39. Entre Domina et deuxième chance
Eliaz
Je relis la première version de l’article que j’ai écrit ce matin, en me levant tôt et j’en suis plutôt satisfait. Je ne sais pas pourquoi ou comment, mais des fois, l’inspiration frappe à la porte et il faut lui ouvrir et lui laisser toute la place. Les mots se sont enchaînés, les idées se sont succédé, et tout ça sans que je m’y attende. Peut-être que c’est parce que j’ai libéré mon esprit d’une certaine charge psychique en me donnant comme objectif d’obtenir une deuxième chance auprès d’Adèle, mais j’ai dormi comme un loir et je me suis réveillé prêt à renverser le monde.
Autour de moi, il n’y a pas encore grand-monde qui est arrivé. Je suis souvent l’un des premiers mais là, j’ai fait fort et je peux apprécier le calme de cet open space qui peut être désagréable quand tout le monde est présent et utilise son téléphone ou papote. J’en profite pour m’amuser à me balader sur les sites de rencontre sur lesquels nous devons écrire. Je ne pense pas que je vais découvrir beaucoup de choses nouvelles, mais je fais mon curieux et profite que nos abonnements sont encore valides pour faire un peu de lèche-vitrine.
Ce qui ressort de cette observation n’est pas fameux. Il y a évidemment plein de profils tout à fait normaux, de gens qui cherchent vraiment et je pense que certains doivent trouver. Mais dans l’ensemble, je retire de cette observation qu’il existe chez beaucoup de monde un grand sentiment de tristesse et de solitude. Quelques personnes ont vraiment l’air désespérées et c’est presque pathétique. Ajouté à cela, il y a une floppée de faux profils et c’est compliqué, lorsqu’on ne paie pas, d’éviter cette foultitude de femmes africaines qui cherchent à séduire un blanc riche et crédule ou de femmes qui ont l’air tout droit sorties d’une revue Playboy, avec des courbes de mannequin, des yeux photoshopés à mort et qui, sans même qu’on ait à le demander, donnent toutes leurs coordonnées sur les réseaux sociaux. Il y a aussi, et je me dis que je suis sûrement un peu dur et un peu méchant, toutes ces femmes qui ne savent pas du tout se mettre en valeur, qui affichent leurs têtes de si près qu’on peut voir tous leurs boutons, ou de si loin qu’elles pourraient être Marylin Monroe ou une vamp. Il y en a même une qui a posté une photo sur son siège de toilette. Vive la séduction et le romantisme.
J’ai essayé de faire ressortir tout ça dans mon article, mais en y laissant une vraie touche d’espoir. Si on paie, si on s’investit dans son profil, on peut faire des rencontres et ce côté démultiplicateur de rencontres, c’est un vrai atout pour trouver LA bonne personne. Ou en tout cas, une personne qui puisse convenir dans l’ensemble.
Lorsqu’Adèle arrive, je quitte un instant mon travail pour l’observer. Je ne fais même pas l’effort d’être discret, je la mate et profite du petit show qu’elle nous offre comme chaque matin. Elle a l’air de bonne humeur et respire comme d’habitude la joie de vivre. Aujourd’hui encore, c’est elle qui apporte la touche de couleur et de fraîcheur dans les bureaux de la rédaction. Elle porte une longue robe vert pomme qui devait être à la mode dans les années soixante, ces années un peu folles où les femmes pouvaient montrer et mettre en valeur leurs corps sans se soucier de ce que pouvaient penser les autres. Je ne sais pas ce qu’elle a fait avec ses cheveux et je la laisse s’approcher pour voir qu’elle a utilisé un crayon papier pour faire un noeud que je trouve très sophistiqué avec sa chevelure et qui lui donne l’air plus jeune qu’elle ne l’est réellement.
— Bonjour chère collègue, tu rayonnes, aujourd’hui comme hier ! Bienvenue à ton humble bureau, lui dis-je en souriant et en luttant contre mon instinct naturel de me replier sur moi-même.
Si je veux l’avoir, cette deuxième chance, il faut que je lutte contre ce naturel et que je réussisse à exister comme elle m’a permis de le faire lorsqu’elle s’est offerte à moi, que nous avons fait l’amour. Elle a dit qu’elle avait réveillé le Tigre qui était en moi, il faut que je m’appuie sur ça.
— Salut cher collègue ! Tu es là depuis longtemps ? Tu me sembles bien trop réveillé et en forme pour une heure si matinale !
— Eh bien, disons que je joue sur cet avantage pour t’accueillir avec le sourire et le secret espoir que tu seras tellement époustouflée par ma vivacité d’esprit que tu souhaiteras toi aussi oublier ton troisième rencard pour te consacrer à celui qui en vaut vraiment la peine.
— Oh… Je… Qu’est-ce que tu t’es mis en tête au juste, Eliaz ? soupire-t-elle
— Mais rien, voyons. Enfin, je te mets juste en tête que si la première fois n’était peut-être pas si exceptionnelle que ça pour toi, on pourrait en envisager une deuxième. Qui sait ? En changeant tes principes, tu pourrais être surprise !
Je suis content de l’attaquer sur ce sujet à son arrivée et j’espère que son cerveau encore un peu endormi sera moins réactif que quand elle est bien en forme et que ça fuse dans tous les sens.
— Pas si exceptionnelle ? Tu as besoin que je flatte ton ego de bon matin, c’est ça ? rit-elle.
— Oui, flatte, ce sera toujours ça de pris, la contré-je sur le ton de la rigolade pour essayer de lui faire croire que tout ça, c’était une blague. Tu pourras aussi me flatter sur la partie que j’ai rédigée ce matin. Je te la ferai lire une fois que tu auras fait la tienne, tu verras, c’est du tonnerre !
Et hop, on revient sur le boulot et on change de sujet pour éviter de plomber l’ambiance. Je deviens un vrai stratège !
— Hum… Entendu. Je pense inviter mon numéro trois en début de semaine prochaine, finalement, alors compte sur moi pour te filer ma partie mercredi, j’imagine. Tu es sûr de ne pas faire de troisième rencard, toi ?
— Oh qui sait ? Si un profil me plaît vraiment, je pourrais faire une exception, peut-être. Je continue à regarder sur les sites, tu vois ? lui expliqué-je en montrant mon écran d’ordinateur. Mais je ne suis pas prêt à reprendre le jeu de la séduction pour n’importe qui. Tu as mis la barre haute, quand même, avoué-je en lui souriant.
— A quoi tu joues, ce matin ? Qui es-tu et qu’as-tu fait de mon collègue ?
— J’ai pris des bonnes résolutions, je vais essayer de les tenir. C’est le début de ma nouvelle vie. Comme quoi, les SDR, ça peut avoir du bon, non ?
J’ai hésité à rester sur le même ton car elle m’a renvoyé à mes doutes et mes interrogations, mais je me dis qu’il faut que j’arrête de réfléchir, que je combatte ma timidité et que je m’affirme. Surtout face à elle. Après la nuit qu’on a passée et où je me suis littéralement mis à nu et plus philosophiquement devant elle, ça devrait être possible.
— Il faut croire qu’il y a du positif même dans les échecs, oui… A défaut de vivre de bons rencards, tu arrêtes de te planquer derrière ton écran ? J’aime ça.
Oh, elle aime ça ! C’est trop pour moi, là. Je crois que je rougis et je lui fais un rapide sourire avant de reprendre ma navigation sur le site avec toutes les questions. Elle s’installe à son bureau et met un peu de musique. Je reconnais la bande originale d’un film et commence à bouger en rythme derrière mon écran.
— C’est pas très moderne, tout ça, lui lancé-je en souriant. Ahah ! Ahah ! Tell me more, chantonné-je avec la chanson de Grease.
— Et alors ? La mode et le moderne ne veulent pas dire que c’est bien ! Parfois, c’est même archi chiant.
— Là, ce n’est pas chiant du tout en effet, choupapa, choupapa, continué-je toujours en chantant. Oh viens-voir ça ! m’arrêté-je en me redressant sur mon fauteuil avant de fermer la fenêtre que je venais d’ouvrir sur le site.
Incroyable… Je me demande si j’ai bien vu ce que j’ai vu. Ce serait trop drôle.
— Quoi ? T’as flashé sur une nouvelle blonde ? me demande Adèle en s’installant sur le rebord de mon bureau.
— Oh oui ! Et elle est trop belle ! répliqué-je en m’assurant que personne ne prête attention à nous avant de rouvrir la page. Regarde, ce n’est pas le summum de la beauté et de la sensualité ? ajouté-je en essayant de garder mon sérieux. Je crois que j’ai trouvé mon troisième date, là !
— Oh mon Dieu mais… s’écrie-t-elle avant de chuchoter, c’est Véronique ! Fais défiler, je veux tout savoir !
— Tu parles que je vais faire défiler ! Moi aussi, je veux tout savoir. Regarde, elle cherche des coups d’un soir. C’est une chaudasse, notre cheffe ! rigolé-je. Elle veut jouer la Dominatrix ! Je te jure que ça va être trop chaud, mon troisième rencard.
— Hé ! ronchonne Adèle en me donnant une tape derrière la tête. Tout de suite, dès qu’on aime s’amuser, on devient une chaudasse ?
— Tu ne peux pas dire que c’est commun comme fantasme, quand même ! Regarde, elle dit qu’elle est ici à la recherche de sexe. C’est une femme libérée, si tu préfères. J’ai l’impression qu’elle n’a pas beaucoup de tabous !
— Mon Dieu, je ne sais pas comment je vais pouvoir la prendre au sérieux après ça, glousse ma collègue. Je vais l’imaginer avec un fouet à la main et une tenue de catwoman sexy en réunion…
— J’ai presque envie de créer un faux profil pour la pousser à en révéler encore plus. Regarde, elle a marqué ici qu’elle a déjà fantasmé sur un collègue. Tu crois que c’est sur moi ? Oh que ce serait drôle si c’était le cas ! Non, c’est sûrement sur toi, en fait, dis-je après une courte réflexion. J’en mettrais ma main à couper vu comment tu es sa chouchoute.
— Fais pas ça, c’est pas cool. Et je ne suis pas sa chouchoute, juste la meilleure ici, c’est tout. Sois pas jaloux, mon Lapin !
— Ecoute, je vais te proposer un deal pour le troisième rencard. Soit c’est elle que j’invite pour me soumettre à ses désirs, soit c’est avec toi que je passe cette soirée. Tu vas bien vouloir me sauver du fouet, non ? essayé-je à nouveau, plein d’espoir.
— J’espère que tu as la peau dure, mon Lapin. Un fouet, c’est pas une petite tape sur la fesse. J’ai hâte de te voir galérer à t’asseoir, tiens !
Purée, elle préfère que j’aille me faire fouetter plutôt que de me revoir en rendez-vous. Je pourrais insister encore, mais si je le fais, je vais passer pour le lourdingue de service et c’est clairement quelque chose à éviter. Tout à coup, ce nouveau rejet me fout un coup au moral assez inattendu par son intensité et je perds un peu de ma superbe.
— Oui, ce n’est pas une bonne idée, conclus-je sobrement. Je vais me remettre à mes recherches, ça vaut mieux. Et comme le dit l’adage, mieux vaut être seul que mal accompagné.
— Le dernier site est pas mal, honnêtement. Tu devrais essayer.
— J’essaie, j’essaie, avoué-je doucement. On n’est jamais à l’abri d’une surprise, mais je crois que l’Amour, ce n’est juste pas fait pour moi. Qui veux-tu qui soit compatible avec moi ? Je crois que cette femme n’est pas encore née et que quand elle aura l’âge d’être draguée, je serai trop vieux pour l’intéresser.
— Je te souhaite de la trouver, si c’est ce que tu cherches vraiment… Je crois qu’elle aura de la chance de partager ta vie, même si tu peux être incroyablement désagréable, me lance-t-elle avec un clin d'œil en regagnant son bureau.
Moi ? Désagréable ? N’importe quoi. Quelle image elle a de moi, c’est fou. Quoique… Elle a dit que ma partenaire aura de la chance, non ? Si ça, c’est pas une ouverture ! Deuxième chance, tu n’es pas loin ! Je vais l’avoir à l’usure, c’est sûr.
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