21. Rémi par ci, Rémi par là
Eliaz
Je savais que j’aurais dû aller dans un autre restaurant, mais quand ma sœur a accepté ma proposition de l’inviter à sortir, c’est le seul endroit qui m’est venu en tête. Et bien entendu, sur qui je tombe ? Adèle. Et en charmante compagnie. Très charmante, d’ailleurs, si j’en crois les regards de ces dames. Rémi par ci, Rémi par là… Et vas-y que je te caresse. Et vas-y que je te mate. Et une œillade par ici, un bisou par là. J’ai l’impression de tenir la chandelle et moi qui me faisais une joie de passer cette soirée avec Nolwenn pour son anniversaire, j’en suis à me demander ce que je fais là et pourquoi je ne suis pas resté tranquillement à la maison.
Je ne sais pas ce qui m’énerve le plus, parce que ce type, c’est sûr qu’il est agréable, c’est un beau mec, c’est évident et en plus, il est super sympa, il essaie de m’inclure dans les conversations, il est souriant… mais plein de choses me mettent en rogne. Déjà, ma sœur qui a complètement oublié que j’existais et qui minaude devant ce colosse juste parce qu’il a quelques muscles et une belle gueule. Et ma collègue. Au moins, quand elle est occupée à lui bouffer le visage, on ne s’engueule pas. Oui, je vois le positif dans toutes les situations, c’est fou, hein ?
Ne pouvant plus tenir face à toutes ces simagrées, je me lève et me dirige vers le bar où l’oncle d’Adèle me demande ce dont j’ai besoin.
— Eh bien, c’est l’anniversaire de ma sœur, la jolie brune, à ma table. Je me demandais s’il serait possible de nous amener un gâteau avec des bougies. Ce serait bien comme dessert, si vous avez ça… Ou votre tiramisu, ça irait aussi, hein ? Tant qu’il y a des bougies.
— Bien sûr ! Quel âge pour la petite demoiselle ? J’ai une tarte au citron si tu préfères, mais ça passe sur le tiramisu aussi. Comme tu veux.
— Ah non, pas le citron, il faut du chocolat ! Vous n’avez pas un fondant sur la carte ? Elle a vingt-deux ans aujourd’hui.
— C’est noté ! Peut-être bien que j’ai un petit fondant délicieux, servi avec une boule de glace vanille et un coulis de fruits rouges. Tu peux m’expliquer ce que fiche Adèle avec ce baraqué ? J’ai l’impression de l’entendre quand tu me parles de chocolat, sourit-il.
— Il doit avoir une grosse… saucisse ? répliqué-je avec un sourire un peu forcé. Ma sœur aussi a l’air folle de lui, je crois que l’on peut dire qu’il a du sex appeal. Merci pour le fondant, ça sera parfait !
— Oh mon p’tit, Adèle n’a pas l’air folle de lui, faut pas pousser, ricane-t-il. Allez, je t’apporte ça dans cinq minutes. Fais gaffe à ta frangine, le tombeur a l’air d’aimer jouer sur plusieurs tableaux.
Je retourne à mon siège et constate qu’effectivement, Rémi, toujours un bras autour des épaules d’Adèle, a maintenant posé sa main sur celle de ma sœur. Je fais exprès de la repousser un peu sur la banquette, ce qui la fait se dégager de la pression de Rémi.
— Le gâteau va arriver ! On va bientôt pouvoir vous laisser profiter de votre soirée en amoureux sans plus vous embêter.
— Oui, alors non, on ne peut pas vraiment qualifier ça d’une soirée en amoureux, grimace Adèle en scrollant sur son téléphone après m’avoir jeté un coup d'œil.
— Oh, ça ne me dérange pas, tu sais ? Tant que tu n’es pas trop fatiguée pour les rencards qu’on a prévus, ça me va.
Je suis content de voir la petite grimace de Rémi à la notion de rendez-vous où il ne sera pas la star de la soirée. Petite victoire personnelle, et je m’amuse à imaginer qu’il pense que ces rendez-vous seront avec moi.
— J’insiste quand même, ça n’a absolument rien d’un rendez-vous amoureux, me répond-elle en se penchant sur la table pour chuchoter. Crois-moi que je lui aurais déjà tapé une crise vu comme il semble intéressé par ta frangine, si c’était le cas.
Purée, quel décolleté… C’est pas humain de présenter la marchandise comme ça et de la rendre aussi inaccessible. Il a quand même de la chance, Rémi, quoiqu’elle puisse dire sur leur relation. Heureusement, les lumières s’éteignent et la musique de “Happy Birthday to you” retentit, ce qui me permet de ne pas laisser voir mon trouble.
— Joyeux anniversaire, Sœurette !
Elle se serre contre moi et me fait un baiser sur la joue, rayonnante. Elle passe une super soirée et ça, ça me redonne un peu de gaité.
— Merci, Grand Frère ! Mais rêve pour que je te laisse ne serait-ce qu’une cuillère de ce gâteau, rit-elle avant de souffler la bougie qui se trouve dessus.
— Bravo ! Bon anniversaire, s’exclame Rémi en se penchant pour faire la bise à Nolwenn qui rougit. Et avec moi, tu le partages, ton gâteau ?
— Je ne peux rien te promettre, glousse ma sœur. Le chocolat, c’est quand même sacré. Qu’est-ce que j’ai en échange ?
— Mon numéro et une invitation à venir visiter Lille ! Ça ne se refuse pas, n’est-ce pas Adèle ? ajoute-t-il en souriant à ma collègue.
— Tu n’as peur de rien, quand même, rit cette dernière. Tu dragues Nolwenn devant son frère et devant la nana qui te fait une place dans son lit pour la nuit. Enfin, à moins que tu aies changé de proie, bien sûr.
— Mais non, tu sais bien que ce soir, c’est toi la reine de mes câlins, voyons ! Et je suis sûr que toi, tu vas m’offrir ton chocolat !
Il n’a vraiment peur de rien, lui. Et ça a l’air de marcher car Adèle lui répond par un sourire et un petit baiser plutôt que de l’envoyer balader. Un dragueur comme ça, franchement, je ne comprends pas. Tellement loin de toutes mes valeurs…
— On va en commander trois autres, comme ça tout le monde aura sa dose de chocolat, sourit Adèle en faisant signe à son oncle. A moins que tu ne veuilles un tiramisu, Eliaz ?
— Non, ça ira. Le tiramisu, c’est pour nos rendez-vous à deux. Et il ne faut pas abuser des bonnes choses, sinon après, on ne les apprécie plus.
— Tu as raison, surtout qu’on risque de passer pas mal de temps ici tous les deux. Si on survit au premier rencard, en tout cas !
— Arrêtez de parler boulot, tous les deux ! On est là pour s’amuser !
Je vois que Rémi ne comprend rien à nos histoires de rendez-vous, mais il a l’air d’accord avec ma sœur car il s’attaque à son gâteau avec une vraie gourmandise. De mon côté, je le savoure et suis le dernier à le terminer.
— Tu veux faire quoi, maintenant, Nolwenn ? Tu as dit que tu avais encore un exposé à terminer, mais bon, c’est ton anniversaire, on fait ce que tu veux. Si justement tu veux t’amuser, on va trouver.
— Non, je n’ai malheureusement pas trop le choix, il faut que je boucle tout ce soir, soupire ma sœur. Donc, même si je prolongerais bien la soirée, je pense qu’on va rentrer.
— Et dire que je croyais que tu allais demander à finir la soirée avec nous ! rigole Rémi. Tu as bien raison d’être sage et de travailler ! Comme ça, tu vas finir comme Adèle. Belle, intelligente et avec un beau métier.
Trop fort, lui. Il parvient à la fois à draguer ma sœur et à faire un compliment à ma collègue. Un maître dans l’art de plaire, ce gars. Dommage que ce ne soit pas un rendez-vous de Zinder parce qu’il mériterait une place dans notre chronique !
— Ce sera pour une autre fois, mais je ne suis pas contre l’échange de numéros, lui répond ma sœur en lui tendant son téléphone. Enfin, si ça ne te dérange pas, Adèle.
Rémi s’en saisit et je ne parviens pas à savoir ce que ressent Adèle à ce moment-là. Elle va vraiment l'accueillir dans son lit après son attitude aussi ambiguë ? Il doit vraiment être un bon coup si elle accepte ça et je suis surpris de voir que ça ne la dérange pas énormément.
— Bonne soirée à vous, les amoureux, les provoqué-je en me levant. Je raccompagne Cendrillon à la maison avant que le métro ne se transforme en citrouille… ou en courgette plutôt, vu la forme. A demain, Adèle, à l’heure et en forme ! ajouté-je en souriant.
— Possible que j’arrive tôt pour démonter ton bureau, cher collègue. Ça t'apprendra à me titiller, me lance Adèle avec un sourire en coin. Bonne soirée à vous deux, et encore joyeux anniversaire, Nolwenn.
— Merci pour cette agréable soirée. Rémi, à bientôt, j’espère, papillonne-t-elle des yeux.
— On se tient au jus, ma Belle. J’attends ton message ! lui répond-il en se levant pour lui faire une bise appuyée sur la joue.
Je l’entraîne avant qu’elle ne change d’avis et se décide à aller faire un trio avec eux, et nous sortons à l’air frais que j’accueille avec plaisir. Je crois que Rémi m’étouffait un peu par sa présence et son charisme. Nous reprenons le métro pour rentrer à la maison et je me moque de l’air rêveur de ma sœur.
— Ne me dis pas que ce gars t’intéresse vraiment ? Tu sais qu’il est déjà sûrement en train de peloter Adèle ?
— Il a l’air très doué de ses mains, en même temps. Et puis, tu l’as vu ? Ce mec est une bombe ! Quant à Adèle, je crois que moi aussi j’aurais bien envie de la peloter. Pas toi ? Je suis jalouse de ses formes et de son assurance, rit Nolwenn.
— Pour Adèle, je te rejoins. Ce soir, en plus, elle ne cachait pas grand-chose… mais lui ? Il n’a pas grand-chose pour lui… C’est un tombeur, pas une bombe.
— Tu as passé la soirée les yeux dans son décolleté, se moque-t-elle avant de soupirer. Rémi est une bombe, frangin, et le fait qu’il soit sûr de lui ne fait qu’accentuer son sex appeal.
— Pfff, je te croyais plus mature que ça. Toi, l’intello, tu te ferais bien ce basketteur avec plus de muscles que de cerveau ?
— Tu insinues que ta collègue manque de maturité et n’est pas une intello ? Tu n’as vu que ce que tu voulais voir de Rémi. Il est cultivé et curieux, il a de la conversation. Et puis, tu sais, au lit, pas besoin d’étaler sa science non plus !
— Non, c’est clair. Mais on doit vite se lasser, je pense.
— Je suis sûre que Rémi est très intéressant en dehors d’un lit. De ce que j’en ai vu, c’est le cas. Et puis, qui invite un plan cul au resto si ce n’est pas le cas ?
— Quelqu’un qui a envie de manger du chocolat ?
— Il y a bien des façons de manger du chocolat, et ça peut impliquer un lit et deux personnes nues, glousse Nolwenn. Pas besoin de resto pour ça.
— Ah non, pas de détail, s’il te plait. Après, je vais t’imaginer avec ce type en train de faire des cochonneries. Tu sais que tu parles à ton frère, là ? Ton grand frère, même !
— Et ? Je ne t’ai pas dit que je l’avais fait non plus. Par contre, je suis certaine que vu ton amour pour le chocolat, tu adorerais ça !
— Pas avec Rémi, non, désolé. Même pour du chocolat, ris-je alors que nous arrivons à destination.
— Et avec Adèle ? souffle-t-elle en me dévisageant.
— Adèle, c’est ma collègue, voyons. Je ne me vois pas faire des cochonneries avec quelqu’un du boulot.
En réalité, je crois qu’avec Adèle, même sans chocolat, j’irais bien. Mais je ne vais pas avouer ça, même à ma sœur.
— Hum… Tu sais que beaucoup de couples se rencontrent au boulot, quand même ?
— Oui et beaucoup de jeunes femmes ont trop bu et disent des bêtises aussi. No zob in job, tu connais ?
— Mouais… C’est dommage de manquer des opportunités pour un adage pourri, si tu veux mon avis. Surtout que je suis sûre qu’elle ne dirait pas non.
— N’importe quoi ! ris-je de bon cœur. Je ne suis pas du tout son type. Et elle ne voit en mois qu’un grand dadais maladroit. Allez, va bosser, ça vaudra mieux !
Je ne lui laisse pas le temps de répondre et file dans ma chambre. Je ne pense pas du tout qu’Adèle soit intéressée par moi. Elle est en train de s’amuser avec son Rémi, là. De s’envoyer en l’air. Et je dois être bien loin de ses pensées érotiques, que ce soit là, tout de suite, ou en général. Et même si moi, elle pourrait vraiment m’intéresser, la réciproque n’est pas vraie. Alors, à quoi bon se permettre de rêver ? No zob in job, sauf pour les sites de rencontre.
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