23. Baisers alcoolisés, Baiser passionné
Eliaz
J’essaie de repousser la main de Pierre gentiment, mais il semble décidé à ne pas me lâcher la jambe, comme s’il avait besoin de s’y accrocher pour se convaincre que je suis réel et à côté de lui. J’ai vraiment l’impression que je lui ai tapé dans l'œil et qu’il serait prêt à m’inviter chez lui pour faire ce que je veux de lui, tellement il semble sous le charme. Et c’est plutôt flatteur de voir son intérêt dans son regard. Je profite qu’il soit en train de raconter une anecdote d’une de ses aventures en vacances pour l’observer. C’est un bel homme, il n’y a pas à dire. Ses traits sont bien dessinés et réguliers et sa crinière rousse est magnifique. Parfois, certains hommes homosexuels sont efféminés, mais lui, ce n’est pas du tout son cas. Je le trouve très viril et même séduisant. Étant serré entre lui et Adèle, je peux sentir l’odeur de son eau de cologne ou de son déodorant. Il faudrait peut-être que je lui demande ce que c’est parce que j’aime bien, comme odeur. Refusant de continuer à me battre, je me résigne à laisser sa main tranquille, mais le coquin en profite pour la remonter sur le haut de ma cuisse, dangereusement près de mon entrejambe. Pourquoi je ne le repousse plus ? Parce que j’ai déjà un peu trop bu et que je bande un peu ? Chut, il ne faut pas que je me fasse remarquer. Surtout qu’Adèle est aussi tout contre moi et que je sens sa poitrine frotter mon bras à chaque fois qu’elle se penche pour mieux entendre son colocataire.
— Qui veut une deuxième tournée ? demande la jolie Aya en face de moi. Je vous invite !
Tous autant que nous sommes, nous reprenons un verre et, même si je trouve qu’il est corsé, je demande un nouveau cocktail de la Passion. J’observe avec intérêt la jolie jeune femme se lever et suis à nouveau surpris par sa taille et ses formes plus que généreuses. C’est bien dommage qu’elle soit lesbienne parce que si je la croisais sur une des applications de rencontre, c’est évident que je cliquerais sur “J’aime” en la voyant. Et je ne suis pas le seul. Adèle, comme moi, admire son joli fessier qu’elle met magnifiquement en valeur dans un legging moulant, et quand nos regards se croisent et que nous captons l’intérêt de l’autre pour le même postérieur, nous éclatons de rire.
— Putain, je suis déçu, soupire théâtralement le troisième coloc. Je pensais que vous finiriez pas vous engueuler, et voilà que vous riez ensemble. Heureusement que t’es tout mignon quand tu ris, le journaleux !
James est lui aussi très mignon, c’est vraiment le mot. Je crois que c’est lui le plus âgé du groupe et il est tellement maniéré qu’il en est attachant. On pourrait presque croire qu’il joue un rôle tellement il agit comme un gay libéré et ravi de pouvoir s’afficher en tant que tel. Il a une belle carrure et lui aussi, c’est un bel homme.
— Je crois qu’on va désormais travailler avec pas mal d’alcool dans le sang. Ça a l’air de faciliter notre relation, tu ne crois pas, Adèle ?
Je me précipite sur ma boisson car il fait chaud dans le bar et j’ai soif. Pierre, à mes côtés, fait de même et il continue son approche toute sauf discrète. Il n’a qu’à bouger un doigt maintenant et sa main sera juste au-dessus de mon sexe dont je ne peux plus cacher l’érection. Je crois qu’il l’a remarquée car il fait un petit sourire et commence à me caresser à travers mon pantalon. Adèle semble l’avoir capté car son regard est clairement posé sur l’endroit où sa main est posée.
— Je vois que tu apprécies la soirée, chuchote-t-elle à mon oreille. Je te propose quand même “Joystick” comme safe word, au cas où ! Enfin, tu fais bien comme tu veux, pas de jugement de mon côté, mon Lapin.
— Eh bien, dis-je à voix haute pour que tout le monde m’entende, je crois que je suis en train de comprendre pourquoi j’ai un blocage avec les femmes, moi. Je suis gay ! Voilà la raison de mon comportement ! Je suis gay ! C’était pourtant clair, non ?
Pierre, en m’entendant ainsi parler, s’est arrêté dans son geste mais je ne le remarque pas tout de suite, car mon regard s’est focalisé dans le bustier plongeant d’Adèle, ce qui m’envoie dans un autre monde, j’ai l’impression. Ou alors, c’est le deuxième cocktail qui agit.
— Permets-moi d’avoir un doute, glousse Aya. Je crois que si tu pouvais t’étouffer entre les seins d’Adèle, tu le ferais sans aucune hésitation.
— Parce que tu ne le ferais pas, toi ? rétorqué-je, sans filtre.
— Si, et crois-moi que ça en vaut la peine ! Mais je suis lesbienne !
— Eh bien, moi, je suis bi à tendance majoritaire gay qui aime les jolies poitrines. C’est évident ! Eureka ! m’exclamé-je en parlant fort.
— Ce qui me semble évident, c’est que tu ne tiens pas l’alcool, mon Lapin, rit Adèle, après avoir déposé un bisou sur ma joue barbue. Je doute que tu sois gay, tu mates les femmes au bureau, pas les hommes. Mais faut pas mourir con non plus, tu devrais peut-être tester !
— Tester ? On peut se tester pour voir si on est gay ou pas ?
Et je ne crois pas avoir trop bu. Juste un verre et demi, on n’est pas saoul après juste ça, quand même ! Bon, c’est vrai que je n’ai pas l’habitude, mais je suis un bonhomme, moi. Ce n’est pas ça qui va me faire perdre la tête !
— J’en sais rien, je ne me suis jamais posé la question quant à ma sexualité, personnellement, me rétorque ma collègue.
— Tu veux qu’on fasse comme quand j’étais ado ? m’interroge Pierre qui me dévore des yeux.
— C’est-à-dire ? demandé-je, intrigué.
— Eh bien voilà. On va te bander les yeux et ici, on a deux mecs et deux nanas qui vont t’embrasser sans que tu saches qui c’est. Tu nous dis le numéro du baiser qui te plait le plus. Si c’est un mec, il y a de grandes chances que tu sois homo, si c’est une meuf, eh bien, tant pis pour James et moi. Tu en dis quoi, Lapin d’Adèle ?
— Hé, j’embrasse pas les mecs, moi ! ronchonne Aya.
— Et puis c’est n’importe quoi, Pierrot, réagit Adèle. Eliaz a picolé, et apparemment toi un peu trop, cette idée est ridicule.
— Ah oui ? Je suis si dégueu que ça que vous ne voulez pas m’embrasser ? Putain, on a une chance de savoir ma sexualité et de répondre au mystère de ma vie, et vous, vous m’abandonnez ! Moi, je suis partant !
— Toi, t’es surtout bourré, soupire Adèle en tapotant ma main sur la table. Rien à voir avec le reste, mon Lapin, crois-moi.
— Bon, il a dit oui, lui, vous êtes sûres que vous ne voulez pas nous aider ? insiste Pierre qui a l’air d’avoir très envie de goûter à mes lèvres.
— Allez, les filles, renchérit James, c’est juste un baiser. Et il aura les yeux bandés, il ne saura pas qui l’embrasse. Franchement, ça serait con de ne pas en profiter.
— Et comment il va résoudre le mystère de sa vie s’il ne sait pas qui le galochait quand ça lui a vraiment plu, hein ? insiste Adèle.
— Facile, il nous donne son classement des baisers. Et là, franchement, si je ne suis pas premier, se marre le roux, je vous paie le resto !
— Dites oui, s’il vous plaît, les supplié-je en cherchant déjà avec quoi me bander les yeux.
— Je te préviens, si tu me reproches ce qui se passe ce soir au boulot, ça va barder pour ton matricule, Eliaz, soupire Adèle en me tendant son foulard en soie.
— Ça barde déjà, ça ne peut pas être pire, indiqué-je en le nouant autour de mes yeux. Ça y est, c’est bon, je ne vois plus rien. Qui commence ?
— On ne va pas te le dire, non plus, répond James en me faisant me lever pour rester debout à côté de la table. Non, c’est bon, il ne voit vraiment plus rien, ajoute-t-il avant de me lâcher.
Je les entends bouger sans vraiment distinguer ce qu’ils font et, même si je m’y attendais, je suis surpris de sentir des lèvres se poser sur les miennes. L’odeur de l’eau de Cologne trahit tout de suite la présence de Pierre mais je ne me formalise pas et me concentre sur ce que je ressens avec ce baiser. La réalité, c’est que la technique du roux est superbe, il arrive à m’exciter un peu, mais ça reste sans saveur, comme s’il manquait quelque chose malgré sa langue qui a tracé sa route contre la mienne. Lorsqu’il s’arrête, je me dis que j’ai apprécié mais que ce n’est vraiment pas le meilleur baiser de ma vie.
Pour la deuxième personne qui s’attaque à moi, je ne sais pas dire de qui il s’agit, mais vu la douceur des lèvres, je pense que c’est soit Aya, soit Adèle. Grâce au petit parfum de menthe sur la langue de celle qui m’embrasse, je crois reconnaître celle qui se dit lesbienne, même si le doute demeure. En tout cas, le baiser me fait déjà plus d’effet et cette fois, je réponds avec plus d’envie et regrette un peu qu’il s’achève si rapidement.
Pour la troisième personne, j’ai l’impression qu’il y a un petit flottement et qu’ils ne sont pas d’accord sur qui va pouvoir m’embrasser le premier. Enfin, le troisième. Et là, c’est le choc. Un coup de tonnerre. Les lèvres qui s’emparent des miennes le font avec un mélange de douceur et de passion incroyable. Je dois me faire violence pour ne pas sauter sur celui ou celle qui est en train de me galocher avec une verve incroyable. Ce baiser, c’est comme une évidence. Je sens mes lèvres se faire aspirer, mordiller, une langue d’une vivacité folle mais qui sait se maîtriser pour répondre à la mienne. Je n’ai pas envie que ce moment s’arrête et la personne en face de moi non plus, a priori, car elle continue à se presser sur mon visage. Alors que je lève mes bras pour me débarrasser de mon bandeau, quelqu’un retient mes mains et, malheureusement, la féérie s’arrête. Le manège arrête de tourner, les émotions arrêtent de cascader, c’est un vide terrible que je ressens.
— Je crois que ça ne sert à rien d’en faire un de plus, si ? intervient James. Là, il n’y a pas photo, j’ai l’impression que notre invité n’est pas gay du tout. Loin de là, non ?
— Encore ! crié-je presque, provoquant ainsi les rires de tout le monde.
— C’est clair que je vous dois à tous un resto. Tu es sûr que tu ne veux pas essayer ? demande Pierre au quatrième que je devine être James.
— Si, je veux encore un baiser ! Et encore à boire ! C’est la meilleure soirée de ma vie !
Et si je ne me suis pas trompé, c’est ma collègue qui m’a mis dans cet état d’excitation et de félicité. C’est fou, je n’aurais jamais cru pouvoir faire autre chose que m’engueuler avec elle. Mais la prochaine fois qu’elle s’énerve, il faudra peut-être que je règle ça par un baiser, ça a l’air d’être électrique entre nous.
— Je crois que tu as assez bu, Eliaz, me dit Aya en m’enlevant mon bandeau. Et on te confirme tous, tu n’es pas gay. Bien au contraire ! James, toi qui as été raisonnable ce soir, tu ne pourrais pas ramener Eliaz chez lui ? Il a déjà trop bu et ce serait plus sûr que quelqu’un le raccompagne.
— J’ai pas trop bu, promis, dis-je alors qu’elle lève les yeux au ciel.
— Arrête de discuter, mon Lapin. Papy James va te raccompagner, ça vaut mieux. On va rentrer, de toute façon.
En entendant son ton tout à fait naturel, je suis pris d’un gros doute. Et si ce n’était pas avec elle que le baiser avait été aussi intense ? Moi, je suis dans l’incapacité de parler avec autant de facilité. Je ne suis pas ivre de l’alcool que j’ai bu, non, je suis ivre du baiser que j’ai reçu. Et James qui ne répond pas semble aussi troublé que moi par ce qu’il vient de se passer. Mais ils m’ont dit que je n’étais pas gay… A quoi ils jouent ? Et si ce n’est pas Adèle, serait-il possible que ce soit Aya qui m’ait fait cet effet monstre ? Si c’est ça, je suis mal, parce que la faire changer d’orientation sexuelle n’est pas près d’arriver. Je suis sorti de mon flot incessant de pensées et de questions par Pierre qui me donne une accolade avant que la jolie métisse me fasse un bécot sur la joue. Adèle me fait plutôt l’équivalent d’un hug, comme si elle en avait eu assez du contact pendant le baiser, et James me fait signe de le suivre. Je dois être en train de rêver, là. Pas possible autrement. Une soirée comme ça, ça n’a pas pu arriver, si ?
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