26. Le gay réconfort

10 minutes de lecture

Adèle

Pour quelqu’un souvent en retard, j’ai devancé le réveil et de loin, ce matin. Je tourne en rond dans mon lit depuis une bonne demi-heure et ça commence à me gonfler royalement. Le silence, la solitude, je déteste ça. Pas pour rien que je vis en colocation après tout.

Je finis par me lever et porte un regard tout neuf à ma chambre. Je crois que ça n’a jamais autant été le bordel que ce matin. Devant mon dressing sont étalés une tonne de vêtements à cause de mon rencard d’hier, et je ne suis pas sûre de pouvoir différencier le propre du sale. Une vraie ado, j’en conviens. Mon bureau n’est pas en meilleur état, des magazines divers y sont étalés, des journaux, des bouquins… Et plusieurs tasses vides tiennent debout je ne sais comment, à cheval sur mon bazar. Je souris en récupérant mon mug “Tout est bon dans le breton” et glousse bêtement en observant le dessin dessus. Un pauvre homme se fait tripoter les fesses par une bretonne. Cadeau de James quand il y est parti une semaine, il y a quelques mois.

Bien décidée à occuper mon temps avant l’heure fatidique d’aller bosser, je fais un coup de propre dans mon petit nid aux couleurs prune, et prends même la peine d’aller mettre en route une tournée de linge. Rudy vient se frotter à mes jambes, je le gratifie de quelques papouilles et lui sers à manger avant de filer sous la douche. Tout est encore bien trop silencieux à mon goût lorsque je sors de la salle de bain. Moi, le moral à moitié dans les chaussettes, ça pue. Ca m’arrive rarement, je suis du genre à toujours sourire, respirer le positif et l’insuffler, pas à faire la tronche comme ce matin, au point que je choisis d’enfiler un legging noir et un sweatshirt trop grand au logo des Red Hot. Ouais, ça sent mauvais.

Une seule solution pour arrêter de broyer du noir. Non, il y en aurait bien une autre, mais je n’ai pas envie de me retrouver dans la chambre rose barbie d’Aya, ce matin, alors je mise sur le propriétaire des lieux qui adore les matins câlins, même avec une nana. Ou au moins avec moi. Je traverse le palier et entrouvre la porte discrètement. Il est déjà réveillé, un livre à la main, et me sourit en tirant la couverture du côté libre du lit. Ni une, ni deux, je m’y glisse et me retrouve enfermée entre ses bras, poussant un soupir de bien-être qui le fait rire.

— Ce n’est pas moi qui t’ai réveillé, rassure-moi ?

— Non, non, ne t’inquiète pas. Tu vois, tu me surprends en train de lire une romance, tu ne le diras à personne, hein ?

— Hum, bougonné-je. Ça raconte quoi ? Encore une histoire où tout le monde souffre et où tout est bien qui finit bien, j’imagine.

— Eh bien, oui, mais c’est un peu ça, la vie, non ? Si on n’a pas de galère, on n’a rien à raconter et on ne se fait pas de souvenirs.

— Pas besoin de galères pour avoir des choses à raconter, si tu veux mon avis. J’ai toujours des trucs à dire, moi, et ma vie est belle !

— C’est pour ça que tu t’es habillée en sac à patates, ce matin ? Et que j’ai la chance d’avoir une fille sexy dans mon lit ?

— Mon rencard d’hier était une cata, sans même chercher l’amour, le mec était tellement différent de ce qu’il laissait voir dans nos échanges qu’il a réussi à me déprimer… T’imagines le résultat pour une fille qui rêve d’amour ?

— Et il a réussi à te tromper avec ses messages ? Pas mal, le mec. Tu devrais faire un article sur les gens qui savent mentir aussi bien ! Et si tu rêves d’amour, c’est vraiment sur les sites de rencontre que tu vas ?

— Crois-moi, le gars va prendre cher avec mon article. J’ai déjà commencé en rentrant, je doute que Véronique valide mais putain, ça m’a fait du bien de décharger.

Bon, il faudrait peut-être que je le relise, la Margarita a sans doute un peu parlé pour moi. Mais j’étais inspirée, et quand l’inspiration vient, plus rien d’autre ne compte.

— Quant à l’amour, certaines personnes pensent pouvoir le trouver via les sites de rencontre. Même Eliaz s’est laissé charmer hier soir…

— Ah ! Je commence à comprendre le problème… Tu crois qu’il s’est vraiment laissé charmer ou c’est juste parce que ça fait longtemps qu’une femme ne s’est pas intéressée à lui qu’il est un peu fragile et vulnérable à la première qui le fera ?

— J’en sais rien et ça me gonfle de me prendre la tête avec ça, ralé-je. Toujours est-il que je passais une soirée de merde et qu’eux s’entendaient super bien. Il la faisait rire, il souriait comme un benêt, et moi… J’étais jalouse. Moi, jalouse, James ! Tu te rends compte ?

Je crois que c’est ça, le pire, en vérité. N’ayant jamais de relations sérieuses, la jalousie n’est pas un sentiment que je connais. Il n’y a qu’à voir le comportement de Rémi quand nous avons dîné avec Eliaz et sa sœur. Il la draguait ouvertement, sous mes yeux, et ça ne m’a pas fait grand-chose. Si je n’ai pas couché avec lui ce soir-là, c’est juste parce que j’étais crevée et qu’il faut avouer que voir le mec qui finit dans ton lit en draguer une autre n’est pas forcément très excitant, mais en dehors de ça, je m’en foutais totalement. Alors cette émotion qui te prend aux tripes et te donne des envies de pleurer ou de hurler sur tout ce qui bouge, je n’arrive pas à la comprendre et à la canaliser. D’où mon état ce matin.

— Eh bien, c’est plus grave que ce que je croyais. Enfin, non, ce n’est pas si grave que ça, c’est surtout surprenant. Tu lui en as parlé ou comme pour le baiser, il est toujours aveugle ?

Ce baiser, bordel… sujet tabou ! Rien que d’y repenser, je me retrouve à devoir m’empêcher de sourire niaisement. Du grand n’importe quoi, je ne me reconnais pas et c’est flippant.

— On a débriefé après nos rencards, il était tout content qu’elle s’intéresse à lui. J’ai essayé de lui faire comprendre que ce n’était pas une simple exception, qu’il attirait les femmes sans même s’en rendre compte, mais tu as vu le phénomène, hein ? Bref… il est totalement aveugle.

— Il n’attire pas que les femmes ! Putain, ce type est canon ! Mais ne sois pas jalouse de moi, hein, se moque-t-il gentiment en me serrant plus fort contre lui, il n’a clairement aucune envie de se taper un mec, et toi tu as toutes tes chances. Tu devrais lui exprimer clairement que tu n’es pas contre envisager un truc avec lui, je suis sûr qu’il craquerait rapidement. Tu as vu comment tu es gaulée ? Et franchement, ces mèches de couleur, impossible d’y résister, ma Puce. Tu es la plus belle des plus belles !

— Wow, j’ai jamais dit que je voulais qu’il se passe un truc avec lui ! me rebellé-je en me redressant sur le lit. On bosse ensemble, t’es dingue ? Il m’insupporte la moitié du temps !

— Ouais, et l’autre moitié du temps, tu es jalouse et tu as envie de le mettre dans ton lit. Ça veut dire quelque chose, non ? Enfin, tu pourrais simplement fantasmer sur lui et voilà. Mais tu es jalouse… et ça, ça n’arrive pas quand on est indifférent envers quelqu’un.

— J’étais jalouse qu’il passe une bonne soirée avec sa blonde timorée parce que mon rencard était chiant au possible, c’est tout !

— Ah, excuse-moi, j’ai mal interprété… répond-il gentiment même si ses yeux trahissent son scepticisme. En tout cas, moi, je suis content de t’avoir dans mon lit. Tu sais que tu pourrais bien être la seule femme qui me ferait éventuellement envisager de changer de bord ? La liste de tous ceux qui te likent sur les SDR doit être longue comme la muraille de Chine, non ?

— Possible que j’aie pas mal de prétendants, oui, souris-je. Mais avec votre délire débile de préciser que j’aime tailler des pipes, tu peux en éliminer pas mal pour une relation sérieuse.

— Tu devrais l’enlever, alors, peut-être que ça t’aidera à trouver une vraie relation, si c’est ce que tu cherches désormais. Vous en avez encore pour combien de temps avant de devoir rendre votre copie à votre cheffe ? Tu vas garder un profil après ça ou revenir à des rencards de mecs croisés au bar ?

— En voilà, des questions pertinentes, soufflé-je. Il est trop tôt pour répondre à tout ça sans avoir bu un café, tu sais ? Je n’ai pas dit que je cherchais une relation. Ma vie me convient comme elle est, même si j’avoue qu’en y regardant bien, ces derniers temps, mes plans cul n’étaient pas que des histoires d’un soir… Tu vas te moquer si je te dis que je crois m’être un peu paumée en route ?

— Non, du tout. J’ai connu ça, moi aussi. J’ai enchaîné les partenaires, mais là, ça ne m’intéresse plus. Je crois que c’est ce qui arrive quand tu gagnes en maturité. Je suis sûr que tu vas vite trouver ton chemin et la voie qui te convient. Et si en attendant, tu peux profiter de ton footballeur lillois, d’un autre mec ou même de ton collègue, n’hésite pas. Le chemin n’en sera que plus agréable !

— C’est nul de devenir adulte, soupiré-je en le serrant contre moi. Bon, il va falloir que je me bouge, en parlant de la vie de grands, je vais finir par être en retard. Merci pour l’accueil, mon Chat. Et tu es toujours aussi confortable !

— C’est quand tu veux pour me faire découvrir une autre sexualité, hein. Tant qu’à être confortable, autant que ça me serve un peu ! Reviens quand tu veux, surtout, si tu as besoin, je suis là.

Je pouffe et le smack avant de filer me maquiller et me changer. J’abandonne le look total black, je crois que mes collègues ont compris que mes fringues allaient avec mon humeur et je n’ai pas envie que les regards soient encore plus poussés sur ma petite personne, aujourd’hui. C’est bien plus cool quand je les cherche !

Après un bon café et un pain au chocolat encore chaud ramené par Pierre après sa nuit de débauche avec je ne sais qui, j’arrive au bureau un peu retapée. Je savais qu’aller voir James était une bonne idée. Oh, évidemment, je n’ai pas toutes les réponses à mes questions et j’ai de bonnes raisons de me prendre la tête, mais au moins, je sais que j’ai une oreille attentive et un torse confortable sur lequel me reposer en cas de besoin. J’ai juste peur qu’il lise un peu trop facilement en moi. Évidemment que mes réactions par rapport à Eliaz m’interrogent, difficile de faire autrement.

Je balance mon habituel “Salut la compagnie”, passe par les différents bureaux pour dire bonjour à tout le monde, dépose bruyamment mon sac à main sur mon espace de travail au bordel organisé, dépose une bise sur la joue d’Hélène et me stoppe net en posant mes yeux sur le box d’Eliaz.

— Le breton avait un rendez-vous, ce matin ? demandé-je à ma collègue.

— Ah, je ne sais pas, moi. Il n’est pas venu ce matin, en tout cas.

Quoi ? Qu’est-ce qu’il me fout, là ? On est censés bosser sur nos articles Internet après ce premier rencard en fin de matinée !

J’allume mon ordi tout en farfouillant dans mon sac pour en extraire mon téléphone. Pas de nouvelles, ni par mail, ni par SMS. Je bougonne devant mon écran et hésite à le contacter, mais Véronique quittant son bureau alors que je suis sur le point de le faire, je préfère aller voir avec elle s’il l’a prévenue. Je me lève d’un bond, manque de me tordre la cheville avec ces foutus talons, et la suis comme un petit chien dans le couloir qui mène à la compta.

— Véronique, attends ! Bon dieu, t’es croisée avec Usain Bolt ou quoi ? grimacé-je alors qu’elle se tourne dans ma direction. Je cherche Eliaz, tu ne saurais pas où il est ?

— Ah, il ne t’a pas prévenue ? Il a pris quelques jours de congés. A priori, il a dit qu’il en avait vraiment besoin, je n’en sais pas plus. Il m’a assuré qu’il tiendrait ses délais, j’ai donc accepté.

— Sérieusement ? Et sans m’avertir ? Sympa, le travail d’équipe, marmonné-je. Les mecs sont vraiment tous des cons.

Je tourne les talons alors que son rire me parvient, et regagne ma place derrière mon bureau. Finalement, j’aurais peut-être dû garder mon sweat noir pour que personne ne m’approche aujourd’hui… Monsieur avait bien “besoin de congés”. Et pour quoi faire, au juste ? Et si… s’il avait rejoint la blonde après m’avoir quittée au bar ? Si ça se trouve, il est en marathon baise, cet abruti ! Ne manquerait plus que ça, tiens…

En tout cas, s’il pense que je vais le contacter pour qu’on bosse ensemble à distance, il se met le doigt dans l'œil. Et la prochaine fois que me viendra l’envie de le rassurer sur son sex appeal, je me mordrai la langue plutôt que de l’ouvrir. Et je fais quoi, moi, maintenant ?

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