19. Premières connexions

8 minutes de lecture

Eliaz

Je ne sais pas pourquoi mais j'ai accepté de me rendre à la brasserie pour notre premier bilan après deux jours complets d'inscription sur les sites de rencontre. Je crois qu'elle a raison sur le fait qu'on sera plus tranquilles que dans les bureaux de LifeX. Et pour dire du mal de Véronique aussi, parce que, honnêtement, passer tout ce temps derrière un écran juste pour discuter avec des robots qui parlent à peine français et qui veulent que tu ailles sur leur site personnel pour aller voir leurs images ou vidéos dénudées, c'est frustrant.

Je suis accueilli par l'oncle d’Adèle qui m'installe dans le même box que la dernière fois et je sors mon téléphone pour répondre à un message. Ma collègue ne tarde pas à venir s'asseoir en face de moi, ce qui a le mérite de me sortir de mon écran. Aujourd'hui encore, elle est haute en couleurs. Cela va du bandana vert qu'elle a noué artistiquement dans ses cheveux à sa jupe longue rouge en passant par son chemisier à carreaux. Un assemblage osé et éclectique mais il faut l’avouer, elle est ravissante. Si je la croisais sur l'appli, c'est évident que je laisserais un petit cœur !

— Bonjour, Adèle. Tu as l'air en forme aujourd'hui. Le télétravail t'a permis de faire la grasse matinée ? demandé-je en essayant de ne pas trop la mater.

— Même pas, j’ai été sérieuse hier soir, pas d’alcool, pas de sortie, pas de sexe. Je me suis respectée et couchée à vingt-deux heures. Une vraie grand-mère ! Quoique ma grand-mère se couche plus tard que ça, et jamais sans avoir fumé un pétard.

— Eh bien, rigolé-je, si tu commences tes rencards comme ça, c’est sûr que ta conquête ne va pas s'ennuyer ! Tu veux commander ou on se met direct au boulot ?

— On ferait bien de commander tout de suite pour ne pas être dérangés.

Purée, si elle dit ça avec ce ton à un des mecs qu'elle va rencontrer, il va lui sauter dessus directement ! Elle doit être en manque ou alors, c'est le fait d'être bien reposée, mais elle dégage une sacrée sensualité. Ou alors, c’est juste moi qui projette mes lubies sur elle. On ne ressort pas indemne de la lecture de tous ces profils de femmes qui expriment leur envie de faire une belle rencontre.

Nous commandons le plat du jour, les spaghettis à la bolognaise, et je me demande l'espace d'un court instant si on ne va pas rejouer la scène de la Belle et le Clochard avant de me morigéner mentalement.

— Alors, tu en es où ? lui demandé-je pour retrouver un cadre plus professionnel.

— Je discute avec quatre mecs qui pourraient potentiellement m’intéresser si je cherchais une relation… et j’envisage de demander à Véronique de libérer nos matinées vu le temps que je passe sur le site le soir. J’ai discuté avec deux d’entre eux jusqu’à deux heures du matin, la première nuit… Faut pas qu’on traîne, alors… Bref, disons que j’ai trouvé des hommes avec de la discussion.

— Et physiquement, ils te plaisent aussi ou tu t'en moques ? Ils sont tous grands et baraqués ? Tu n'as pas été embêtée par des cons ?

— Ils sont… charmants, je dirais. Ils ont un truc en plus sans être des canons de beauté, me répond-elle en haussant les épaules tout en me tendant son téléphone. Disons que pour les cons, j’ai déjà eu quelques désillusions. L’un des profils avait particulièrement retenu mon attention, il m’a demandé mon numéro pour m’envoyer une dick pic au bout de dix minutes de conversation.

— Une quoi ?

— Une dick pic. Tu connais pas ? Il voulait m’envoyer une photo de sa saucisse, quoi, rit-elle alors que la serveuse dépose nos assiettes en gloussant.

— Il y a des mecs qui font vraiment ça ? Mais… on a tous à peu près la même chose entre les jambes, non ? Et ça sert à quoi ? Ça t'a excitée ?

Je regarde, incrédule, les comptes avec lesquels elle a échangé et constate qu'ils sont tous grands et barbus, mais ensuite très différents. Je vois qu'il y en a un surtout où la conversation a l'air assez longue même si je n'ose pas remonter tout le fil de discussion.

— Parce que tu crois que je lui ai donné mon numéro, sérieusement ? Hors de question ! N’envoie jamais ce genre de photos, Eliaz, c’est lourd et ringard, grimace Adèle. Les mecs pensent tous avoir la plus belle queue et pouvoir nous faire mouiller rien qu’en la voyant, comme si on vivait dans une romance à la con.

— Ça ne me serait pas venu à l'esprit. Je vois qu'il y a un des types qui vit à Amiens, ça ne fait pas trop loin ? Moi, j'ai limité à Paris et la banlieue.

— C’est sur mon trajet pour aller chez mes parents. Et puis, il bosse sur Paris. Et donc, toi, tu en es où ?

Moi, c'est pas brillant, je dirais, mais je ne sais pas comment lui dire. J'ai aperçu qu'elle avait entamé la conversation avec une dizaine de personnes au moins, et ça, seulement sur une seule application.

— Eh bien, je dois être plus difficile que toi. Ou certainement moins séduisant que toi, ça c'est une évidence, mais je n'ai vraiment entamé la discussion qu’avec une seule jeune femme. Une musicienne originaire de Normandie qui est venue ici au Conservatoire. Je crois qu'elle ne serait pas contre une rencontre. Mais à part ça, rien d'exceptionnel…

— Tu as essayé d'en contacter d'autres ? Et je rêve où tu m'as fait un compliment ?

— J’ai envoyé quelques demandes, oui, mais seulement à celles où je pensais que j’aurai une connexion. Tu crois qu’il faut que j’élargisse mes réponses et que je sois moins sélectif ? Parce que c’est vrai que je n’ai pas beaucoup de réponses ou d’échanges, même en payant.

J’évite soigneusement de répondre à sa réplique sur le compliment car oui, je lui en ai fait un. Avec toutes les comparaisons que je peux faire en ce moment, elle y gagne largement au change.

— Je sais pas… Tu n'entames la discussion que si vous avez plein de points communs ? Je peux regarder les profils qui te sont proposés ?

— Si tu veux, oui, lui dis-je après avoir légèrement hésité. C’est vrai que j’attends souvent d’avoir pas mal de choses en commun pour dire oui.

— Tu sais qu'on peut être différents et bien s'entendre aussi ?

— Je ne vais quand même pas matcher avec des femmes qui passent leur vie à sortir et à boire ! Enfin, ce n’est pas mon style, tu vois ?

— Peut-être que tu devrais sortir un peu plus ? Sortir un soir de temps en temps n'a jamais tué personne. Et puis, ça n'empêche pas d'avoir des centres d'intérêt en commun. Tu vas au musée ? Au cinéma ?

— J’aime bien aller au cinéma, oui. Pourquoi tu me demandes tout ça ? Tu crois que je dois modifier mon profil ?

— Je te dis ça parce que je sors et je bois, mais que ça ne m'empêche pas d'aller au cinéma ou au musée, Eliaz. Peut-être que tu fermes trop de portes ? me répond-elle en me rendant mon téléphone. Tiens, je t'ai fait matcher avec quelques filles qui ont des centres d'intérêt avec toi.

— Comment ça, tu m’as fait matcher ? Mais avec qui ? m’affolé-je en rouvrant l’application Beetic sur laquelle elle était connectée.

— Quelques filles, jolies je pense. Tu me diras ce que ça donne !

J’essaie de ne pas m’énerver et y parviens en me disant que ça montre quelque chose, ma réaction. Faire un profil, matcher, même si on se fait aider, c’est quelque chose de très personnel.

— Pas sûr que ça soit efficace, ton truc, finis-je par dire alors que la serveuse vient récupérer nos plats. Tu en as rajouté beaucoup ? Et tu veux un dessert, je suppose ?

— Tiramisu, évidemment ! Et je t'ai juste trouvé trois filles, pas de panique. Si ça ne colle pas, tu arrêtes de parler et puis voilà.

— Va pour deux tiramisus. Je ne suis même pas surpris, avoué-je, en me disant que cette collaboration nous permet d’encore mieux nous connaître. Le chocolat, c’est sacré, n’est-ce pas ? Tu devrais rajouter ça sur ton profil !

— C'est vrai que je n'y ai pas pensé, rit-elle. Tu l'as mis, toi ?

— Non, mais je vais l’ajouter de ce pas. Par contre, c’est chiant, on doit le faire sur trois sites ! Tu arrives, toi, à naviguer de l’un à l’autre ?

— Je galère, franchement… Trois, c'est trop, et encore, je discute surtout sur un site pour le moment.

— Je crois que ça pourra faire partie de notre chronique, ça. Trouvez-vous un site où vous vous sentez bien et restez-y le temps d’avoir des résultats. Oh, m’arrêté-je subitement en entendant mon téléphone vibrer, une des femmes avec qui tu as matché est déjà en train de m’écrire ! Eh bien, avec toi qui me coaches, je vais avoir du succès, on dirait !

— C'est laquelle ? Il ne va pas trop falloir tarder à concrétiser, si on veut avoir le temps de tout faire comme il faut.

— Oui, ne t’inquiète pas, je vais lui répondre, mais là, pour l’instant, je suis avec toi. Je répondrai cet après-midi. On s’organise le premier rendez-vous où et quand ?

— En début de semaine prochaine ? Tu penses que ça le fera pour toi ? Pour le lieu… Où tu veux, peu m'importe tant qu'il y a du chocolat, sourit-elle.

— D’accord, réserve ton lundi soir, je vois avec Maéva si elle est disponible, mais vu ce qu’elle m’a dit, ça devrait être possible. Tu vas inviter lequel des quatre, toi ?

— Olivier, le flic. Il va falloir que j'évite de lui dire que mes parents fument de la Marijuana d'ailleurs !

— Tes parents fument du cannabis ? Je ne sais pas pourquoi, mais ça ne m’étonne même pas, rigolé-je en terminant mon succulent dessert. Et je ne suis pas du tout surpris que tu choisisses le flic, tu aimes le risque, non ?

— Mes parents sont… cools. Un peu trop. Et moi, j'aime le risque mais surtout l'uniforme, pouffe Adèle. Non, il a l'air sympa, et puis c'est toujours bien d'avoir un flic dans ses connaissances, on ne sait jamais.

— Ouais, pourquoi pas. En tout cas, finalement, ici, on travaille bien. Je crois qu’on ne s’est presque pas engueulés du repas. C’est à mettre sur le calendrier, tu ne penses pas ?

— On va venir bosser ici et faire payer la boîte, tiens !

— Je vais demander une note de frais en expliquant à Véronique que c’est le seul moyen pour que tu ne me sautes pas dessus. On verra si ça la fait rire ou pas. Après, il ne faut pas non plus qu’on s’attarde sinon elle va croire qu’on passe plus de temps en pause déjeuner qu’au boulot. Tu restes en télétravail ou tu viens sur place ?

— Je vais au bureau cet après-midi, histoire qu'elle pense que je bosse.

Je me demande si ça en vaut la peine. J’ai l’impression que quoi qu’Adèle puisse faire, Véronique ne lui dira jamais rien. Alors que si moi, j’ai cinq minutes de retard, je me prends une remarque. Je crois qu’elle en joue un peu de voir l’effet de ces remarques sur moi, mais bon, je n’arrive pas à m’empêcher de réagir. Et peut-être que si je continue à fréquenter plus souvent ma collègue, ça va s’améliorer ? Parce que finalement, c’est loin d’être désagréable !

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