40. Pourquoi baiser quand on peut aimer ?

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Adèle


Je sors des toilettes, me lave les mains et ébouriffe un peu mes cheveux pour leur donner du volume. L’ambiance plutôt moite de ce vieux pub a foutu en l’air mes ondulations, et ma robe moulante en laine légère me colle à la peau.

En regagnant la salle, je m’arrête à quelques mètres de la table et observe ma petite gothique préférée, Juliette, littéralement sur les genoux de son boyfriend, Edouard, et en train de lui lécher les amygdales. Ils sont mignons, tous les deux, mais ils n’arrêtent pas. C’en est… dérangeant ? Fatigant ? Rageant ? Ouais, ça me gonfle un peu. Je pourrais presque me croire jalouse. Mais pourquoi le serais-je ? Le dos large et musclé de Rémi est lui aussi présent, moulé dans une chemise bordeaux qui lui va à ravir. Son sourire est toujours aussi adorable, ses beaux yeux toujours aussi envoûtants, et ses belles et grandes mains… bien baladeuses. Sauf que ça ne me fait pas l’effet recherché, ce soir. Je dois être crevée, je ne vois pas comment je peux rester de marbre avec lui, ça me tue. Moi, un problème de libido ? Impossible. Je ne suis pas une chaudasse, comme pourrait me qualifier Eliaz vu son avis sur les femmes qui profitent de la vie, mais je ne dis jamais non à une petite nuit de plaisirs, d’ordinaire.

Je souffle un bon coup et vais me réinstaller sur la banquette, près de mon rencard du soir à ne pas comptabiliser pour l’article qui occupe un peu trop d’espace dans ma vie ces dernières semaines, et profite de l’apparition d’un nouveau Mojito devant moi pour me rafraîchir un peu. Rémi ne tarde pas à revenir envahir mon espace vital, sa main se pose sur ma cuisse et remonte jusqu’à la limite de mes bas. Un sourire entendu plaqué sur le visage, son pouce caresse ma peau, réveille mon épiderme sans pour autant me chambouler comme d’ordinaire.

— Dites, vous pourriez vous décoller cinq minutes ? soufflé-je en direction des amoureux. Si je remonte à Lille et passe la soirée avec ma meilleure amie, c’est pour discuter avec elle, pas la mater en plein concours d’apnée…

— Pourquoi tu ne fais pas pareil ? Tu veux parler de quoi ? me demande-t-elle en continuant à passer sa main dans les cheveux de son petit copain.

— Si je te fais chier, dis-le, ça ira plus vite et on rentre chacun chez soi, marmonné-je, blasée.

— Eh bien, qu’est-ce qui t’arrive ? me demande-t-elle, soudain inquiète.

— Je dois avoir une bonne raison pour vouloir discuter avec toi ? C’est juste que ça ne servait à rien de se voir à quatre si on passe notre temps à se galocher chacun dans son coin, ma Poule.

Possible que je sois un peu contrariée, oui. Je sens que je vais écourter cette soirée et rentrer m’imprégner de l’ambiance Marie-Jeanne chez mes parents. En fait, je crois que je n’ai pas la tête à socialiser, ce soir, ni même à baiser.

— Toi, tu es jalouse. Tu veux que je te galoche aussi ? se marre-t-elle. Tu as des soucis au boulot ou ça va ? Tu as l’air un peu tendue.

— Y a bien longtemps qu’on a arrêté de se galocher, toutes les deux, ris-je. Je… je crois que j’ai hâte d’être en vacances pour la première fois de ma vie depuis que j’ai posé un pied dans le monde du travail. Trop de pression avec cet article sur les sites de rencontre.

— Vous n’avez toujours pas terminé ? Eliaz traîne la patte ou quoi ?

— Il ne veut pas faire son troisième rencard depuis qu’on a couché ensemble.

Merde, c’est sorti tout seul. Je m’étais pourtant promis de ne rien dire. Pourquoi ? Aucune idée… Je ne me suis jamais cachée avec Juliette, et Rémi est toujours en contact avec la sœur d’Eliaz… Je voulais me taire et c’est carrément raté, pour le coup.

— Ah ouais ? Eh bien, c’est que tu l’as marqué, se moque mon amie.

— C’était comment ? demande Rémi en plissant les yeux.

— Il te faut les détails ou te dire que c’était génial suffit ? questionné-je Rémi dont la main s’est crispée sur ma cuisse.

— Non, ça ira, grommelle-t-il.

— Génial, rien que ça ? Tu entends ça, mon Choupinou, explique mon amie à son mec, il baise aussi bien que toi, son collègue !

— Bref… Je vais rentrer chez mes parents, j’ai un début de migraine, désolée, Beau Gosse, mais ce sera chacun chez soi, ce soir.

— Vraiment ? Déjà ? Mais, c’est pas cool pour Rémi, ça, dit Juliette. Rémi, tu restes, non ? On va s’occuper de toi, si tu veux.

J’observe Rémi une seconde et son intérêt soudain pour Ju. Putain, mais qu’est-ce que je fous avec un mec qui s’intéresse à tout ce qui bouge ? D’abord la sœur d’Eliaz alors qu’on était tous les deux au restaurant, maintenant ma meilleure amie pour un plan à trois… J’ai soudain la sensation de ne pas me respecter moi-même. Rémi est gentil, attentionné, bon au lit, y a pas de doute, mais en dehors de ça, il s’en fout totalement que je finisse dans son pieu ou pas, apparemment.

— On s’appelle la prochaine fois que je monte, Ju. Edouard, prends soin de ma meilleure amie, dis-je en leur faisant la bise. Rémi… merci pour ces bons moments, mais je crois qu’on va s’arrêter là, tous les deux.

Voilà, c’est bien, Adèle. Respect.

— Tu as mon numéro, tu m’appelles quand tu veux. N’hésite pas, surtout, me répond-il en me souriant, sans vraiment se préoccuper de cet arrêt.

Je sors du pub en dégainant mon téléphone pour effacer son numéro. Ça vaut mieux comme ça. Si je venais à l’appeler un soir de faiblesse, je m’en voudrais par la suite. Je ne suis pas comme ça. Jalouse ou pas, je mérite un réel intérêt, non ?

J’essaie de m’en convaincre en attrapant l’un des derniers bus en direction de La Madeleine. Je déteste me balader seule en ville, la nuit, tout comme je déteste les transports en commun. Est-ce que je reste près du chauffeur ? Oui, assurément. Suis-je une pétocharde ? Clairement, et je l’assume. Avec toutes les histoires sordides qu’on entend, merci mais je tiens à la vie.

Quand je rentre à l’appartement, j’ai la surprise de trouver mes parents enlacés sur le canapé, tout sourire en se passant Marie-Jeanne. Ça sent dans tout l’appartement, c’est dingue qu’ils arrivent à vivre dans cet aqua à taille humaine. La Marijuana ne m’a jamais fait grand-chose, pour ma part, même si j’avais le rire encore plus facile. La seule fois où j’ai été totalement défoncée, j’avais dix-sept ans et nous étions enfermés à cinq dans une petite Clio à faire tourner la fumette… Je suis sortie avec la sensation de marcher sur des nuages, je me suis endormie en cours et j’ai décidé que cette connerie n’était définitivement pas pour moi. OK, ça aidait à faire passer les cours de philo, mais à quel prix ? Surtout que mon prof devait être consommateur aussi, il avait l’air de planer tous les jours…

— Vous ne dormez pas encore ? A votre âge, ce n’est pas très sérieux, souris-je en me débarrassant de ma veste et de mes hauts talons.

— Et toi, tu es déjà rentrée ? Tu es bien trop sage !

Je me fais une place entre eux, les obligeant à s’éloigner l’un de l’autre pour avoir ma dose de câlins, ce qui ne tarde pas à arriver. Ô joie. Un peu d’amour !

— Je suis crevée. Avec le boulot, en ce moment, je ne me repose pas beaucoup…

— Le boulot ou tes folies nocturnes ? se moque ma mère.

Je soupire et me love davantage contre elle. Mes folies nocturnes… tu parles. Passer mes soirées sur un site de rencontre, même si discuter avec Monsieur 88% est agréable, je n’appelle pas vraiment ça des folies. Mes dernières folies… Ouais, mieux vaut que j’arrête de penser à Eliaz, prêt à se faire fouetter par Véronique.

— Dis, M’man… Comment tu as su que tu étais amoureuse de Papa ?

— Ouh la, mais c’est quoi cette question ? Tu as rencontré quelqu’un ?

— Hein ? Quoi ? Mais non, enfin, mens-je avec aplomb. C’est pour mon article…

— Ah d’accord. C’est facile, je l’ai vu, je lui ai sauté dessus et il a ri. J’ai su que c’était le bon tout de suite.

— Hum… Tu m’aides pas du tout. Et toi, Papa, comment tu as su ?

— Eh bien, j’ai vu une fée apparaître. Et ensuite, la magie n’a jamais disparu. Elle me fait voir les étoiles, elle m’emmène là où aucune autre ne peut m’emmener. Quand je suis avec elle, j’oublie tout le reste et je n’ai jamais envie que ça cesse. C’est ça, l’Amour.
— Ouais, bon, je penserai à vous poser cette question quand votre cerveau aura retrouvé toutes ses capacités, marmonné-je en récupérant le joint dans la main de ma mère pour l’écraser. Sérieux, je vous aime, mais j’ai besoin de vous là, et encore une fois vous planez à vingt mille, merde.

— Mais non, c’est notre première Marie-Jeanne de la soirée, ce qu’on te dit, c’est vrai. Pour nous, l’Amour, c’était une évidence.

— Ben voyons, une fée, de la magie… Tout roule, oui, soupiré-je. Dans la vraie vie des adultes, on se pose des questions, vous savez ? Genre… Est-ce que je suis prête à m’engager ? Est-ce que ça vaut le coup de ne me lier qu’à une personne ? Est-ce que je fais une erreur d’interprétation ? Pourquoi est-ce que ce serait différent avec lui ? Des trucs comme ça, quoi…

— Tu es sûre que c’est pour un article ? C’est pour qui que tu te poses toutes ces questions ? Pas un de tes colocs quand même !

— Un de mes colocs ? gloussé-je. Non, aucun risque. Je les adore, mais faut pas pousser non plus !

— Tu veux un joint ? Tu verras, ça t’aidera à te relâcher. Tu sais que tu peux tout nous dire. Même si c’est la première fois que tu es amoureuse, on est là pour toi, Chérie.

— Et comment je suis censée savoir si je suis amoureuse ou non quand vous me parlez de magie et de fée, hein ? Je n’ai pas besoin d’un joint, j’ai besoin de faits concrets. Il me faut du factuel, de la logique, du pragmatisme. Des choses claires, bon sang, soupiré-je en renversant ma tête sur le dossier du canapé.

— Mais l’Amour, ce n’est pas rationnel, ma Puce ! Tu n’auras jamais des choses claires… La seule chose qui est claire, c’est que quand tu aimes quelqu’un, tu veux tout le temps être avec lui, tu penses tout le temps à lui, il te manque quand il n’est pas là. Tu vois pourquoi on parle de magie ?

Je bougonne, parce que je ne suis pas comme ça, moi. J’ai besoin de mon indépendance, je ne veux dépendre de la présence de personne pour me sentir bien. Est-ce que j’éprouve ça pour Eliaz ? Oui, je pense souvent à lui, chaque petit truc qui peut me faire penser à mon collègue fait travailler mon cerveau. Un sticker de drapeau breton sur le coffre d’une voiture ? Eliaz. Du chocolat ? Eliaz. Ma tasse de Bretagne ? Eliaz. Même mon ordinateur portable me fait penser à lui, parce que je l’imagine chez lui en train de faire des recherches pour nos articles, de ronchonner parce qu’il n’arrive pas à formuler son idée ou ne se satisfait pas de ce qu’il a écrit.

Putain…

— OK, bon… Je vous laisse pour votre deuxième rencard avec Marie-Jeanne, je vais me coucher, soufflé-je en les embrassant l’un après l’autre avant de me lever. Je vous aime, vous savez ? Même si vous avez toujours la tête dans les nuages et que vous parlez plus souvent de magie et de sexe que de la politique du pays ou du féminisme.

— La politique et le féminisme, tu es déjà convaincue. Là, on a réussi notre éducation. Sur l’Amour, on dirait qu’il fallait juste patienter. Tout vient à point à qui sait attendre.
— Bon courage, y a encore du boulot, soupiré-je en filant à l’étage.

Je sens que la nuit va être longue… Je me retourne le cerveau avec ces conneries. Qui n’en sont pas, il faut l’avouer. Entendre Eliaz me dire qu’il me voulait encore m’a fait quelque chose. Un truc en plus, par rapport aux autres hommes que j’ai pu fréquenter. L’imaginer avec Véronique m’a filé la nausée, même si je pense être suffisamment douée pour cacher mes émotions à de rares occasions. Moi qui joue toujours la franchise, je suis trop paumée pour le faire avec lui, et je me suis rarement sentie aussi déstabilisée. Je n’ai pas l’impression qu’il y ait de la magie ou des petites fées entre nous, je n’ai pas de papillons dans le ventre comme dans les romances que James dévore… Alors, comment je fais pour savoir ? Est-ce que tout ça, ça n’existe que dans les livres ou dans l’esprit embrumé de mes parents ?

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