Les vicissitudes du métier (Partie 1)

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Lundi 30 août 2021

Avant de casser, une fois de plus, du sucre, en vue de saupoudrer le jus de chaussettes abyssal qu'est l'Université, je me dois de consacrer quelques lignes, malgré tout, à en dire du bien.

Ne vous méprenez pas, il ne s'agit guère là que du contexte fortuné de plus amères mésaventures.

Fortuné, le terme me paraît on ne peut plus juste, car je fus l'année dernière employée par l'université que je fréquente en tant que tutrice, à l'intention des élèves de première année de ma section, ceux-là qui n'ont (mal)heureusement fréquenté nos amphis délabrés qu'un petit mois et demi, sans jamais réellement pouvoir y prendre leurs marques.

Le travail m'intéressait, j'y pris beaucoup de plaisir, en compagnie qui plus est de collègues et amies avec qui je partageais cette belle expérience. Nous en ressortîmes enrichies, dans tous les sens du terme. Et pour cause, le salaire se trouvait bien au-dessus de nos espérances. Une fois n'est pas coutume, la faute à un obscur cafouillage administratif. Nous avions signé en janvier un contrat s'étalant sur cinq mois mais, l'administration étant ce qu'elle est, nous ne prîmes nos fonctions qu'en mars et, de fait, nous ne pûmes réaliser en moitié moins de temps les heures initialement prévues. Toutefois, les heures prévues furent payées en guise, selon l'établissement, de notre bonne volonté et de notre travail efficace.

Mes collègues et moi-même souhaitions évidemment reconduire l'expérience cette année à venir, auprès de nouveaux étudiants qui, compte tenu de la situation sanitaire, ont connu deux dernières années de lycée hautement bouleversées. Cependant, aux dernières nouvelles, les décisionnaires ne nous accorderont sur l'année qu'un cinquième des heures que nous devions effectuer sur un semestre. Parce que l'Université s'est montrée généreuse avec nous cette année, on ne crache pas sur la soupe et on accepte sans trop de peine l'idée que la paye sera maigre. Ce qui nous laisse grimacer, c'est de savoir qu'avec des horaires si restreints, on ne pourra accompagner efficacement personne, qu'on devra renoncer à tout suivi personnalisé, à moins de faire le double d'heures bonus par pure bonté d'âme. Et c'est là que le bât commence à blesser. J'ai à cœur d'aider, d'être utile. Je ne supporterais pas d'effectuer une tâche vaine, et je n'hésiterais sans doute pas à fournir le double d'efforts, ne fussent-ils pas rémunérés. Bref, j'ai l'âme à me faire entuber.

À la suite de ses annonces amères, je partis en vacances avec ma moitié. Le séjour se déroule pour le mieux, les grasses matinées sont longues et, un beau matin, en allumant mon téléphone, je découvre un nébuleux message de l'Université qui me propose un poste pour le mois de septembre. Mal réveillée, la qualité sonore d'un répondeur étant ce qu'elle est, je n'y comprends, à vrai dire, pas grand chose, si ce n'est qu'il est question d'aider les nouveaux étudiants avec leur orientation. Une promotion assez logique, pensé-je. Peut-être s'agit-il de les éclairer sur notre filière et ses débouchées lorsqu'ils doutent de leurs choix. Bien élevée, je rappelle aussitôt le secrétariat de mon département pour demander plus amples informations.

Première désillusion. Il ne s'agit pas, comme j'ai cru le comprendre, d'aider des étudiants dans le doute à se réorienter, mais bien de les orienter. De leur montrer les lieux. De faire des visites guidées. Je ne m'étendrai pas sur mon sens de l'orientation, pour une raison évidente ; il n'est pas étendu. À défaut d'être simplement catastrophique, il est cruellement aléatoire. À titre d'exemple, l'organisme à l'origine de l'offre d'emploi qu'on me proposait là, je n'en avais jamais entendu parler, j'ignorais complètement qu'il était présent sur le campus, où se trouvaient leurs bureaux et quels services ils proposaient.

À ce moment-là, au téléphone, c'est donc précisément ce que je leur réponds : « Je ne pense pas être la plus qualifiée pour ça... Je ne sais pas où se trouve votre service, et je ne savais même pas qu'il existait jusqu'à ce que vous m'appeliez ! » Ce à quoi on m'a répondu à peu près cela : « Ce n'est rien, on vous fera visiter juste avant ! »

L'affaire était pliée.

Je venais machinalement d'accepter un job dont je ne connaissais ni le taux horaire, ni la paye. On m'a vaguement parlé d'une réunion rémunérée, plus quelques heures de visites. Douze heures à tout casser. Ça me semblait raisonnable.

Ensuite, je n'ai plus eu de nouvelles. Je n'ai fourni aucune pièce, puisqu'en raison de mon précédent contrat, le secrétariat possédait déjà tout pour remplir celui-là. Au retour des vacances, j'ai signé un contrat qui ne disait pas grand chose (et je ne dis pas ça car je l'ai lu en diagonale...) hormis que ledit emploi n’excéderait pas quinze heures. Cela restait raisonnable.

Plus tard, j'ai reçu un e-mail me convoquant à une réunion de formation, ce lundi 30 août. Aucune précision n'a été faite, ni sur le contenu de ladite réunion, ni la nécessité ou non de présenter un pass sanitaire (que j'avais pris le soin de me procurer, tout de même). On m'indiquait simplement que je prendrai mes fonction le 3 septembre, ce qui me convenait.

Ce lundi 30 août, donc, je me présente comme il se doit à ladite réunion. Je déjeune tôt. J'embarque de quoi prendre des notes. Je passe une heure à suer dans les transports en commun qui, ma foi, ne me manquaient pas. Je me demande, d'ailleurs, si mon petit salaire suffira à couvrir mes frais de déplacements, mais je ne suis pas vénale alors je tâche de ne pas trop y penser. J'arrive, comme à mon habitude, fort en avance. Une habitude salutaire car, évidemment, je me perds et déambule dans les couloirs labyrinthiques de la fac avant de miraculeusement trouver la salle.

À ce sujet, mon sens aléatoire de l'orientation est moins en cause que l'aménagement tout aussi aléatoire de l'Université. Je n'ai guère le temps de m'attarder sur toutes les aberrations architecturales des lieux mais, en l’occurrence, il existe un demi-étage entre le rez-de-chaussée et le premier étage. Ce demi-étage est accessible par un unique escalier et prolonge le bâtiment vers une annexe (actuellement en travaux pour risques d'effondrements). Toutefois, sur le plan du bâtiment (grâce auquel je m'y repère à peu près depuis toutes ces années), le couloir du demi-étage apparaît sur le même niveau que le rez-de-chaussée, car il comporte (selon une logique mystérieuse) une numérotation analogue. C'est donc là que je m'étais égarée, à la cherche d'une bifurcation qui n'existe pas (puisqu'elle se trouve à l'étage du dessous) et c'est la raison-même pour laquelle, me suis-je dit, il est absolument nécessaire d'orienter les nouveaux arrivants.

Me voilà devant la salle. Mes futurs collègues (exclusivement féminines, parce que notre unique pair masculin nous a fait faux-bond) arrivent au compte-goutte. Je ne connais personne. Nous discutions vaguement, et je remarque qu'aucune d'entre nous n'a signé le même contrat. Certaines travaillent 25 heures, les heures de telle ou telle autre s'étendent jusqu'en avril. Mon inquiétude croît.

Arrive notre formatrice, accompagnée d'une responsable en communication. Là, le sketch commence. Je comprends que les visites se tiendront durant les journées inaugurales, auxquelles je n'ai jamais assistées, d'abord car je déteste la foule, ensuite parce que le discours assommant de nos directeurs m'ennuient profondément et me semble aussi creux que le trou dans le plafond de la salle de musique du troisième étage (j'y reviendrai un jour). Me voilà donc embarquée, pour le travail, dans une cérémonie que j'évite sciemment depuis quatre ans déjà. Soit. On nous présente ensuite les différentes structures que nous devrons à notre tour présenter aux groupes que nous guideront. Pour une bonne moitié, je ne les connais pas, mais je me sens moins bête en constatant, au fil des nombreuses rectifications de la formatrice, que son power-point n'est clairement pas à jour. Cela dure deux longues heures, puis elle nous embarque dans la fameuse visite guidée, pour nous montrer l'exemple. « C'est bon, tout est retenu ? Merci, au revoir.

— Excusez-moi, Madame. Quand doit-on revenir ? Quand est-ce qu'on intervient ? Où retrouve-t-on les étudiants ?

— Oh, ça je ne sais pas. Les secrétariats de chaque départements vous contacteront individuellement pour vous donner leurs horaires.

(J'ai compris depuis longtemps que l'organisation ne faisait pas partie de leurs priorités.)

— Mais ça se tient sur plusieurs jours ? On ne m'a confirmé que le 3 septembre.

— Vous êtes en Histoire de l'Art, vous ?

— Non, je suis en Cinéma.

— C'est écrit sur ma fiche que vous êtes en Histoire de l'Art. Oh, attendez. C'est vrai. Personne ne s'est proposé, on vous a recrutée pour l'Histoire de l'Art.

(Très bien. Même pas ma section. Donc les p'tits conseils perso et l'emplacement du secrétariat, on oublie !) Il y a une autre fille dans le même cas. Au moins, je ne suis pas seule, dans mon infortune.

Cette fois, c'est la responsable de la communication qui vient vers nous. Je crois qu'elle a un soucis avec le concept de deadline, ou bien tout simplement que les employés de la fac ont adopté le comportement d'un étudiant lambda : tout boucler la veille pour le lendemain. On doit nous fournir des t-shirts et des badges aux couleurs du staffs, mais ils ne savent pas s'ils en ont, ni où ils sont, ni à quels moments ils nous les remettront. Ils ont prévu des flyers aussi, que nous devons distribués. Ils nous les donneront. Sûrement. À un moment donné. Enfin, là, pour l'instant, ils ne sont pas encore imprimés. (Vous cernez le problème où j'en remets une louche ? De toute façon, je n'ai pas le choix, c'est la chute du chapitre...)

— Ah, vous deux, vous êtes en Histoire de l'Art ? (Non, toujours pas !) Alors, la visite, c'est le premier septembre... (C'est-à-dire mercredi. Là. Dans même pas deux jours...)

— Et donc leur secrétariat va nous contacter pour nous donner toutes les informations ?

— Oui, c'est ça. Enfin non, attendez. Le secrétariat d'Histoire de l'Art est en vacances jusqu'au premier. Donc ils ne vont pas pouvoir vous contacter pour le premier... Hmm. Je vais les appeler, et je vous envoie toutes les informations que j'aurai !

Il va sans dire que, vingt-quatre heures plus tard, j'attends toujours son mail.

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