Confinement / Dimanche 15 mars
Franchement, je commence à me dire que j'ai eu une bonne intuition en souscrivant à l'offre premium gratuite de Spotify de février à mai. Maintenant, je commence à me demander s'il n'y a pas là un rapport de cause à effet. Je m'interroge souvent sur la portée de mes actes, sur la possibilité que certains de mes choix, en apparence anodins, engendrent mécaniquement des cataclysmes.
J'ai souscrit à l'abonnement premium d'une plateforme que j'utilisais depuis quasiment dix ans et, quelques semaines plus tard, me voilà confinée à en profiter pleinement.
J'ai la constante impression que le hasard me prend en traître. Autre exemple. J'ai écouté Linkin Park pendant des années avant de me décider à acheter l'un de leurs CD. Il était en promo ; ce n'était même pas mon préféré. Le week-end suivant, le chanteur du groupe s'est suicidé. J'ai passé une nuit entière à me demander si j'aurais dû acheter un de leurs albums plus tôt, acheter mon favori ou juste ne jamais acheter l'un de leurs albums. À dire vrai, cette question me taraude toujours.
Récément (après la Saint-Valentin), je me suis mise à réfléchir de nouveau beucoup trop sérieusement aux rapports alambiqués de causes à effets qui me concernent de près. Pendant quelques jours, je me suis prise à croire le plus sincèrement du monde que Sally et moi étions victimes d'une malédiction.
L'année dernière fut une année compliquée pour nous deux. Elle habite à Paris et je vis en province. Nous sommes sorties ensemble trois ans sans que sa mère n'en sache rien. Depuis qu'elle le sait, elle ne l'a toujours pas accepté. Toujours est-il que, l'année passée, pendant plus de six mois, elle s'est débrouillée pour empêcher Sally de me voir. Je ne sais pas si je serai capable de la pardonner un jour.
Au bout de six mois à me borner à ne pas céder devant les caprices d'une soixantenaire homophobe, j'ai craqué. J'ai pris le train jusqu'en Île-de-France et j'ai demandé à Sally de me rejoindre chez l'une de ses amies. Nous y avons passé le week-end, entre euphorie et pleurs. J'étais constamment tiraillée entre l'envie de lui faire des reproches et le besoin de profiter de sa présence. L'ombre de sa mère planait, menaçante, au-dessus de nous. Mais j'ai laissé coulé. Après six mois d'éloignement et l'extase des retrouvailles, reprendre le train jusque chez moi était une déchirure atroce. Je n'arrêtais pas de pleurer, et je craignais aussi que sa mère puisse découvrir que j'étais venue. Elle n'en a jamis rien su.
Quand je suis rentrée chez moi, ce soir-là, j'ai découvert à la télé que Notre-Dame flambait. Je l'avais vue entière, à l'horizon, tout juste quelques heures plus tôt. C'était comme si ma seule initiative de marcher sur Paris avait mis le feu aux poudres.
À plusieurs reprises, en rentrant de chez moi, Sally est tombée malade. L'anxiété de retrouver la banlieue, d'après elle. De quoi culpabiliser, de mon côté.
Et puis, récemment, juste après m'avoir rendue visite pour la Saint-Valentin (la première que nous passions ensemble depuis trois ans), sa voiture a été complètement emboutie sur le parking, alors qu'elle était au travail. Là, c'est devenu limpide. J'ai acquis la certitude que chaque instant heureux que nous partagerions engendrerait une catastrophe proportionnelle.
La preuve : je n'ai pas arrêté de la voir cet autonme, avant que les choses dégénèrent en Asie. Nous avons pu passer toutes les fêtes de fin d'année ensemble. Au début du mois, je rencontrais enfin la meilleure amie dont elle m'avait tant parlée. Je reviens de Paris. Et quelques jours plus tard, nous voilà confinés !
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