Rencontre
Lundi 30 mars 2020
« Où vous êtes-vous rencontrées ? »
On m'a trop souvent posé la question. Chaque fois, un sourire gêné me crispe le visage.
« Nulle part. »
« Où » ?
Comme si l'amour pouvait se réduire à un lieu dans lequel il prendrait racine.
Comme si le devenir d'une relation dépendait, même rien qu'en partie, d'un point de départ localisé.
Est-ce qu'on me demande vraiment de réduire la nausée pétillante d'une première attirance à des coordonnées GPS ?
Où est-ce que les autres se rencontrent ? À la fac... Dans le métro... En soirée...
L'une de mes amies a rencontré son compagnon dans un club de lecture.
Si ça c'est pas une histoire romantique !
Ça me gêne toujours, d'admettre qu'on s'est rencontrées par écrans interposés.
Qu'on a passé des mois à se parler au téléphone, presque sans savoir à quoi l'autre ressemblait.
Sans connaître son odeur ou le goût de ses lèvres.
Ça me fait drôle de dire que j'ai pu la connaître juste parce que le wifi a planté... Parce que je n'ai pas réussi à me désinscrire de ce site avant qu'elle vienne me parler...
« Où est-ce que vous vous êtes VRAIMENT rencontrées ? »
La première fois ? Chez moi. Sur le pas de ma porte. Une drôle d'histoire !
Il faisait nuit noire. Un complice l'avait déposée juste devant chez moi – presque un vrai kidnapping !
Quand j'ai ouvert la porte et que nos regards se sont croisés, il y a eu comme une étincelle. Mon cœur qui s'emballait tout seul.
Et puis elle s'est mise à pleurer.
À courir vers la rue pour me fuir.
Avant de revenir pour me sauter au cou.
« On s'est rencontrées sur le pas de ma porte. »
La belle affaire !
Parfois, quand j'y pense, je me dis qu'on se rencontre de nouveau chaque fois. Qu'on se rencontre, presque comme au premier jour. Qu'on se redécouvre, mois après mois.
Ce n'est pas tout à fait la même, celle que je quitte sur un quai de gare et celle qui le mois suivant klaxonne devant ma grille.
Quelque chose a changé entre temps : la longueur de ses cheveux, la monture de ses lunettes, sa marque de parfum, la texture de sa peau ou son vernis à ongles.
À chaque retrouvailles, il me faut quelques heures pour la redécouvrir ; le temps de la rencontre, sans cesse se renouvelle.
La foudre ne frappe jamais deux fois au même endroit. Mais elle nous frappe à tous les coups. N'importe où. Cette perpétuelle décharge à rebours.
Où est-ce que nous nous sommes rencontrées ?
Il y a très longtemps, dans une autre vie, dans un lieu que j'ignore. Mais qui résonne en moi.
Dans un songe, il y a des années. Avant de la connaître, je rêvais déjà d'elle. Du réconfort de sa chaleur. De son humour douteux. De son égard sans faille. Mais de ses failles tout de même, des fêlures qu'il me faudrait veiller à conserver intactes.
Entre les lignes d'une fiction, tout juste avant de lui parler. Un personnage parlait déjà pour elle. L'incarnation annoncée de mes chimères. Presque une prophétie.
Je ne mens pas. Pas avec elle.
Où est-ce que nous nous sommes rencontrées ?
Vraiment, la question ne se pose pas. J'ai l'étrange impression que nous nous connaissons depuis toujours. Un lien aussi prégnant qu'invisible, qui nie l'espace-temps et met à mal toutes les théories qu'établit la physique.
Voilà ce que nous sommes.
Un cataclysme d'émotions qui abolit le carcan des lieux. Jamais tout à fait clos.
Nous voguons à corps perdus, à la recherche l'une de l'autre. Puis à corps retrouvés.
Et chaque place que nous traversons est emprunte d'un souvenir qui la transcende à jamais.
Peu importe, au bout du compte, où se situe le point de départ. Peu importe si de temps à autre le paysage se fait morne, le trajet douloureux. Qu'on s’accommode des montagnes qu'il nous faut gravir ! Qu'on s'essouffle, élancées à la poursuite d'idéaux, trop souvent illusoires ! Pourvu qu’en regardant derrière on constate que ce voyage n'en est qu'à ses prémisses.
« Où allons-nous (maintenant) ? »
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