Je jure d’arrêter de me plaindre des transports en commun, le jour où on arrêtera de me donner du grain à moudre.

Ce qu’il faut savoir en premier lieu, c’est que j’affectionne les transports en commun, pour la simple et bonne raison que je suis un danger public au volant. J’ai l’avantage suprême d’être privée depuis dix ans du sens de l’odorat, donc je ne profite que d’une infime note des douces exhalaisons des wagons ensueurés. Une note tout de même puisque, je l’ai découvert en perdant l’odorat, les odeurs ont une texture. Une rame de métro en offre un exemple éloquent.

Mais c’est le train qui m’intéresse aujourd’hui. Loué soit le divin Tchoutchou qui occasionnellement me porte en Île-de-France pour voir ma chère et tendre Sally ! L’exaltation de ces voyages est telle que je puis excuser les retards répétitifs, les absences “inopinées” de l’un ou l’autre des membres du personnel, les passages à niveaux défectueux, les grèves dont à vrai dire on ne connaît plus la cause, les trois malheureux wagons qui se bousculent à l’heure de pointe, et où nous aussi nous nous bousculons, et même la hausse annuelle des prix au mois d’avril (ce qui malheureusement n’est jamais un poisson).

Je lui passais tout, au train, parce que j’étais quand même bien contente de l’avoir dans ma vie. J’ai commencé à faire grise mine il y a deux ans, à l’automne, quand des portiques ont poussé dans ma gare parisienne. Visiblement un accessoire à la mode ! Déjà, parce que les billets peuvent être contrôlés par des agents humains à bord, qui j’espère ne seront pas de sitôt remplacés par la machine. Et surtout (et là vous prendrez la mesure de l’égoïsme que je ne cherche même plus à nier) parce que ces gadgets foireux ruinent le romantisme de mes au-revoirs sur le quai. La première fois que je me suis retrouvée à abandonner Sally, sans un baiser, derrière la double-porte (parce qu’on m’a prise de court), j’en ai pleuré pendant des heures ; puis pendant des mois, parce que le destin avait voulu que, cette fois-là, la séparation s’éternise.

Deux ans plus tard, les circonstances font que je retrouve foi en mon adoré Tchoutchou, vers lequel je me tourne avec l’espoir qu’il me portera vers un week-end radieux. Sous la pluie, en fait, mais mettons que je ne laisserai plus le temps entacher mon moral. Je me présente, billet sur cellulaire, devant les portiques de ma gare régionale. Et soudain, le drame, me voilà prise dans l’infernale cohue des voyageurs qui se battent pour scanner leurs flash-codes sur les bornes deux-de-tens'…

Je veux bien qu’on nous rebatte les oreilles à grand coup de terreur épidémique, qu’on nous force à adopter des mesures à l’efficacité douteuse, si toutefois subsiste l’espoir d’un impact bénéfique. Mais là, outre mon agoraphobie latante, c’est la colère qui pointe doucement.

Ce qu’on est mignons, avec nos petits masques ! Cent passagers entassés sur vingt mètres carrés, à piétiner mutuellement nos espaces vitaux ! Bien sûr, on aurait pu s’étaler sur l’immense quai, s’espacer, monter dans le train au compte-goutte, mais, même si ça implique de chier sur les consignes sanitaires les plus élémentaires, il vaut quand même mieux qu’on se partage nos bactéries, plutôt que risquer que l’un de nous embarque sans titre validé !

Le pire dans tout ça, c’est qu’on est contrôlés à bord, trente minutes et la crainte d’un colis piégé plus tard. Un contact humain, à un mètre de distance, parce que le protocole l’oblige à respecter ma bulle ! Enfin ! Et vous savez ce qu’il me sort, le bougre, quand je lui tends ma carte d’abonnement ? « Ah, vous avez grandi.»