20. Le quatuor improbable

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Adèle

— Arrête, gloussé-je en repoussant sa main de sous ma jupe évasée blanche à pois rouges. Un peu de tenue, voyons ! Je te rappelle que le proprio, c'est mon oncle !

Rémi pouffe, pas gêné le moins du monde, mais s'exécute quand même. De passage à Paris, il m'a proposé un resto, et plus si affinités, ce soir. Il n'a même pas pris de chambre d'hôtel, tout en me certifiant qu'il avait la possibilité de trouver une chambre si je n'ai pas envie de l'accueillir.

— Je ne te savais pas aussi conservatrice, se moque-t-il. J’ai faim, moi, ce soir, et pas que de la cuisine de ton oncle !

— Disons que je n'ai pas trop envie de finir penchée sur cette table, les fesses à l'air sous ses yeux. Je commence à te connaître.

— Mais non, je sais me tenir aussi, rigole-t-il. Même si ça ne me déplairait pas de voir tes fesses. On se prend un plat du jour ? Tu sais ce que c’est, aujourd’hui ?

— Prends ce que tu veux. Je crois que c'est du poulet au cidre en plat principal. Sinon, tu lis le menu et tu sauras, tu sais ? Bon, je sais que ça veut dire sortir les yeux de mon décolleté, mais quelques minutes, ça pourrait le faire, non ?

Bon, peut-être que le débardeur à col cache-cœur bleu-vert particulièrement plongeant, sans soutien-gorge… Oui, je cherchais à le rendre fou, je plaide coupable.

— Je dois pouvoir faire ça, soupire-t-il en prenant la carte, comme si je lui demandais le plus grand effort possible.

Je souris en le voyant à demi contrarié et me demande pourquoi je l'ai emmené ici. Il y a des centaines de restaurants dans tout Paris, et moi je choisis la brasserie de mon oncle.

— Tu boudes ? chuchoté-je à son oreille d'une voix suave avant de lui mordiller légèrement le lobe.

— Arrête ou je m’occupe de tes fesses ! Je ne boude pas, je suis frustré, répond-il en glissant sa main entre mes cuisses et en prenant un air de martyr.

— Ne joue pas trop quand même, continué-je dans le même ton en posant à mon tour ma main haut sur sa cuisse, je suis sûre que j’ai les moyens de te mettre au supplice.

— Pourquoi on n’est pas passés par ton appartement avant de venir ? J’ai une putain d’envie de te faire jouir.

— Parce que la frustration rend l’orgasme encore meilleur, Beau Gosse. Tu as choisi ? lui demandé-je en lui piquant sa carte.

Je stoppe mon geste en cours de route en voyant entrer Eliaz en charmante compagnie. Tiens donc, est-ce qu’il aurait décidé d’anticiper son premier rencard ? En tout cas, lui aussi se fige quand nos yeux se croisent. Son regard dévie vers mon cavalier du soir avant de revenir à moi, et je me sens tout à coup mal à l’aise. Pourquoi ? Bonne question, peut-être parce que je sais qu’il va sans doute, une fois encore, me juger.

Je lui fais un signe discret que Rémi capte. Il m’interroge du regard, curieux, et fait de grands signes en direction d’Eliaz à la seconde où je lui dis que c’est mon collègue. Mais qu’est-ce qu’il fout, ce con ?

Le journaliste semble hésiter avant d’avancer dans notre direction, les sourcils froncés, la démarche quelque peu hésitante. Instinctivement, je resserre légèrement mon cache-cœur et inspire un coup pour me calmer.

— Serais-tu tombé amoureux de la cuisine de mon oncle, cher collègue ?

— Eh bien, on y mange bien, oui. Et c’est l’anniversaire de Nolwenn, ma sœur, alors je l’ai invitée à un petit restau sympa. Et toi, déjà en charmante compagnie, à ce que je vois. Nolwenn, je te présente Adèle, ma célèbre collègue dont je te parle tout le temps.

— C’est donc grâce à toi que j’ai tout le temps les oreilles qui sifflent ? ris-je. Enchantée, Nolwenn, et joyeux anniversaire. Lui, c’est Rémi, un ami.

— Un ami, oui, rit ce dernier. Ravi de faire votre connaissance, et bon anniversaire Mademoiselle.

— Merci et enchantée, indique la jolie brune, visiblement si différente de son frère. Depuis le temps que j’entends parler de toi, ça fait plaisir d’enfin te voir. Et bravo pour tes articles, j’ai adoré celui que tu as fait sur les FEMEN. Franchement, il faudrait plus de journalistes avec ton talent !

— Oh, Eliaz, j’aime déjà ta sœur ! Je suis sûre qu’on ne passerait pas notre temps à se chamailler, elle et moi.

— Vous vous chamaillez tant que ça, tous les deux ? sourit Rémi.

— Non, j’en rajoute. C’est mieux, ces derniers temps, nous sommes embarqués dans la même galère, ça rapproche.

— Vous n’êtes que tous les deux ? continue mon compagnon de soirée. Je suis curieux de savoir comment est Adèle au boulot. Vous devriez vous installer avec nous, plus on est de fous, plus on rit !

— Non, non, répond rapidement Eliaz en mettant la main sur l’épaule de Nolwenn pour l’écarter de nous. On ne va pas vous embêter, vous aviez l’air en pleine… discussion. Je ne veux pas vous déranger plus que nous ne l’avons déjà fait.

Je ne sais plus où me mettre. Eliaz a semble-t-il envie d’être partout sauf ici, et j’avoue ne pas être moi-même très à l’aise, même si je sais que Rémi se tiendra à carreaux…

— Oh mais vous ne nous dérangez pas du tout ! Allez, installez-vous, ce sera plus sympa à quatre, non ?

— Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, Nolwenn, tu voulais qu’on se fasse une petite soirée entre frangins, non ? Je te laisse décider…

— Oh, mais ça ne me dérange pas du tout. Adèle a sûrement plein de choses à raconter vu comment elle écrit. Ça ne te dérange pas, toi, qu’on se joigne à vous ? m’interroge-t-elle en lorgnant sur mon compagnon du soir.

Disons que mon programme du soir était tout autre que papotage… La tension était censée monter au fur et à mesure du repas, Rémi devait être à point au moment du dessert, le trajet jusque chez moi devait être à la limite de l’indécence, et le final, un vrai feu d’artifice.

— Du tout, installez-vous. C’est pas comme si Eliaz et moi passions déjà notre vie ensemble, plaisanté-je. Mais n'allez pas vous plaindre si nous déclenchons la troisième guerre mondiale !

— Eh bien, si tout le monde est d’accord, maugrée mon collègue, on va s’installer… Rémi, où avez-vous rencontré Adèle ? Cela n’a rien à voir avec notre sujet actuel, si ?

Je fais signe à mon oncle derrière son comptoir alors qu’Eliaz s’installe face à moi, sa sœur ayant décidé que la place en face de celle de Rémi serait la sienne.

— On se connaît depuis le lycée et on s’est croisés par hasard en boîte il y a quelques semaines, sur Lille. Toujours aussi pétillante, impossible de la manquer malgré la foule !

— Oh, tu es ch’ti, c’est comme ça que vous dites ? s’enthousiasme la brune. C’est trop cool, ça. Elle était comment Adèle au lycée ? Déjà aussi pétillante, comme tu dis ?

— Nolwenn, la réprimande son frère, tu es bien curieuse ! Et si Adèle n’a pas envie qu’on parle d’elle quand elle était plus jeune ?

— Oh, je suis désolée, rougit-elle immédiatement.

— Je devrais m’en remettre, ne t’excuse pas. Et puis, je n’ai rien à cacher.

— Même ta flemmardise ? se moque Rémi. Je me demande encore comment tu as pu avoir ton Bac. Entre les manifs organisées, les fois où tu séchais et les fiestas, ça me tuait de devoir bosser comme un dingue alors que tu arrivais toute fraîche en cours.

— C’est pas de la flemmardise, ça, c’est du génie, non ? s’extasie Nolwenn alors que son frère lève les yeux au ciel.

La serveuse nous interrompt pour prendre nos commandes, et je ne manque pas son regard allant de Rémi à Eliaz. C’est plutôt comique, comme si elle ne savait plus où donner de la tête.

— Je doute que ton frère soit d’accord avec toi, ris-je une fois qu’elle repart. J’avais des facilités, je l’avoue. Et puis, je détestais déjà passer mes journées derrière un bureau à l’époque. J’avoue que je n’étais pas la plus sage des élèves… Enfin, t’étais pas non plus un saint, toi.

— J’avoue que je passais pas mal de temps derrière le gymnase, ricane mon amant en me lançant un regard entendu.

— Tu peux t’arrêter là dans les explications, grimacé-je. Qu’est-ce que tu fais dans la vie, Nolwenn ?

— Oh, j’étudie, c’est tout…

— Elle est quand même en Master à Sciences Po, intervient son frère, qui a l’air fier d’elle. Elle joue la modeste, comme ça, mais c’est elle l’intello de la famille.

— Eh bien, non seulement elle est belle, mais en plus elle est intelligente ! La star de la soirée a tout pour elle ! s’exclame Rémi en levant son verre. Bon anniversaire, jolie intello ! On a de la chance, hein, Eliaz, on est chacun avec une superbe femme !

Il passe son bras sur la banquette et caresse ma nuque, me tirant un frisson tandis que son regard laisse peu de place à l’imagination quant à la suite de notre soirée. Et moi je rougis, bon sang, ça m’arrive tellement rarement de sentir mes joues s’échauffer de la sorte que je ne sais plus où me mettre.

— Ouais, enfin, moi, je ne vais pas finir à poil avec ma soeur, tu vois ?

— C’est encore mieux pour moi, alors ! rit-il en venant poser sa bouche contre mon cou pour m’offrir un baiser qui me fait frissonner.

Merde, il sait sur quels boutons appuyer. Surtout que sa main enveloppe ma cuisse délicatement. J’évite sciemment le regard de mon collègue alors que ma température corporelle grimpe sans que je puisse contrôler quoi que ce soit.

— Sciences Po alors… T’es sûr de pouvoir rivaliser avec ce genre de personnes, Rémi ? plaisanté-je.

— J’arrive bien à te faire faire ce que je veux, au lit, pourquoi ce serait différent avec elle ? répond-il avec une confiance en ses capacités assez excitante.

Je pose cependant ma main sur sa bouche en me retenant de rire, consciente qu’entendre ce genre de choses quand on est le frère ne doit pas être très plaisant.

— Un peu de tenue, tu veux ? A moins que tu ne cherches à déclencher la troisième guerre mondiale toi-même ?

— Oh, ce ne sont que des mots, rigole Nolwenn qui a l’air de s’amuser comme une folle. Moi, je demande à voir, pas sûre que le mec qui soit capable de me soumettre existe !

— Bon, et si on parlait d’autre chose que de vos hormones ? grommelle Eliaz. Tout le monde ne pense pas qu’à ça, vous savez ?

Voilà qui était prévisible… Rémi ne quitte cependant pas son sourire. Il fait même un clin d'œil à Nolwenn avant de m’attirer contre lui pour m’embrasser sans grande retenue. Honnêtement, il fait bien ce qu’il veut, mais draguer Nolwenn devant son frère est plutôt moyen. Tout comme le faire devant la nana avec qui il compte coucher le soir-même. A moins qu’il change d’avis ? J’en doute vu sa main baladeuse, sous la table. Il est conscient de l’effet qu’il me fait et qu’il fait, plus généralement, à la gent féminine, et il en joue. Et face à moi, mon collègue doit regretter d’avoir accepté de s’installer à notre table, et je commence à me dire que discuter de mes frasques du lycée était moins bancal que cette conversation portée sur le sexe. Quant à moi, j’en viens à avoir hâte que la soirée se termine histoire de me soustraire à ses regards et ses jugements. En même temps, tant pis pour lui s’il me juge. Je suis sûre que s’il se lâchait un peu, il a tout ce qu’il faut pour avoir autant de succès que Rémi.

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