Je faisais du tri...

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... Quand j'ai retrouvé, au fin fond d'un dossier fouilli, un petit exposé que j'avais rédigé dans le cadre d'un oral, sur un sujet donné : « Du droit de mépriser »

Bonjour. Ou reboujour, pour certains. Eh oui, j'étais là tout à l'heure quand votre professeur a soufflé d'ennui au beau milieu de votre exposé. J'étais là quand l'automate chargé de caisse du supermarché vous a rendu votre monnaie sans même un regard. J'étais là aussi quand vous vous éreintiez à assembler des hamburgers chez MacDo, l'été dernier, tandis que votre supérieur qui ne connaissait rien de votre vie, ni même votre prénom d'ailleurs, soupirait devant votre soi-disant manque de rentabilité.

Je suis là presque tous les jours de votre vie. Et pourtant, vous avez honte de moi, vous cherchez à m'éviter. Parfois même, vous me méprisez. Comble de l'ironie ! Parce que, voyez-vous, le Mépris, c'est moi.

Et aujourd'hui, je suis venue m'entretenir avec vous, précisément, du droit de mépriser. En somme, mon droit à l'existence...

On me confond souvent avec ma cousine l'Indifférence, voire mon pâle sosie le Dégoût.

Le mépris, contrairement à l'indifférence, relève d'un choix moral.

À l'inverse du dégoût, le mépris n'accorde pas d'importance à l'objet qu'il rejette. Un fruit pourri nous dégoûte, parce qu'on est soucieux de ne pas manger d'asticots. Un homme pourri, lui, inspire le mépris, et ne vaut définitivement pas la peine qu'on s'abîme l'estomac pour vomir en son honneur.

Pour faire bref : mépriser quelque chose, c'est la considérer indigne d'intérêt.

Nietzsche parle de la politesse comme « l'art de mépriser les gens », ce qui induit deux choses.

En premier lieu, pour peu que vous soyez polis, chacun d'entre vous a déjà fait preuve de mépris.

Et, plus important sans doute, le mépris est un art.

Prenez ce bon vieux Jean-Luc. Je veux dire Godard, le cinéaste. Lui, le mépris, il lui a carrément consacré un film !

Dans le film, Paul dit à Camille :

— Pourquoi est-ce que tu ne m'aimes plus ?

Et Camille lui répond :

— C'est la vie.

Camille méprise les sentiments de Paul, parce que dans le cas contraire elle souffrirait qu'il croit leur amour acquis.

Non, le mépris n'est pas qu'un art, on ne méprise pas seulement pour la beauté du geste. Le mépris c'est également un art de vivre.

On peut mépriser l'amour pour ne pas en souffrir. Mépriser la souffrance pour ne pas la craindre. Mépriser le danger pour aller de l'avant. Mépriser la mort pour vivre pleinement sa vie, ou mépriser la vie pour se donner la mort.

Le mépris, c'est l'art de ne pas se laisser atteindre par la futilité. Par ce que l'on estime futile. Il y a quelque chose de noble dans l'acte de mépriser....

Ce mépris, celui que vous méprisez, celui que les autres vous témoigne. Lui non plus n'est pas vain.

Le mépris. Il y a un professeur ici, dans notre chère Université, que ses élèves surnomment ainsi... Le genre de professeur qui s'écoute parler. Qui pense que les élèvent ne savent rien, ne s'intéressent à rien, qu'ils ont tous mauvais goût. Et quand je dis « mauvais goût », je ne parle pas en terme culinaire, évidemment... Si vous lui demandez un service ou une quelconque information, le professeur en question vous enjoint cordialement et avec le plus total dédain, de « consulter le guide des études ». Et si vous avez le malheur de lui demander de réexpliquer un point de son cours, il vous regarde comme si vous étiez le dernier des abrutis, avant de soupirer.

J'en conviens, ça peut être blessant. Mais j'aime autant vous dire que quand vous obtenez une note décente à son partiel, vous savez que ladite note fut durement méritée. Vous savez que vous pouvez être sacrément fier de vous ! Ce mépris-là, aussi insupportable puisse-t-il paraître sur le coup, il vous forge ; il vous apprend à vous dépasser. À gagner le respect d'autrui.

J'irai même plus loin, en soutenant que le mépris est d'utilité publique.

Prenez, ce personnage imbu de lui-même qui passe son temps à étaler sa pseudo-science. Cette langue de vipère qui parle constamment sur le dos des autres sans rien connaître d'eux. Cet hypocrite qui essaye de vous flatter pour abuser ensuite de votre gentillesse. Des gens comme ça, on ne peut pas s'empêcher de les mépriser. On se doit même de les mépriser, si ce n'est que par dignité !

Parmi les champions en titre des figures les plus méprisables, on trouve évidemment les militants de la Manif' pour tous : des esprits étriqués qui justifient leur intolérance par des soi-disant lois naturelles et des dogmes surinterprétés.

Évidemment, certains d'entre vous sont encore convaincus que c'est précisément parce qu'ils méprisent les autres que les gens deviennent méprisables. Et qu'en les méprisant en retour, on s'abaisserait à leur niveau.

J'ai connu par le passé un professeur de philosophie qui était fermement opposé au concept de « tolérance ». Pourquoi ? Parce que, selon lui, il y avait des choses qu'on ne devait pas tolérer : les fautes d’orthographe, l'irrespect, le crime, etc. Néanmoins, à mon humble avis, ce n'est pas le concept de tolérance lui-même qu'il faut remettre en question, mais bien les choses qui doivent être ou non tolérées. On ne peut pas rejeter toute tolérance sous prétexte que certains actes sont intolérables. Il en va de même avec le mépris. Il convient de mépriser ce qui est méprisable, tandis qu'il y a des choses que nul ne devrait être en droit de mépriser : nos choix de vie, nos sentiments, notre intégrité. Quand un con se montre méprisant, c'est la Connerie qui est en tort, et non le mépris. Aussi, si quelqu'un vous témoigne ce genre de mépris vulgaire et ridicule, méprisez-le en retour. Mais méprisez-le avec panache !

Comme dit le proverbe : « La plus haute vengeance contre celui qui médit est le mépris. »

Vous voyez... J'en ai assez de ces gens qui m'associent à tort le mépris à de la méchanceté. De tout temps, c'est la haine qui a engendré la violence, pas le mépris. J'aime autant vous dire que si les ennemis historiques s'étaient contenté de se mépriser plutôt que de se haïr, ils se seraient cordialement ignorés, ils n'auraient pas pris la peine de livrer des batailles ou de s'exterminer pour prouver leur supériorité. Celui qui méprise sait qu'il est supérieur, il n'a rien à prouver à personne. Si l’humanité s'appliquait davantage à mépriser qu'elle ne perd de temps à haïr, croyez-moi, beaucoup de vies auraient été épargnées.

Comme dirait le dramaturge Jacques Deval, “Un peu de mépris épargne beaucoup de haine. ”

Entendez-moi. Le Mépris est un art salvateur, il allège du ressentiment que nous pouvons éprouver pour autrui. Mais il conduit à un sage indifférence, non à une violence barbare.

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