24. Le mytho du restau
Adèle
— Nom de Zeus, tu comptes le foutre dans ton pieu, ton flic ?
Je quitte mon reflet dans le miroir et souris à James qui me détaille de la tête aux pieds. Hors de question de changer mon style pour un rencard, même pour le boulot. L’idée, après tout, est de savoir si l’on peut rencontrer “l’amour”, peu importe qui nous sommes, non ? Alors j’ai enfilé ma dernière trouvaille, dénichée dans cette friperie qui pourrait facilement m’étiqueter “interdit bancaire”, une robe vintage années cinquante, style marin. Elle est bleu foncé, le décolleté en V est marqué par une bande de tissu blanc. Taille ajustée, évasée et bouffante à partir de là, et James, notre couteau suisse, l’a suffisamment raccourcie pour qu’elle m’arrive à mi-cuisse. Evidemment, ça manque de couleur, alors j’ai ajouté une ceinture en tissu rose avec un noeud dans le dos, et piqué une paire de talons aiguilles de la même couleur à Aya, notre Barbie métisse. Pour la touche de rappel, mes cheveux sont eux aussi parés d’une barrette avec un nœud rose qui retient mes mèches d’un côté. J’avoue que je me trouve particulièrement jolie, ce soir.
— Quitte à passer une bonne soirée, je ne dis pas non à jouer avec ses menottes, j’avoue, ris-je en appliquant finalement une touche de rose pâle sur mes lèvres. C’est pas too much, ça va ?
— Franchement, tu me ferais presque douter de ma sexualité, là. Ce flic ne sait pas ce qui l’attend avec toi !
— Hum… Toi qui connais maintenant mon collègue… tu penses que ça va lui plaire, à lui ? Ou c’est trop voyant pour son tempérament ?
— Tu restes fixée sur lui, on dirait. Je crois qu’il ne va pas regarder son date ! Tu vas prendre l’attention de tout le restau de toute façon.
Est-ce que je reste fixée sur Eliaz ? Ouais, il a raison. Depuis quand est-ce que je me demande si je vais plaire à un homme ? Je me plais, j’aime le reflet du miroir, pourquoi le reste m’importe ?
— On verra bien. Et puis, t’as raison, je m’en fous. Bon, je file, sinon je vais être en retard, soufflé-je en déposant un baiser sur sa joue. Bonne soirée, mes petits chats !
Je dévale les escaliers aussi rapidement que mes talons me le permettent, récupère ma veste noire et mon sac à main, et quitte la coloc pour m’engouffrer dans le métro et rejoindre mon date du soir. Olivier, vingt-neuf ans, un beau blond barbu à la gueule d’ange. Seuls ses yeux foncés contrastent avec cette première impression, parce que sur les photos, ils lui donnent un air inaccessible, particulièrement charismatique et un peu excitant, j’en conviens.
Quand j’arrive devant le restaurant, ce dernier m’attend devant, et je croise le regard d’Eliaz, à quelques mètres de là, encore seul. Je lui fais un discret clin d'œil en constatant qu’il semble nerveux, et approche de mon rencard, qui ne se gêne pas pour me faire la bise en passant un bras autour de ma taille. Il est plus grand que je ne l’imaginais, mais tout aussi carré que sur ses photos. En somme, le mec est vraiment beau gosse, mais je ne perçois pas le petit truc que j’aime sentir à la première rencontre.
— Ravie de te rencontrer et de pouvoir te parler de vive voix, soufflé-je alors qu’il me détaille ouvertement.
— Salut ! Tu es encore plus belle en vrai qu’en photo ! Je sens qu’on va passer une belle soirée !
— Merci du compliment.
Je lui souris alors qu’il ouvre la porte du restaurant pour me laisser passer, et nous nous retrouvons rapidement installés à une table. J’ai choisi la place face à l’entrée pour pouvoir observer la rencontre entre mon collègue et son date, et j’avoue que la petite blonde qui se plante devant lui est mignonne. Aya en ferait son goûter sans aucun problème, quant à moi… pas de commentaire, je préfère ne pas me prononcer.
Je croise le regard d’Eliaz lorsqu’ils entrent à leur tour dans la salle, et ne peux m’empêcher d’être satisfaite de voir qu’il prend la place à table qui nous permettra de garder le contact visuel. Résultat de ma petite observation : je n’ai pas écouté grand-chose du laïus de mon propre date, qui fronce les sourcils en m’observant. Plan de nana pour faire oublier quelque chose de contrariant : j’ôte ma veste et ma petite écharpe, lui lance un sourire et me penche outrageusement sur la table pour récupérer le pichet d’eau qui y a été déposé et nous servir un verre. Résultat : Olivier se perd dans mon décolleté un petit moment, et je finis par me racler la gorge pour qu’il relève les yeux.
— Tu es déjà venu dans ce restaurant ? lui demandé-je en consultant la carte.
— Non, c’est la première fois. Mais j’irai sûrement voir le patron après et lui offrir mes services pour la sécurité. Je crois qu’il n’y a pas meilleur agent que moi sur tout Paris !
Je fronce les sourcils et tente de me remémorer nos échanges. Il me semblait qu’il m’avait dit être dans la police, pas dans la sécurité pourtant. Il faudra que je vérifie, et je me dis qu’il ne sert à rien de l’acculer d’entrée. Quoique… je ne suis pas vraiment de ce genre-là.
— Tu es agent de sécurité ? J’avais cru comprendre que tu étais flic…
— Ouais, répond-il sans se démonter, je marque ça parce que ça plait aux filles, tu vois ? J’ai fait un stage au commissariat de Sarcelles, je ne mens donc pas vraiment, j’ai même un uniforme à la maison, mais bon, c’est vrai que je suis plus agent de sécu que flic. Et toi, tu es vraiment éditrice ? Tu dois passer ton temps dans les livres, rigole-t-il comme si ce travail était une bonne blague.
Hum… Je suis déjà en train de me lasser. La soirée promet d’être longue.
— Les livres sont une mine d’or, tu sais ? J’adore lire, presque autant que j’aime écrire. En vérité, je bosse pour un site Internet d’informations. J’y ai une chronique sur le sport automobile, ne mens-je qu’à moitié.
— Ah ouais ? Non seulement, t’es belle comme un cœur avec ta petite barrette rose, mais en plus, t’es une tête ! Chapeau ! J’adore. J’espère que tu n’es pas qu’une intello sexy mais que tu sais aussi faire bouger ton corps ! dit-il d’un ton particulièrement grivois.
Le serveur nous interrompt pour prendre notre commande et j’en profite pour tourner ma langue vingt fois dans ma bouche au moins. Je suis sûre que c’est le genre de mecs qui ne lit pas un article de sport écrit par une femme, ou prêt à remettre en question toutes mes connaissances simplement parce que je n’ai pas de service trois pièces. S’il savait que je suis comme Sebastian Vettel, capable d’énumérer tous les champions du monde de F1 dans l’ordre depuis les débuts de la discipline en 1950… Bref !
Nouveau coup d'œil à Eliaz en entendant un rire cristallin. Il semblerait que ça matche entre lui et son rencard, et j’ai envie de grimacer. Déjà, ce n’est pas juste, parce que je sens que je vais m’ennuyer, pour ma part, mais aussi parce qu’il a beau être plus agréable avec moi lorsque nous déjeunons ensemble, il ne m’a jamais fait rire comme ça, moi. Non, non, je ne suis pas jalouse…
— J’adore danser, réponds-je finalement à Olivier avec un sourire poli. L’un n’empêche pas l’autre. Ce n’est pas parce que tu bosses avec tes muscles que tu ne te sers pas de ton cerveau, j’imagine.
— J’ai pas dit ça non plus. Je crois d’ailleurs qu’il n’y a pas un mec qui sait mieux utiliser ses muscles et son cerveau que moi. Ça fait longtemps que tu es sur les sites, toi ? Tu me l’as dit mais je ne me souviens plus. Parce que franchement, tu es canon et tu pourrais avoir n’importe quel mec.
Soupir intérieur. J’ai hâte que cette soirée se termine.
— Quelques semaines, mais je cherche justement un mec qui ne s’arrête pas à mon physique, et j’imaginais qu’un site de rencontre permettrait d’apprendre à se connaître autrement.
— Les sites, c’est bien, mais ça reste du virtuel. Tu vois, c’est ce que je te disais l’autre fois, par message. Tout est fait pour mettre en valeur les gens, les faire se sentir beaux et désirés, mais après, il y a le passage au réel. Et je peux t’assurer que toi, tu y gagnes vraiment !
Pas toi, mon grand…
— Merci, souris-je. Les sites de rencontre sont une bonne solution pour les personnes timides, je pense. Mais aussi le lieu idéal pour les baratineurs…
— Ah oui, il y en a plein, c’est sûr, mais nous, c’est pas pareil, hein ? J’ai l’impression que toi et moi, c’est comme une évidence. Avec nos messages, je sens qu’une vraie connexion naturelle s’est créée. Et comme tu as avoué n’avoir pas froid aux yeux, une fois qu’on a fini de manger, ça va être un vrai feu d'artifice !
Ou pas… Même pour une nuit, ce genre de mecs me dérange. Parfois, il vaut mieux ne pas du tout apprendre à connaître un homme, sérieusement. Avec certains mecs, on passe de déception en déception. En ce qui concerne Olivier, je crois qu’il donne une image de lui sur le site qui n’est absolument pas celle qu’il renvoie dans la réalité. Il commence à m’agacer, en vérité, presque autant que la blonde qui minaude en face de mon collègue, et que ce dernier lui-même qui est tout sourire et lui décrocherait déjà la Lune, apparemment.
— Tu sais, je cherche à me poser, aujourd’hui, alors j’ai envie de prendre mon temps…
— Oui, moi aussi, c’est ce que je cherche. Depuis mon divorce, je n’ai eu que des aventures et je sens qu’avec toi, ça sera différent. On va prendre tout le temps que tu veux. Je suis habitué à être patient, tu sais ? Dans mon métier, il faut.
Ça sent le mytho à plein nez… En fait, lui, je ne le sens plus du tout. Effectivement, je suis certaine qu’il est capable d’être patient jusqu’à atteindre l’objectif qu’il s’est fixé. Et son objectif, c’est de me coller dans son plumard. J’ai presque envie d’embrasser le serveur lorsqu’il nous interrompt pour déposer nos assiettes devant nous avec un regard bien plus franc et sincère que mon rencard lorsqu’il me détaille. Il est plutôt mignon, et je me dis que je devrais peut-être arrêter de ne discuter qu’avec des barbus sur les sites de rencontre. James me l’a fait remarquer hier soir, tous les types avec lesquels j’échange le sont. C’est ridicule, d’autant plus qu’ils peuvent la raser du jour au lendemain et qu’à l’inverse, un beau serveur comme celui qui me fait un clin d'œil en passant derrière mon rencard, pourrait décider de laisser pousser la sienne. Je suis sûre qu’il serait vraiment très beau, barbu, d’ailleurs, et si j’en crois ses tempes largement poivre et sel, le rendu serait très agréable à regarder, et à tripoter.
OK, cette soirée est un fiasco. Olivier ne me plaît absolument pas dès qu’il ouvre la bouche, je lorgne davantage le serveur que mon rencard, ou mon collègue qui semble vraiment passer un bon moment. Et, moi qui prône la sororité, je commence à chercher des défauts à son date, je grimace en l’entendant rire et je me suis même dit qu’en étant blonde, elle ne devait pas avoir tant de conversation que ça. Je me fais honte, et je déteste un peu plus Véronique aujourd’hui qu’hier.
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