41. Monsieur 88% et la Dame du Bain
Eliaz
Avachi dans le canapé, je zappe sur les différentes chaînes. Comme d’habitude, il n’y a pas grand-chose d’intéressant en ce dimanche soir et je me demande comment je vais occuper mon temps. J’ai passé de bons moments sur l’application à discuter, mais là, plus de réponse, me voilà donc seul avec mes pensées. Nolwenn est allée travailler un exposé avec des amies et ne rentrera pas avant tard ce soir, j’ai donc l’appartement pour moi tout seul. Et voilà comment j’en profite. A ne rien faire. J’aurais pu inviter plein d’amis et me faire une soirée, le souci, c’est que mes quelques amis sont dispersés un peu partout en France et ailleurs. Je pourrais bosser, écrire peut-être, mais je trouve que j’ai déjà bien avancé et que je suis à jour. Bref, je m’ennuie. Et franchement, ce documentaire sur les macareux, c’est mignon, mais qui peut passer plus de trois minutes à le regarder sans s’endormir ?
Je me lève et me dis qu’il faut que je sois un minimum actif, sinon je vais finir au lit à dix-neuf heures, de la manière la plus pathétique qui soit. Je récupère un balai dans le placard et, consciencieusement, je frotte le sol dans toutes les pièces à l’exception de la chambre de Nolwenn où je ne me permets pas de rentrer en son absence. La vie est belle quand on est journaliste, qu’on est seul et qu’on n’a pas d’ami. La seule chose qui vient égayer cette soirée, c’est mon téléphone qui vibre. Je pense avoir reçu une notification de l’application mais non, c’est un SMS d’Adèle. Non que ça fasse une grosse différence, vu les circonstances.
— Salut. Je sais qu’on devait se voir demain matin pour bosser, mais je ne serai pas au boulot. J’étais à Lille pour le weekend, je dois rester un peu plus que prévu. Désolée, on se voit mardi, je n’ai rien de particulier de prévu donc ce sera quand tu veux. Bonne soirée.
Eh bien, toute la joie qui était apparue en moi en voyant le prénom de ma collègue vient de s’évanouir. J’étais en train de me dire que la fin du weekend allait vite arriver et que j’allais pouvoir au moins profiter de la vue sur sa jolie tenue demain, et pouf, cette heureuse perspective disparaît.
— Bonsoir. J’espère que tout va bien. Tu vas me manquer, demain. Tu veux que je t’appelle dans la journée et qu’on se fasse une visio ? On peut travailler à distance même si tu restes à Lille.
Je me réinstalle dans mon canapé et regarde frénétiquement mon téléphone toutes les deux minutes, en espérant qu’elle me réponde. Peut-être même que cela nous donnera l’occasion de papoter un peu ce soir et d’animer ma soirée si morne pour l’instant. Voyant l’heure passer sans avoir de nouvelles, j’hésite sur la conduite à tenir. Je me fais chauffer une soupe et continue à consulter mon téléphone, sans qu’il n’émette le moindre son. C’est étrange qu’elle ne me réponde pas et ce silence m’oppresse. Elle n’a pas l’air très motivée à communiquer avec moi.
Je file dans ma chambre et décide de me changer les idées en me connectant à nouveau sur les applications de rencontre. Qui sait ? Quelqu’un aura peut-être répondu à mes derniers messages ? Et bingo, c’est le cas, j’ai une notification. Oh, double bingo, même, c’est Adèle qui m’a écrit ! Bon, techniquement, elle ne sait pas que c’est moi, Monsieur 88%, mais moi, j’aime bien échanger ainsi avec elle, de manière incognito. On parle en toute liberté et, même si je m’en veux un peu de la tromper comme ça, je sais que quand je lui révélerai mon identité, je pourrai lui montrer que non seulement nous sommes vraiment plutôt compatibles, mais qu’en plus, on peut bien communiquer quand on n’est pas plein de préjugés. Et que si elle n’est pas prête à me donner une deuxième chance, elle peut en donner une à Monsieur 88% !
— Coucou Miss Pin Up. Pour toi aussi, le dimanche soir, c’est trop long ? Tu fais quoi de beau ?
Eh oui, on en est arrivés à se donner des surnoms et j’attends avec impatience le moment où elle se décidera à m’inviter. J’ai déjà réservé ma soirée de mardi, facile quand on sait à l’avance quand le rencard doit avoir lieu.
— Tiens, Monsieur 88% ! Le dimanche soir… c’est déprimant au possible ! Tu me promets que si je te dis ce que je fais, tu ne vas pas partir dans un délire pervers ? Parce que, concrètement, je joue à la Petite Sirène dans la baignoire… Sans la queue ! Comment vas-tu ?
Bon, Monsieur 88% n’est pas censé l’avoir déjà vue toute nue, mais ce n’est pas mon cas. Et là, j’ai vraiment une vision bien claire de son corps qui flotte dans l’eau. Je n’ai pas envie de partir dans un délire pervers, mais je ne suis qu’un homme et cette pensée m’excite.
— Et Polochon, il est là aussi ? Sinon, je veux bien prendre sa place. Ça détend un bon bain, c’est peut-être ce que je devrais faire aussi plutôt que de perdre mon temps dans mon lit à me morfondre. Tu as passé une bonne journée en famille ?
Que c’est compliqué de jouer à celui qui ne sait rien de sa famille alors qu’elle m’a donné des informations à moi, Eliaz, et que j’ai même déjà rencontré ses parents. Je fais attention à ne pas faire d’impair, mais c’est pas facile de ne pas me faire griller.
— Non, Polochon n’est pas là. A la place, je lis des articles divers sur le net. Je suis le cliché de l’Américaine dans les films : un verre de vin, des bougies et un fond de musique. Et ma mère qui tape à la porte toutes les 2 minutes “tu as besoin de quelque chose ?”, “Est-que ça va ?”, “Ne te noie pas, Adèle, la vie vaut la peine d’être vécue !”, oui, ma mère est un peu folle. Prends un bain, ça détend, normalement ! ;) Pour ma journée, rien de particulier. Je suis allée voir mes grands-parents, ça faisait un moment, et je profite de l’amour des mes paternels. Ennui mortel, non ?
— Cela n’a pas l’air du tout ennuyeux, non. J’aimerais bien encore avoir mes grands-parents. Et je paierais cher pour te voir illuminée par tes bougies, te resservir du vin lorsque ton verre est vide et exaucer tous tes souhaits. Tu vois, je suis l’homme parfait !
— Je n’ai pas besoin d’un serviteur, tu sais ? Enfin… c’est toujours agréable d’être bichonnée. La baignoire est grande en plus, chez mes parents, bien loin de celle de chez moi où j’ai l’impression d’être dans une douche pour chien version américaine. Bon, je n’en ai jamais vu en vrai, mais j’ai une passion louche pour les émissions de rénovations qui viennent de l’autre côté de l’Atlantique et passent un peu trop à la télé ;). Bref… Et toi, quoi de beau en ce dimanche soir ?
Je lui redis que je me morfonds dans mon lit ? Ou alors, j’invente un truc
— Je me suis mis la bande originale de Love Actually et je fais comme Hugh Grant. Je danse tout seul dans ma chambre en me déhanchant comme un sex symbol. A part ça, pas grand-chose. :) :) :)
Je me demande ce qu’elle va bien pouvoir répondre à ça. Monsieur 88% utilise des choses apprises par Eliaz, et moi, j’adore ça. Oui, je suis en train de devenir fou avec toutes mes personnalités.
— Love Actually est l’un de mes films préférés. Chercherais-tu à me séduire ? ;) Quant au déhanché de Hugh Grant… Si tu as le même, épouse-moi ahah ! En tout cas, tu m’as donné envie de regarder le film, de danser toute nue dans mon bain et possiblement de te rencontrer en quelques mots. Bravo, ça n’arrive pas souvent !
— C’est moi qui ai appris à Hugh comment faire. Tu vois, c’est du High Level. On se marie quand ? J’ai une disponibilité samedi prochain. Sinon, après, ce sera dans trois semaines. Tu me tiens au courant ? Tu as une webcam pour le show de danse nue dans le bain ? Et oui, je suis bête, je sais, mais bon, si tu veux me rencontrer, ça doit pouvoir se faire.
C’est fou comme c’est fluide. Je sais que je joue un rôle, mais à part lui cacher mon identité, tout le reste est vrai. Enfin presque. Même si j’ai un excellent déhanché, je n’ai jamais rencontré l’acteur de Love Actually.
— Tu viens de perdre la première place en me disant que tu connais Hugh Grant, désolée, Monsieur 88% ! Il faut absolument que tu me le présentes !
Et sinon, pour arrêter de dire des bêtises (je jure que je suis toujours à mon premier verre de vin… Je suis naturellement folle, fuis tant qu’il est encore temps !) je peux être curieuse et te demander pourquoi tu es encore célibataire à ton âge ?
Ah mince, je réponds quoi à ça, moi ? Je ne veux pas mentir, mais je ne peux pas non plus me griller en expliquant ma situation… Pfff, quelle idée stupide j’ai eue de créer ce faux profil…
— Et si j’invente que je connais Chris Hemsworth, je passe en position numéro 3 ? Je t’assure que lui a refusé que je lui apprenne à se déhancher tellement je suis fort. Il a un égo aussi surdimensionné que Thor.
Pour ce qui est d’être célibataire, je crois que j’attends la bonne, celle qui me fera vibrer le matin, le midi et le soir, celle avec qui je me verrai vieillir. La femme de ma vie, quoi. Juste ça.
— Tu restes en 2ème position… Chris Hemsworth, au même titre que Thor, est un Dieu, il est au-dessus de tout ! Et inatteignable. As-tu entendu le bruit de mon cœur qui se brise sur le sol de la salle de bain ? Pauvre de moi… Pourquoi tu continues à me parler ? Je suis dingue, je te l’ai dit et sans doute même prouvé, serais-tu aussi cinglé que moi ? ;)
Et tu crois qu’elle existe vraiment ? Qu’on a tous, quelque part, une personne qui nous est destinée, l’amour d’une vie ?
Purée, j’ai trop envie de lui dire que c’est elle l’Amour de ma vie, mais si je fais ça, c’est elle qui va fuir.
— Je crois que niveau cinglitude, je suis pas mal. Je parle à la plus jolie femme de l’appli et ne lui ai pas encore proposé une date pour la rencontrer. Tu imagines ?
Je ne crois pas qu’elle existe, non. J’en suis convaincu. Et elle est peut-être en train de prendre son bain, quelque part dans le monde, un verre de vin à la main, des bougies parfumées autour d’elle.
— J’apprécie que tu prennes le temps et ne cherche pas à tout prix à me rencontrer. Je dois avouer que ça change pas mal de ce que j’ai connu jusqu’à présent sur les sites de rencontre. Ne brise pas tout, c’est parfait comme ça !
Je vois que le bain t’inspire ! Tu sais que dans un bain, les femmes ne font pas que se prélasser ? Je ne veux pas casser le mythe, hein ! Enfin, je suis sortie du bain, de toute façon, je suis sur mon lit et je ne te dirai pas dans quelle tenue, au risque que tu vires pervers ;)
— Que de provocations à la perversité ! Maintenant, je veux me transformer en lit, pour sentir le velouté de ta peau sur moi, la courbe de tes formes contre les miennes. Tu vois, ce n’est pas le bain qui m’inspire, mais toi. Enfin, je crois. Tu existes vraiment ou tu es juste une déesse issue de mon imagination fertile ?
— Merde, fais gaffe, je suis une sirène et il semblerait que j’ai commencé à chanter… ;) Je suis désolée, mais je vais devoir filer, il est l’heure pour moi de m’habiller et d’aller écouter mes parents me parler de leur adolescence hippie et de leur rencontre… Continue à te déhancher et passe le bonjour à Hugh et Chris de ma part ! Et qui sait, peut-être qu’on pourra se caler une soirée un de ces jours pour se retrouver quelque part dans Paris ? Bonne soirée, Monsieur 88%, et merci pour ce nouveau moment agréable. A très vite !
— Je te préviens, je ne suis pas comme Ulysse, je ne me laisserai pas attacher. Enfin, pas tout de suite ! J’aurais trop envie de toucher si je le pouvais ! On se cale une soirée quand tu veux, je suis assez flexible sur mon emploi du temps. Merci à toi pour cette belle soirée qui est passée très vite finalement. A bientôt. Bisous.
Je ne sais pas ce que ça va donner, ce Monsieur 88%. Ce que je sais par contre, c’est que ça confirme que quelle que soit la forme, nous sommes attirés l’un par l’autre. Et si vraiment on organise une rencontre, elle va réagir comment quand elle va découvrir que c’est moi qui me cache sous ce pseudo ? Des fois, je me dis que je suis vraiment fou et inconscient. Mais bon, elle aussi est comme ça, elle devrait pouvoir me comprendre, non ?
Annotations