16. Adopte un keum

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Adèle


Avachie dans mon fauteuil papasan confortable, emmitouflée dans un sweat deux fois trop grand pour moi, je me bats avec ce foutu site de rencontre depuis déjà vingt minutes. Qui trouve normal que la première chose à faire après avoir créé un compte soit de mettre des photos de soi ? Ce monde est tellement superficiel, ça me tue. Surtout, je me suis rendu compte que je l’étais aussi. Je viens de passer ces vingt dernières minutes à sélectionner consciencieusement quatre photos pour mon profil. Tantôt trop zoomée, tantôt mal cadrée et me donnant l’air plus grosse que je ne le suis, pas assez souriante, un œil plus ouvert que l’autre, le maquillage qui bave un peu trop. Du grand n’importe quoi qui m’a donné envie de poursuivre une fois suffisamment ivre pour m’en foutre de tout.

Je valide finalement les photos en poussant un soupir à faire trembler la Tour Eiffel, et tombe sur une page explicative. Adopte un Keum est apparemment un site de rencontre assez populaire, où la main est donnée à la femme plutôt qu’à l’homme. Pour compléter le côté superficiel de la chose, après les photos, vient le moment de remplir sa taille… Je m’attends presque à devoir mettre mon poids, mais suis agréablement surprise de voir qu’on me demande plutôt ma silhouette. Soyons clairs, l’objectif est de savoir si tu fais une taille mannequin ou pas, mais au moins, pas de détails au point que le mec peut te demander de monter sur sa balance avant de te sauter. J’hésite entre pulpeuse ou généreuse pendant un petit moment. Au troisième soupir que je pousse sans parvenir à me décider, je me lève et embarque mon ordinateur avec moi au rez-de-chaussée, où James et Aya sont occupés à préparer à manger.

— Quelqu’un est tenté par un Mojito ? leur demandé-je en commençant déjà à sortir le nécessaire.

— C’est déjà l’heure de l’apéro ? demande le propriétaire des lieux en sortant un paquet de pâtes du placard.

— Si tu prépares à manger, c’est que ça peut l’être, ris-je en préparant trois cocktails.

Ok, possible que le mien soit un peu plus chargé que le leur en rhum. Il va falloir que je songe à arrêter l’alcool en semaine, je vais encore être à la bourre au boulot demain matin, mais j’ai besoin d’un peu plus d’entrain pour remplir les cases.

Je trinque avec mes colocs et m’installe à table pour me remettre sur le site. J’hésite encore un peu sur ma silhouette et préfère passer à mon style vestimentaire. Là, un seul choix possible, et ça me gonfle, même si je suis contente de trouver le look “Pinup”. Après ça, j’ai l’impression de tomber dans une enquête policière. Alcool ? Tabac ? Sérieusement ?

— Dites, interpellé-je mes cuistots, comment est-ce que vous qualifiez ma silhouette ? Plutôt pulpeuse ou généreuse ?

Honnêtement, je penche pour pulpeuse. Oui, j’ai des formes généreuses, mais ce qualificatif est le dernier dans la branche haute, et je ne pense pas non plus être qualifiable de grosse. Mais bon, tout ça, c’est encore en fonction des idées de chacun.

— T’es bonnasse, pourquoi tu demandes ça ? me lance James en riant.

— Ma boss a eu la bonne idée de nous demander, à Eliaz et moi, de faire un article sur les sites de rencontre, soupiré-je.

— Mets “pulpeuse” alors, intervient Aya. “généreuse”, c’est pour les grosses qui s’assument pas.

— Putain, j’ai hâte de lire votre article, moi ! Tu vas vraiment t’inscrire sur des sites pour le boulot ? Mais c’est un métier de rêve que tu fais là ! Quand je pense que des gens se sont fait virer pour avoir perdu leur temps à faire ça ! déclare un James, hilare.

— Je m’en serais bien passée, moi ! Sérieusement, comme si j’avais besoin d’apprendre à connaître un mec, de savoir s’il fume de temps en temps, s’il tolère la fumée ou je ne sais quelle connerie, pour finir dans son lit, marmonné-je.

— Ben au moins, tu n’as pas de surprise. Sauf si le mec est un menteur parce que là, c’est plus difficile à capter en ligne. Tu imagines, tu crois tomber sur Brad Pitt et c’est Homer Simpson que tu as en face de toi !

— Ouais, bon, dans tous les cas, ça me gonfle d’avance, et Eliaz n’est pas plus emballé que moi, soupiré-je alors que James vient s’asseoir à mes côtés, laissant Aya se débrouiller avec la popote.

Yeux gris, cheveux courts, lisses, je ne peux même pas noter mes mèches bleues et ça m’agace. Tatouages, piercings, origines…

— Vous croyez que je note que je suis journaliste ?

— Ça dépend, tu veux être incognito ou pas ? Moi, je noterais un truc genre prof ou infirmière. Il y a beaucoup de mecs qui fantasment sur ces professions-là, pas trop sur le métier de journaliste.

— L’objectif est d’être plutôt honnête, quand même, mon Chat. Disons métier de l’édition ? Ouais, je m’en fous, en fait. Hobbies… Boire et baiser, ça passe ? gloussé-je.

— Non, mais tu veux attirer tous les pervers du coin ou quoi ? m’interroge Aya qui écoute toute notre conversation.

Oui, elle n’a pas tort, j’avoue… mais ce sont clairement mes hobbies préférés, merde ! En dehors de ça, à part métro-boulot-dodo…

— Ok, cinéma ? Just Dance, lectures diverses ? C’est assez classique et planplan ?

— Moi, je trouve qu’elle devrait un peu épicer son profil, quand même ! On parle d’Adèle, là, merde ! Tu peux mettre : sortir et boire des verres, quand même ! Tu imagines si tu tombes sur un gars qui n’a jamais bu de sa vie et pour qui le summum de faire la fête, c’est d’aller écouter la musique au centre commercial du coin ?

Je pouffe et pose ma tête contre son épaule en réfléchissant à ce que je pourrais ajouter. Effectivement, sortir et boire des verres, ça me paraît pas mal et je l’ajoute directement.

— Je peux peut-être ajouter que ce qui me plaît le plus dans le 7ème art, c’est de mater les acteurs et actrices ? Non, juste les acteurs, sinon je vais attirer tous les tordus qui vont de suite imaginer que je suis open pour un plan à trois, pouffé-je avant de boire une gorgée de mon Mojito.

— De toute façon, tu es une femme, tu vas attirer les tordus, s’exprime Aya. Sur Adopte, au moins, tu filtres, tu n’as que les tordus riches. Il y a au moins un truc de bon à retirer chez ces mecs : leur argent !

— C’est vrai qu’à trente balles le mois pour les hommes… Bon sang, j’ai hâte que Véronique voie notre note de frais. J’aurais dû choisir mon site en fonction du prix de l’abonnement, rien que pour l’enquiquiner, tiens ! Douce vengeance… Quant aux tordus riches… Je pensais plus au fait que ça attirerait les mecs sérieux plus qu’autre chose, non ?

— Il n’y a pas de mecs sérieux, lance Aya, vraiment claire sur ses orientations sexuelles.

— De toute façon, tu cherches juste à avoir un ou deux rencards, non ? Tu t’en fous qu’ils soient tordus ou pas, mais surtout, vois-les dans un lieu public !

Ah, James vient de perdre son côté frappé au profit de l’homme sérieux et posé. Ça me fait toujours bizarre, surtout qu’il aurait pu trouver des répliques bien graveleuses et drôles sur le sérieux des mecs. Je lui souris en acquiesçant, consciente que son côté protecteur ressort dès qu’il s’inquiète pour quelqu’un.

— Bon, questions suivantes, on s’en fout. Sérieusement, ce que j’aime manger… Oh, y a une case pour Rudy ! Au cas où le mec serait allergique, ça la foutrait mal de me faire éternuer dessus toute la soirée. Sport… Je peux sérieusement marquer sport de chambre ou c’est risqué, à votre avis ?

— Ben non, tu peux y aller ! s’enthousiasme mon coloc. Tu vas faire un de ces buzz, tu auras l’embarras du choix ! Dans ton caddie, tu auras tous les beaux mecs d’adopte, prêts à baiser. Dis, tu crois que je pourrais jeter un oeil ? Il y en a peut-être qui sont bi dans le lot ?

— Je te laisserai l’accès à mon compte quand l’expérience sera terminée. Je te connais, t’es capable de manigancer je ne sais quoi, de discuter avec des gars en te faisant passer pour moi. Et avec ta chance, je vais tomber sur un putain de Christian Grey en version pauvre et vachement moins canon que Jamie Dornan. Sauf que je ne m’en rendrai compte qu’une fois attachée parce qu’il m’aura bandé les yeux, et je devrai garder les yeux fermés pour au moins avoir l’impression de me taper Dornan.

James et Aya éclatent de rire à ma remarque et je vois Aya lever les yeux au ciel en se demandant sûrement comment je fais pour être aussi bête.

— Un problème ? gloussé-je dans sa direction. Tu es en train de te dire que tu adorerais que je t’attache, c’est ça ?

— Quand tu veux bébé, je t’offre mon corps dès que tu as fini tes folies avec ces mecs stupides incapables de te faire jouir.

— Sans vouloir défendre les hommes, le dernier en date était vraiment très doué et loin d’être stupide. Certains en sont capables, quand même, ris-je. Bon, ce qui me fait craquer chez un mec… Houston, on a un problème, là. Je ne peux décemment pas dire que c’est une belle paire de fesses, de grandes mains et des lèvres charnues… Je suis censée chercher l’amour. Ce truc va me rendre dingue ! James ? Tu veux pas remplir mon profil avec sérieux ? Pitié !

— Je veux bien t’aider, mais si je le fais, je marque aussi que tu aimes sucer et tant pis pour toi si tu dois le faire après ! Surtout que je suis sûr que tu le fais très bien !

— Ben voyons, soupiré-je. Ou comment attirer les types qui vont direct me demander de me foutre à genoux… Ça la fout mal, ce genre de trucs, pour une féministe, tu sais ? Ils vont tout de suite s’imaginer que j’aime qu’on me domine… Et ça peut être le cas, oui, mais ça dépend de mon humeur !

— Ah oui, toi, la courageuse, tu n’oses pas mettre une simple mention du fait que tu aimes la bite ? se moque-t-il.

— Moi, la courageuse, je…

Merde, je déteste quand il pique ma fierté, ce con, et il le sait.

— Je me dis surtout que mon collègue va lire mon profil, putain, m’esclaffé-je. Un coup à le faire rougir et bafouiller, le pauvre.

— Tu peux le filmer quand tu lui montreras ? Je voudrais trop voir sa tête, se marre James à mes côtés.

— Ouais, non, grimacé-je, je crois qu’il pense que je me fous déjà bien trop souvent de lui… Bon, tu fais chier, James. Retourne préparer la popote.

Voyant la possibilité d’ajouter ses “vices” sur la description, j’y note que j’adore les échanges de bons procédés et n’ai rien contre une pipe si la pareille est rendue. C'est du n’importe quoi, je suis quasi certaine que cela me portera préjudice à un moment donné, et j’espère bien qu’Eliaz me dira de l’enlever… si je ne l’ai pas fait avant ça. En attendant, ça fait rire James, grimacer Aya, et j’en entends encore parler à table, laissant Pierre, enfin sorti de sa tanière, totalement dubitatif. Est-ce que j’ai déjà dit que James est le plus tordu de nous quatre ?

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