétan, ils sont d’accord et les autres sont déjà là-bas !
— Ah ouais ?! Et mes parents ont dit oui ?! S’exclama Gaétan.
— Oui, Gaétan !
Chloé était tout sourire ; elle semblait gérer l’affaire d’une main de maître. Plutôt stressée par cette situation, Madison lui demanda,
— Mais, Chloé, tu es sure ? Vu la situation… Je ne voudrais pas mettre les gens mal à l’aise…
Elle se tourna vers Madison et la rassura,
— Madison, ne t’inquiète pas, si tu as besoin de temps pour digérer, on passera par la porte arrière pour aller dans la chambre de Gaétan et tu viendras si tu en as envie et quand tu en auras envie.
Elle fit une pause avant de rajouter, en lui frictionnant les mains qu’elle tentait de réchauffer,
— Mais moi, je veux pouvoir fêter, avec toi, notre fraternité toute fraiche ! T’es ma sœur Madi !
— Ta demi-sœur, Chloé.
— Je m’en fous de ça ! Ça, c’est le problème de mon père !
— Et de ma mère, ainsi que de la tienne…
— Oui, c’est leur problème Madi, pas le nôtre.
— Mais…
— Stop, on en parlera plus tard, et surtout, au chaud !
Gaétan obtempéra en aidant Madison à se lever et ils se dirigèrent vers le véhicule, sous la neige qui tombait de plus en plus abondamment.
Une fois dehors, Madison ne put retenir ses larmes. Chloé passa les clés de la voiture à Gaétan et s’installa à l’arrière du véhicule avec elle.
— Désolé Chloé, mais, j’ai un peu de mal avec tout ce que j’ai appris aujourd’hui…
Chloé le prit dans ses bras et lui souffla,
— J’imagine bien, Madi. Tu sais, quand papa m’a expliqué ton existence, il y a trois semaines, j’ai d’abord eu du mal ; ça voulait dire, un, qu’il avait trompé maman et deux, qu’il avait abandonné son enfant dans la nature.
Madison acquiesça, attentive. Chloé continua à lui expliquer son ressenti,
— Quand je lui ai demandé pourquoi il n’avait pas gardé contact avec toi, il m’a énervé ; il prétextait que c’était à cause de ta mère, qu’elle le menaçait de réclamer une pension alimentaire et des trucs comme ça, et qu’il ne voulait pas de lien avec elle. Mais de toi, il ne parlait pas ! J’ai trouvé ça inhumain de sa part. Merde, t’y pouvais rien toi !
Madison soupira puis lui glissa,
— Tu sais, quelque part, je peux le comprendre, ma mère est un peu particulière, parfois…
— Mais, non, ce n’est pas une raison ! En tant que père, il devait t’assumer ! Il a assez d’argent pour ça, il aurait très bien pu te donner une petite pension en parallèle ! Au minimum quoi, même s’il ne voulait pas te reconnaître, il devait s’assurer que tu étais à l’abri du besoin. Enfin, je trouve.
Madison sentit de nouveaux sanglots monter et expliqua à Chloé ce qui lui trottait en tête,
— Si ça se fait, ton père pensait que ma mère prenait une contraception… Et peut-être qu’elle n’en a pas pris, exprès. Pour le forcer, tu vois ? Le mettre devant le fait accompli.
Chloé soupira,
— C’est ce qu’il m’a expliqué, après que je l’ai engueulé ; il dit qu’il avait très explicitement annoncé à ta mère qu’elle n’était qu’une passade, qu’elle ne devait rien espérer de plus que leurs weekends en amoureux.
Chloé soupira puis poursuivit,
— En fait, il a eu cette liaison parce que ma mère lui avait avoué qu’elle-même avait eu une aventure avec un collègue durant un congrès à l’étranger et qu’elle voulait que les choses changent dans leur couple, qu’elle avait l’impression de végéter au fin fond des Ardennes. Il a réagi en la trompant, lui aussi, puis ils se sont rendu compte qu’ils étaient malheureux dans ces plans-là, autant lui que ma mère. Ils ont retrouvé une nouvelle flamme pour leur couple et j’ai été conçue dans la foulée, plus de dix ans après mes frères !
Madison soupira tristement,
— Je crois que ma mère a dû penser qu’il quitterait ta mère pour elle. Elle disait souvent, quand j’étais petite, qu’il n’avait aucun honneur, qu’il aurait dû quitter sa femme pour assumer sa paternité. Parfois, j’entendais des bouts de discussion avec ma tante Mathilde, à propos du fait qu’elle estimait qu’il était « sous la coupe de sa femme » et que la fortune venait de son côté à elle, que c’est pour cela qu’il ne la quittait pas.
Chloé éclata de rire. Surprise, Madison lui demanda,
— Qu’est-ce qui te fait rire ?
— Je rigole parce que, tant mon père que ma mère ont leur fortune personnelle !
— J’imagine qu’elle devait s’imaginer ça pour tenter de comprendre pourquoi il ne quittait pas ta mère…
Chloé se fit songeuse puis lui révéla,
— Maman m’a dit qu’elle l’avait rencontrée, juste au moment où elle avait appris qu’elle était enceinte de moi. Ta mère est venue ici, pour implorer mon père de tout quitter pour vivre avec elle. Voyant mon père discuter sans fin avec elle, ma mère a pris les choses en main et lui a demandé de partir. Comme elle ne voulait pas et qu’elle tenait tête à ma mère, cette dernière lui a vertement rappelé qu’elle était l’officielle et qu’elle n’avait rien à attendre de mon père.
Madison pouffa,
— J’imagine la tête de ma mère ! Mais bon, du coup, je crois que je comprends peut-être un peu mieux son ressentiment par rapport à ton père. Je crois qu’elle espérait autre chose en tombant enceinte de moi.
— C’est ton père aussi, Madi.
Madison la regarda dans les yeux,
— Pas officiellement Chloé, je ne suis pas son enfant légitime.
— On s’en fout, t’es ma sœur !
Chloé se mit à rigoler puis, devant le regard interrogateur de Madison, elle lui glissa à l’oreille,
— Maintenant, je n’ai vraiment plus intérêt à te draguer ! Ce serait de l’inceste…
Madison explosa de rire et se frappa le front de la main.
— Mais, Chloéééé ! T’en manque vraiment pas une, toi !
Gaétan se gara près de la maison familiale et sourit d’entendre les filles rigoler à l’arrière de la voiture. Il comprenait que Madison puisse être perdue face à ce père tant attendu, tant fantasmé… Là, elle était confrontée à une réalité perturbante. Plein d’espoir, il se dit qu’avec sa nouvelle petite sœur, il était sûr qu’elle surmonterait cette annonce qu’il trouvait cependant brutale.
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