37. Remises en question
Eliaz
Adèle est sortie pour la pause du midi. J’ai cru un moment qu’elle allait me demander de la suivre pour travailler ensemble sur l’article dans le restau de son oncle mais elle est partie sans même me regarder. Le message est on ne peut plus clair. C’était vraiment pour une nuit, quoi que j’aie pu m’imaginer. Des fois, je suis vraiment con quand même. C’était juste un moment de plaisir pour elle. Une baise pour parler crûment. Une simple baise. Pourquoi me suis-je imaginé autre chose ? Parce que c’était le meilleur sexe de ma vie ? La bonne blague, vu mon peu d’expérience, ça n’est pas étonnant. Ce n’est pas ce que j’ai vécu avec Marie qui peut me servir de comparaison.
J’ai dû lui paraître pathétique. Adèle a vraiment dû se dire qu’elle me rendait un service en me déniaisant, et maintenant que c’est fait, elle est déjà passée à autre chose. Avec tous les mecs qu’elle s’est tapés, je ne suis qu’un de plus sur sa liste. Alors que pour moi, c’est LA femme. Enfin, je m’emballe sûrement. Comme j’ai pu le faire avec Marie toutes ces années. Finalement, cette expérience, ça me montre que le problème, c’est moi. Dès qu’une femme me montre de l’attention, je me vois déjà marié et amoureux. Je ne sais pas comment Adèle fait, mais il faudrait que je sois plus comme elle. Le sexe sans sentiment, ça a du bon, non ?
Lorsqu’elle revient, elle s’installe comme elle le fait souvent, sur le coin de mon bureau. Pour elle, c’est vraiment comme si rien ne s’était passé la nuit dernière et je n’en reviens pas de sa capacité à passer à autre chose. Je suis incapable de le faire moi.
— Oui, Adèle, tu as un truc à me dire ?
— On fait comme la dernière fois, pour le troisième rencard ? Enfin, pas le double date, mais… tu choisis le mien, et moi le tien ?
— Non, je vais te laisser choisir ton mec, tu es aussi capable que moi de te trouver un barbu. Moi, j’arrête là. Je… j’ai besoin de temps pour passer à autre chose, je crois, et là, ça serait juste une torture de voir une autre femme. Je n’ai pas envie de lui faire passer une mauvaise soirée, tu vois ?
— Sérieusement ? Mais… et le boulot ?
— Eh bien, j’ai assez de matériel pour écrire, là. Et puis, je ferai une partie sur ceux qui n’ont plus envie d’aller sur ce genre de sites pour rencontrer l’Amour. Tu vois, on va rebondir, tu n’as pas à t’inquiéter, l’article sera écrit.
Les rôles ont l’air d’être inversés, là. C’est elle qui pense boulot et moi qui ne pense qu’à moi. J’espère que ça veut dire aussi que pour moi, ce sera super facile de rédiger ma partie et qu’elle va galérer, ce serait drôle si c’était le cas.
— OK, eh bien je vais caler mon dernier date en fin de semaine, comme ça on pourra boucler ce fichu article une fois pour toutes.
— Tu penses vraiment que le troisième sera complètement différent ? Cela va t’apporter quoi ? Un nouveau mec à te mettre sous la dent ? Remarque, vu comment tu es au lit, tu vas faire un chanceux.
— Et ? Ça te pose un problème ? chuchote-t-elle en me fusillant du regard. Ne me juge pas, les mecs sont au courant de ce que j’attends. Et tu l’étais aussi.
— Moi, je l’étais ? Euh… si tu le dis… Et non, je ne te juge pas, je t’envie. Je… je suis dans l’impossibilité d’agir comme tu sembles être capable de le faire, et je crois que c’est ça, mon problème. C’est pour ça que je ne veux pas tenter le diable avec une autre.
— Faut que tu te blindes, Eliaz. Enfin… non, reste tel que tu es, après tout, c’est comme ça qu’on t’a élevé. Je ne dis pas que j’ai la bonne façon de penser ou de vivre, et encore une fois, je suis désolée.
— Ne sois pas désolée, j’ai passé la plus belle nuit de ma vie. Dans quelque temps, ça me fera un merveilleux souvenir. Et en attendant, on a du boulot à faire, non ? Tu vas chercher le troisième sur le dernier site ? Celui où on n’est pas beaucoup allé avec les questions ?
Putain que c’est dur de rester professionnel avec elle à mes côtés. En plus, elle est encore à croquer là. Sa proximité m’est difficile à vivre et je dois faire un effort surhumain pour ne pas me laisser enivrer par l’odeur de son parfum qui me rappelle notre nuit de jouissance ou être distrait par sa tenue qui me donne juste envie de la déshabiller et lui faire l’amour, là, sur le bureau, aux yeux de tous.
— Oui, je pense que le test de compatibilité est plutôt intéressant à exploiter, en fait. Ce serait peut-être le site le plus crédible, au final, tu ne penses pas ? Des profils proposés en fonction de ses goûts, de ses points communs…
— Parce qu’il faut se ressembler pour s’aimer ? Je ne sais pas, je ne suis pas forcément convaincu. C’est vrai que ça doit éviter les disputes, mais vivre tout le temps avec quelqu’un qui est toujours d’accord, ça doit être ennuyeux à la fin…
— J’en sais rien, je vis avec des colocs avec qui je partage pas mal de points communs et je ne m’ennuie pas. Pour le reste… je te l’ai dit, je n’ai jamais été en couple, donc aucune idée.
J’ai une folle envie de la décourager d’aller sur ce site. Je crois que j’ai peur qu’elle y trouve quelqu’un qui lui ressemble tellement qu’elle finisse par se mettre en couple avec lui. Si un autre réussit là où j’ai échoué, ce sera terrible pour mon égo. Et ma confiance en moi. Parce que franchement, j’étais au septième ciel pendant cette nuit en sa compagnie. Je ne pensais pas qu’on pouvait vivre une telle jouissance. Et malgré l’intensité de tout ce que j’ai ressenti, je ne suis arrivé à rien à la fin. Il doit vraiment y avoir quelque chose qui cloche chez moi.
— Qui sait ? finis-je toutefois par dire. Tu vas peut-être tomber sur un barbu qui est compatible et tu changeras d’avis ? On pourra faire une conclusion sur le fait que les SDR, c’est le top.
Je sais que mon ton est un peu amer, mais je fais des efforts et je ne peux pas aller plus loin. Tant pis si ça ne lui plait pas, je suis au maximum de mes capacités, là.
— Les sites de rencontre, c’est de la merde, marmonne-t-elle. Je te rappelle que mon premier date a passé son temps les yeux dans mon décolleté en faisant des allusions sexuelles, que le tien t’a ghosté, et que nos seconds rencards sont sans doute partis ensemble après nous avoir superbement ignorés. Si ça se trouve, c’est l’idée de l’amour même qui est de la merde d’ailleurs. Je ne comprendrai jamais comment mes parents ont fait pour se trouver, ma seule explication c’est qu’ils fument de l’herbe quotidiennement et que ça grille suffisamment leur cerveau pour qu’ils ne se chamaillent pas et restent ensemble.
Je ne peux m’empêcher de sourire en écoutant sa tirade.
— Eh bien, tu sais ce qu’il te reste à faire avant ton prochain rendez-vous, tu y vas après plusieurs joints et hop, c’est dans la poche ! Et je ne peux pas te laisser dire que l’Amour, c’est de la merde… C’est tellement beau et fort, soupiré-je en m’autorisant à nouveau à la regarder pour profiter de sa beauté. Tant pis si ça fait mal plus tard.
— Ah ouais ? Comment tu peux penser ça alors que tu m’as dit que ton père était seul depuis des années ? Comment tu peux penser ça alors que ton premier amour t’a abandonné ? Tu ferais mieux de profiter de la vie, au moins, pas de souffrance.
— La souffrance, ça permet de se sentir vivant, tu sais ? Et peut-être que j’ai déjà croisé la route de mon deuxième amour et qu’il me suffit maintenant de réussir à la retrouver ? C’est un bel espoir, ça.
— Le sexe aussi, ça permet de se sentir vivant, mon Lapin ! Et quand le mec est doué, c’est bien meilleur que la souffrance.
Je prends ça comme une critique sur la façon dont ça s’est passé avec moi. Elle n’a pas dû se sentir assez vivante avec moi parce que je ne suis pas assez doué. Sans expérience, le contraire aurait été surprenant, mais ça fait mal quand même.
— Hep, m’interpelle-t-elle en claquant des doigts sous mon nez. Ne va pas te faire d’idées ou je ne sais quoi, je te l’ai dit, c’était génial. arrête de te flageller, c’est moi, pas toi. Bon… je te laisse bosser, je vais aller chercher mon date…
Et en plus, je lui fais pitié… Elle se sent obligée de me rassurer, c’est que je dois vraiment avoir l’air au fond du trou. Il va vraiment falloir que je fasse un effort et que j’oublie tout ce qu’elle m’a fait ressentir.
— Moi, je vais rentrer chez moi, je serai plus efficace qu’ici. Bonne chasse et à demain.
— OK… Eh bien, à demain, cher collègue, et bonne soirée, soupire-t-elle en regagnant son box.
Je la suis des yeux et admire ses courbes harmonieuses, sa façon de marcher si particulière car elle dégage une telle présence que c’est impossible de détourner le regard. C’est fou ce que je ressens et j’ai beau essayer de me raisonner, je n’arrive pas à me défaire de l’idée que je suis amoureux. Je rassemble mes affaires pour me redonner une certaine contenance, m’éclipse du bureau rapidement pour éviter de recroiser son chemin et à nouveau me prendre des remarques sur mon côté pas doué ou des gentillesses hypocrites pour essayer de me remonter le moral.
A la maison, j’essaie de me mettre sur l’article, mais c’est impossible de me concentrer. Dès que j’écris un ou deux mots, j’ai des images d’Adèle qui s’imposent à mon esprit. Adèle nue dans mon lit, Adèle nue sous la douche, Adèle habillée sur mon bureau, Adèle ici, Adèle là, Adèle en train de jouir, Adèle en train de gémir. Adèle. Adèle. Adèle. Il faut que j’arrête avec cette folle litanie sinon je vais finir à l’asile psychiatrique moi.
Je repousse toutes mes affaires et ferme mon ordinateur. Pour penser à autre chose, je me décide à me mettre en cuisine pour préparer quelques galettes qui feront plaisir à ma sœur au moins. Celle-ci, quand elle rentre de ses cours, me saute d’ailleurs au cou en voyant que j’ai préparé une spécialité de chez nous.
— Eh bien, quel retour ! Toi aussi, ça te manquait, des bonnes galettes au beurre ?
— C’est toi qui m’as manqué ! La soirée d’hier n’était pas aussi cool que prévue, j’aurais dû rester à la maison. Mais… ça sent bon et j’ai une faim de loup, j’avoue.
— Toi aussi, tu as été déçue par ton partenaire d’un soir ? ne puis-je m’empêcher de lui demander.
— Ouais, il n’était vraiment pas… Attends, quoi ? Qu’est-ce que tu viens de dire ? Partenaire… partenaire de rencard ou… t’as fini à poil ?
— Disons que j’ai fini plus qu’à poil mais que finalement, c’était juste une baise d’un soir alors que je croyais déjà au grand Amour. Tu vois, je suis un éternel romantique, et baiser pour baiser, ce n’est pas mon truc. Je ne sais pas comment vous faites, vous, les femmes, pour y arriver.
— Tu sais bien qu’en général ce sont les mecs qui kiffent ça, rit-elle. Tu as passé une bonne nuit ?
— Moi, j’ai passé la meilleure nuit de ma vie, avoué-je, mais vu qu’elle ne veut pas recommencer, la réciproque ne doit pas être vraie. C’est pour ça que je pense que j’ai dû la décevoir, tu vois ?
— Ça ne veut rien dire. Si c’est une adepte du One shot, que tu aies été bon ou pas ne change rien. Elle a eu l’air de prendre son pied ? Elle t’a fait une remarque ?
— Non, pas de remarque. Elle a eu pitié et elle a dit que c’était génial. Je devais avoir l’air vraiment lamentable pour qu’elle en arrive là.
— Ou alors c’était vraiment génial. Pourquoi elle t’aurait menti ? Elle s’en fiche de te vexer après tout. Et vous avez… remis le couvert plusieurs fois, cette nuit ?
— Tu es bien curieuse ! rétorqué-je alors qu’elle met la table sans cesser de m’observer.
— C’est pour toi que je pose la question. Si vous avez bai… Enfin, tu vois, quoi, une seule fois, peut-être que tu n’as pas été à la hauteur. Si elle t’a sauté dessus dans la nuit… ou ce matin… c’est qu’elle a aimé.
— Eh bien…
Je ne peux m’empêcher de rougir un peu.
— Disons que pour moi, c’était le meilleur sexe de ma vie et qu’on a effectivement remis le couvert plusieurs fois. Mais si elle avait vraiment aimé, on aurait continué, pas possible de se passer de tant de sensations.
— Eliaz, soupire Nolwenn.
— Ne t’en fais pas, sœurette, ça va aller. On se les mange, ces galettes ? Sors le fromage et les champignons et parlons d’autre chose, d’accord ?
— Non, je pense qu’il faut vraiment que tu comprennes qu’une personne qui ne veut pas s’impliquer ne reviendra pas vers toi même si le sexe était génial. C’est comme ça, pas autrement. Ça n'a rien à voir avec toi.
— Bon appétit, mangeons tant que c’est chaud.
Nolwenn lève les yeux au ciel devant mon absence de réponse et le fait que j’ignore sciemment ce qu’elle est en train de me dire. Mais même si j’agis comme si ce qu’elle disait était du grand n’importe quoi, ses mots me rassurent vraiment. C’est vrai qu’elle en a redemandé encore et encore, qu’elle était aussi gourmande et pleine d’envies que moi, que nous en avons profité jusqu’au bout avec cette douche d’une sensualité extrême. Mais elle pourrait vraiment s’en satisfaire juste pour une question de principe ? Et si j’essayais de la convaincre de me redonner une deuxième chance ? Peut-être que j’arriverais à la convaincre de ne pas s’enfuir et de tenter quelque chose de nouveau pour elle ? Ai-je vraiment le droit de rêver à ce genre de choses ?
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