31. Le plus beau des cadeaux

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Eliaz

Alors que j'arrive devant la porte de son immeuble, je me demande si c'est vraiment une bonne idée de débarquer comme ça, sans qu'elle soit au courant. J'ai hésité quand j'ai reçu le message de James, son colocataire, sur ma boîte professionnelle. Il est vrai que nous nous sommes bien rapprochés avec Adèle, surtout quand ses parents m'ont raconté plein d'anecdotes, mais de là à venir à son anniversaire, il y un nouveau pas à franchir. Et, si j'ai accepté, ce n’est pas parce que je sais que je vais me sentir à l'aise, bien au contraire, mais parce que je me suis dit que ça me ferait une occasion supplémentaire de la voir. Oui, j'en suis là. C'est fou.

Je sonne à l'interphone et James me fait entrer. Leur maison de ville n'est pas du tout comme mon appartement. La pièce de vie est pleine de couleurs partout et a un style plutôt moderne qui me plaît bien. J'entends la musique qui vient du salon et il semble y avoir du monde. En voyant la grande silhouette de Rémi, je regrette de ne pas avoir invité ma sœur, elle aurait pu le distraire plutôt que de le laisser libre de finir la nuit avec Adèle.

— Tu es sûr que je suis le bienvenu, j'ai l'impression de ne pas être à ma place…

— Bien sûr que tu es le bienvenu ! Tu passes plus de temps avec Adèle que ses colocs réunis, rit-il. Fais comme chez toi, mi casa es tu casa, amigo. Sers-toi à boire, mêle-toi à la foule, et si tu as peur, je t’ouvre mes bras avec plaisir !

— Ça ira, merci, je vais survivre.

Je n'ai pas le temps de continuer qu'il est déjà reparti et embrasse un jeune homme qui a l'air de l’accueillir avec plaisir. Vraiment, Adèle sait s'entourer de gens hauts en couleurs. Je la cherche des yeux mais ne parviens pas à la trouver. Je m'approche de la table et me sers un verre de jus d'orange que je peux facilement faire passer pour le punch qui est à côté, si besoin. Dans ce contexte, un peu d'alcool pourrait me faire du bien mais je préfère garder tous mes esprits pour ne pas faire de bourde. Une jeune femme m'aborde en souriant après avoir trinqué avec moi.

— Bonjour. Toi aussi, tu ne connais pas grand monde ici ?

La petite blonde a osé faire ce que j'ai tant de mal à concrétiser : parler à un inconnu. Elle n'est pas du tout mon genre, trop petite pour moi, mais elle va me permettre d'avoir l'air moins étrange.

— J'avoue que je suis un peu perdu. Eliaz, enchanté. Je suis un collègue d’Adèle.

— Séréna, enchantée également. Je suis dans la promo d’Aya et il m’arrive de passer mes soirées au bar avec la troupe de fous, sourit-elle.

Je ne sais pas quel genre de relation elle entretient avec Aya, mais vu la façon dont elle me dévore du regard et pose sa main sur mon bras, elle semble clairement intéressée par moi. Et dire que je ne l'aurais même pas remarquée il y a quelque temps ! Je n'ai pas l'occasion de poursuivre cette conversation car la Reine du Soir débarque dans le salon, les joues rouges, Rémi sur ses talons. Ma première réaction est un élan de jalousie qui me surprend car j'imagine qu'ils viennent de passer un instant agréable tous les deux, mais j'oublie vite tout ça quand son visage s'éclaire en m'apercevant.

Cette femme est vraiment superbe. Elle porte une robe rouge et noire dans son style pin-up habituel, tout en étant plus classe que d’ordinaire. La jupe bouffe grâce à plusieurs couches de tissu qui lui arrivent à mi-cuisses, sa taille est marquée, comme souvent, et sa poitrine est mise en valeur par un décolleté encore plus impressionnant que d'habitude. Tout le haut de son torse est nu et seuls ses seins sont recouverts d'un léger tissu rouge noué comme les rubans d'un paquet cadeau. Et, aussi appréciable sinon plus, je constate que son dos est lui aussi nu lorsqu’elle se retourne pour répondre à l’un des invités. Seul un nœud sur sa nuque maintient les bretelles de sa robe. Je crois que tous les mecs heteros présents n'ont qu'une envie, c'est de le défaire et découvrir toutes les merveilles qu'elle dissimule dessous. Elle porte un petit collier qui arrive juste à la naissance de ses seins et les reflets renvoyés par les spots de lumières sont hypnotisants. Je ne sais pas si ces reflets proviennent de son bijou ou de la barrette rouge qu'elle arbore dans ses cheveux colorés, elle est tout simplement à tomber.

— Bon, je vais te laisser, me dit Séréna qui semble avoir compris qu'elle ne fait pas le poids.

Je ne m'en préoccupe pas plus que ça et manœuvre pour me retrouver près de celle qui attire tous les regards.

— Bonjour Adèle ! Joyeux anniversaire ! lui dis-je en me penchant pour lui faire la bise.

Je suis content d'avoir bien taillé ma barbe car elle me caresse la joue avant de me faire une bise à son tour. Et j'espère qu'elle va apprécier la petite chemise bien serrée que j'ai choisie et où ma sœur a ouvert quelques boutons pour me rendre encore plus irrésistible, comme elle a dit.

— Merci, Eliaz. Je ne savais pas que James t’avait invité, mais je suis contente que tu sois là. On n’est pas au bureau, ça veut dire pas de dispute, ce soir, et je préfère ça, même si j’avoue que j’adore t’agacer, parfois !

— Impossible de me disputer là, il va plutôt falloir que je résiste à la tentation. Tu es splendide, moi, le journaliste, j'en perds mes mots. Cette robe te va à ravir et je crois que la moitié des présents ont envie de déballer le cadeau !

Je n'en reviens pas de parvenir à lui sortir ça. C'est comme si, en sa présence, j'oubliais ma timidité.

— Qui êtes-vous et qu’avez-vous fait de mon collègue ? s’esclaffe-t-elle en posant sa main sur mon front. Tu as de la température, tu es malade ? Est-ce que mon père a glissé Marie-Jeanne dans la poche de ta veste en partant du resto l’autre jour ?

Sentir sa main me toucher me donne envie de tellement plus… Qu’est-ce qui m'arrive là ?

— Non, ça doit être le punch… ou alors, c'est juste toi parce qu'en réalité, c'est juste du jus d'orange. Désolé, promis, j'essaie de fermer la bouche et de ne pas baver.

— Surtout pas, susurre-t-elle à mon oreille. Le nouveau Eliaz me plaît beaucoup, même si c’était déjà le cas de l’ancien.

Eh bien, elle veut ma mort là ! Je fais comment à lui résister si elle se met à jouer la femme fatale ?

— Le nouveau Eliaz ? J’ai tant changé que ça depuis hier ? demandé-je alors que je vois un gars que je ne connais pas se rapprocher du joli bonbon noir et rouge qui vient de passer sa main autour de mon bras.

— Il faut croire que la Bretagne t’a fait du bien, non ? Ou alors, j’ai arrêté de regarder le bout de mes talons… Je te trouve plus… je sais pas. Je crois que tu ne m’aurais jamais abordée comme tu viens de le faire il y a de ça quelques semaines, constate-t-elle avant de sourire à l’inconnu et de lui faire la bise sans lâcher mon bras. Salut Pedrito ! Contente de te voir, mon Chou ! Je finis ma conversation et je suis à toi, donne-moi quelques minutes !

J’adore voir la tête du gars qui est dépité de ne pas pouvoir accaparer Adèle tout de suite. Rémi un peu plus loin, me lance aussi des regards assez jaloux et, même si ça me fait plaisir, je me rends compte que jamais je ne ferai le poids face à tous ces hommes qui lui tournent autour. Je pense qu’on restera simples collègues, mais ça n’empêche pas de profiter de sa si charmante compagnie.

— Disons que tu m’as ouvert les yeux, vraiment. Et heureusement, parce que la vue est la plus délicieuse que j’aie jamais rencontrée, ajouté-je en lui lançant un regard appréciateur. Quel succès tu vas avoir avec une robe pareille et surtout le corps qui va avec. J’apprécie, c’est tout, et je suis content que James m’ait invité, ne serait-ce que pour ça.

— Eliaz… Je te jure que le changement est un peu trop brutal pour moi, là. Il me faut un verre, je crois ! Je rêve ou tu me dragues ouvertement ?

— Je te rassure, le changement n’est qu’avec toi, et vu le nombre de prétendants que tu as ce soir, jamais je n’oserais te draguer. Tu veux que je te serve quelque chose ?

— N’essaie pas de te comparer aux autres, mon Lapin. Ce n’est jamais une bonne idée, ça. Si je passais mon temps à me comparer avec tous ces canons de beauté aux tailles mannequin, il y a bien longtemps que j’aurais arrêté les robes moulantes au profit des sacs à patates. Et un moment que ma confiance en moi aurait été écrabouillée par tous ces pieds qui nous entourent. Tu sais que les cases me font chier, non ? Chaque être humain est unique et mérite d’être vu et entendu ! Bon, OK, peut-être pas un Trump ou un Poutine, mais chut, je suis censée être objective en tant que journaliste.

— Tiens, alors, tant que j’ai ton attention, je t’ai ramené un petit cadeau. J’espère qu’il te plaira. Bon anniversaire.

Je lui tends le petit paquet que ma soeur m’a aidé à faire, vu mon peu de talent sur ce plan, et suis ravi de voir son air surpris.

— Ce n’était pas nécessaire, tu sais ? Je… Merci ! sourit-elle en déposant un baiser sur ma joue qui me donne chaud comme jamais. Tu sais que je n’ai aucune patience et que je vais l’ouvrir tout de suite ?

— N’hésite pas, comme ça, je verrai immédiatement si ça te plaît ou pas.

Et ça me donne quelques secondes en plus où toute son attention est dirigée vers moi, ce que j’apprécie énormément alors que les autres mâles à proximité semblent s’impatienter.

— Viens avec moi sur la terrasse, je ne voudrais pas que tu te tapes la honte si je n’aime pas mon cadeau, pouffe Adèle en attrapant ma main pour me faire traverser la pièce en accordant le minimum d’attention possible à celles et ceux qui la saluent.

Je la suis et nous nous retrouvons à l’air libre. Il fait frais même si ce n’est pas encore un froid hivernal. J’essaie de ne pas fixer les tétons de ma collègue qui pointent sous sa robe qu’elle porte visiblement sans soutien-gorge, et me concentre sur ses mains qui sont en train d’arracher avec vigueur le paquet que j’ai pris tant de soin à faire. La prochaine fois, s’il y en a une, je sais que ça ne sert pas à grand-chose ! Elle jette le papier dans la poubelle extérieure et en sort une petite mosaïque en verre, en forme de croissant de lune multicolore.

— C’est une petite décoration pour mettre sur la vitre entre nos bureaux. Ou ici. Enfin… tu en fais ce que tu veux, ce n’est pas à moi de te dire ce que tu dois en faire, bégayé-je, tout à coup gêné par la grande proximité entre nos deux corps et l’absence d’autres personnes pour distraire mon attention de l’aura qu’elle dégage.

— J’adore ! Merci, elle est superbe. Je crois que je vais la laisser au bureau, Aya et James sont des catastrophes, ils risqueraient de la faire tomber ! Je ne te fais plus mal aux yeux avec toutes mes couleurs, c’est ça que tu insinues avec ce cadeau ? rit-elle.

Ce rire me donne une folle envie de l’embrasser mais je me contiens en me disant qu’il faut que je profite de ces quelques instants d’intimité qui ne vont pas durer.

— Je trouve que ça te ressemble, c’est tout. Une multitude de couleurs, des reflets qui éblouissent ceux qui te regardent, une étoile qui brille dans la nuit du bureau. J’ai tout de suite pensé à toi en le voyant.

Purée, pourquoi je sors tout ça, moi ? Je suis complètement fou. Et sans boire, en plus. Je crois que je préférais l’ancien Eliaz. Celui qui ne disait rien et ne risquait pas de passer pour un fou ou un pervers. Là, je crois que je suis allé trop loin et je fais un pas en arrière pour m’éloigner d’elle avant qu’elle ne se fâche.

— Eliaz, arrête de réfléchir et de te poser mille et une questions… Fais ce à quoi tu pensais, s’il te plaît, chuchote-t-elle presque timidement en effaçant la distance entre nous.

— Ce à quoi je pensais ? murmuré-je alors que déjà elle tend ses lèvres vers moi.

Impossible de résister à une telle tentation. Même si mon cœur se met à battre à trois cents à l’heure, même si j’ai l’impression de faire une énorme connerie, je me penche vers elle et pose mes lèvres contre les siennes. J’ai le sentiment que le reste du monde disparaît et qu’il n’y a plus que nous deux sur Terre, deux êtres si différents mais complémentaires, isolés sur une terrasse loin des autres. C’est un peu comme si tout tournait autour de nous pendant cet instant magique où ma partenaire se montre beaucoup plus entreprenante que moi et passe un bras derrière mon cou en venant faire jouer sa langue avec la mienne. C’est aussi magique que la première fois, lorsque j’avais les yeux bandés. Si je pouvais encore avoir un doute sur qui m’avait embrassé ce jour-là, je n’en ai plus du tout car les sensations sont du même niveau. Ce n’est pas un simple bécot que nous échangeons mais un véritable baiser de cinéma qui nous laisse tous les deux haletants lorsqu’enfin elle s’écarte de moi et frotte le rouge à lèvres qui s’est déposé au coin de mes lèvres. Je ne sais pas quoi dire à part que ce baiser m’a bouleversé et fait perdre tous mes moyens. Adèle semble elle aussi un peu secouée mais réagit beaucoup plus vite que moi.

— Eh bien, je suis sûre que ça, ce sera mon meilleur cadeau d’anniversaire !

Sans un mot de plus, elle se remet sur la pointe des pieds, vient à nouveau effleurer mes lèvres et s’éloigne de moi pour retourner à l’intérieur. J’ai l’impression que le bruit de la musique se fait à nouveau entendre, que l’air frais se fait à nouveau sentir. C’est comme s’il y avait eu une faille spatio-temporelle et que je me retrouvais brusquement de retour dans la réalité. Je retourne à l’intérieur et assiste en spectateur à la fête qui se déroule chez elle. Nous n’arrêtons pas d’échanger des regards et je suis content de la voir repousser gentiment tour à tour ceux qui tentent des approches auprès d’elle. Même Rémi qui a les mains baladeuses, se fait remettre en place, pour mon plus grand plaisir.

Lorsque le gâteau arrive et que tout le monde chante “Joyeux Anniversaire”, je me joins aux chanteurs mais voyant que toute nouvelle tentative d’approche est vaine, vu tous ceux qui lui tournent autour, je me décide à m’éclipser discrètement. Aya m’arrête cependant alors que je suis à la porte.

— Tu t’en vas déjà ?

— Oui, je crois qu’Adèle a tous ses amis autour d’elle, elle n’a pas besoin d’un collègue. En plus, je lui ai déjà remis son cadeau, je peux donc partir tranquille.

— D’accord… mais si tu es là, c’est que tu es plus qu’un collègue. Bon, je sais que James a dans l’idée de vous rapprocher, mais… je crois que tu as dépassé le stade du simple collègue quand même, objectivement.

Je me demande si elle nous a vus par la fenêtre et si c’est pour ça qu’elle m’aborde ainsi.

— Je ne sais pas, mais bon, quand elle remarquera que je suis parti, tu pourras lui dire que je la salue et que j’ai passé un bon moment, surtout sur la terrasse. Bonne soirée, Aya.

— Je me doute, oui, sourit-elle en me faisant un clin d'œil. Bon retour, Eliaz, je transmettrai le message.

Je sors en me demandant encore comment j’ai pu avoir la chance d’embrasser à nouveau Adèle. Sans les yeux bandés, c’était encore plus fort car je pense avoir deviné chez elle le même désir, le même plaisir à unir ses lèvres aux miennes. Je ne sais pas comment on va faire pour bosser ensemble, désormais, mais ce soir, je m’en moque. Je suis heureux, toujours un peu sur cette autre planète que j’ai trop brièvement fréquentée. J’ai embrassé une étoile et je pense que ça va me faire planer toute la nuit.

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