43. Invitation improvisée
Eliaz
Je me réveille sans avoir assez dormi. Il faut dire que la soirée d’hier ne m’a pas aidé à arrêter de me faire des idées sur ma relation avec Adèle. On a vraiment passé un bon moment, tous les deux, au milieu du groupe et ça, c’est fou. Qui aurait cru que ce serait possible ne serait-ce que quelques semaines en arrière ? Mais bon, tout ça me remue et me donne des insomnies.
Tout d’abord, il y a eu cette chanson où je l’ai tenue dans mes bras. Elle a tellement résonné en moi, surtout avec elle qui chantait qu’elle rêvait aussi. Je ne sais pas pourquoi, mais tout mon esprit y a cru. J’étais à deux doigts de l’embrasser à la fin de la musique et ça a été difficile de me retenir. Et puis, tous nos échanges, si libres, si fluides, tous ces rires, ces bons moments. Sans oublier cette pointe de jalousie quand je suis revenu, la chemise entrouverte suite au déboutonnage en règle réalisé par Hélène qui avait sûrement un coup dans le nez pour oser faire ça. Tout le monde s’est bien lâché d’ailleurs pendant cette soirée. Je crois que ma collègue avait envie de moi et il a fallu que je calme ses ardeurs, ce qui a eu l’air de faire bien plaisir à Adèle qui s’est chargée de la ramener à sa maison. Si ça avait été moi comme elle me le demandait, je pense que j’aurais eu du mal à échapper à ses avances. Espérons que la journée soit plus calme aujourd’hui.
Je me lève et constate que je suis seul à la maison. Nolwenn n’est pas rentrée et je me demande si elle a vraiment passé toute la nuit avec Rémi qui est de passage sur Paris. Vu comment elle en parle, comment elle fantasme, j’espère qu’il a été à la hauteur et qu’elle va rentrer ce soir avec des étoiles dans les yeux. Et une fatigue très saine ! Je devrais être horrifié ou choqué de penser que ma petite sœur aime bien s’envoyer en l’air, mais il n’en est rien du tout. Je suis même content de savoir que Rémi a préféré l’inviter elle qu’Adèle. Jalousie, quand tu nous tiens…
Je me prépare en me demandant comment va se passer le retour au boulot après cette soirée de folie. Est-ce que tout le monde va chanter et danser au milieu de la salle de rédaction ? J’avoue que la réalité est décevante. Quand j’entre dans la pièce, aucun bruit. Bon, tout le monde n’est pas encore arrivé, certains doivent encore être en train de cuver et vont débarquer avec un mal de tête, mais les présents ont repris leur place comme si de rien n’était. Même Hervé a remis sa chemise. C’est vraiment que la fête est finie.
Je m’installe à mon poste de travail et salue Véronique quand elle passe à son arrivée quelques instants après.
— Ça va Eliaz ? Tu as l’air en petite forme, ce matin.
— Je crois que je ne suis pas le seul. Tu ne devrais pas organiser des fêtes comme ça en milieu de semaine !
— Ça fait pas de mal de sortir un peu, non ? Tout le monde va vite s’en remettre, on n’a pas fait de nuit blanche aux dernières nouvelles, rit-elle.
— Moi non, mais qui sait ce qu’on fait les autres ? demandé-je alors qu’Hélène se pointe, toute gênée. Tu vas bien, Hélène ? Bien dormi ?
— Oui, oui, ça va… La nuit a été trop courte, marmonne-t-elle sans même nous regarder.
— Tu as fait des folies avec Adèle ? la titillé-je en prêchant le faux pour savoir le vrai.
— Hein ? Quoi ? Je… Mais… non, enfin ! bafouille Hélène en rougissant.
J’adore la voir rougir comme ça, mais je n’insiste pas. Je sais trop ce que ça fait d’être mal à l’aise dans un groupe. Je me remets à mes lectures du matin quand le vent de folie qu’est Adèle arrive enfin, avec un bon quart d’heure de retard. Comme j’en ai pris l’habitude, j’arrête tout ce que je fais et je l’observe. Je l’admire, devrais-je dire. C’est comme un rayon de soleil dans la grisaille, un arc-en-ciel dans un ciel plein de nuages. Aujourd’hui encore, sa tenue est un savant mélange de couleurs, de décolleté et de fraîcheur. Je ne sais pas comment elle fait, mais chaque jour, elle a l’air d’avoir une nouvelle tenue. Elle m’a déjà dit que c’était juste une question d’arrangement, mais j’adore voir ses bas jaunes contraster avec sa petite jupe verte et son haut fleuri. Elle fait le tour des collègues et termine par Hélène avant de venir s’installer sur le bord de mon bureau. J’adore quand elle fait ça et je lui souris.
— Hélène m’a raconté toutes tes folies avec elle, hier, je ne te félicite pas, me moqué-je.
— Oh, elle a osé te dire qu’elle avait essayé de me rouler une pelle ? s’étonne-t-elle très sérieusement.
— Ah, je comprends mieux sa tête, ce matin, rigolé-je. Elle n’a rien dit mais je suis content de savoir qu’elle n’a fait qu’essayer ! Tu en es où pour le troisième rencard ? Il va falloir penser à avancer un peu, la deadline arrive bientôt.
Elle n’avance pas et je suis bien placé pour le savoir car Monsieur 88% continue à échanger avec elle, sans vraiment progresser vers une future rencontre.
— Hum… J’ai pas encore trouvé… Enfin, je n’arrive pas à me décider… Dans tous les cas, il va falloir que je repousse le rencard au début de semaine prochaine, j’ai enfin eu une date pour l’interview de ma footballeuse lyonnaise, je pars vendredi matin.
— Tu pars ? Mais tu vas où ? m’étonné-je. Tu es sûre que tu vas réussir à tenir les délais ?
Même à Monsieur 88%, elle n’en a pas parlé. Et le pauvre, il va être déçu de devoir encore attendre pour la rencontrer, pensé-je en souriant intérieurement à ma bêtise.
— Bretagne, j’ai un match de foot à aller voir vendredi soir, et je vais y passer le weekend, du coup. T’inquiète pas pour les délais, je te promets que ce sera bouclé en temps et en heure. Tiens, tu viens d’où toi déjà ?
— La Bretagne ? Vraiment ? C’est marrant, je comptais y aller ce weekend, justement, inventé-je sur un coup de tête. Mon père a sa maison à Erquy, à côté de Saint-Brieuc. Tu en as entendu parler ?
— De nom… C’est pas loin de Guingamp, c’est ça ? Parce que le match est là-bas.
— Oui, c’est ça ! Guingamp, c’est mon équipe de cœur ! Une petite ville mais une équipe de foot magnifique ! C’est fou que tu ailles là-bas !
— Hum… Oui, sacré hasard. Donc, tu y vas ce weekend ? J’ai encore rien réservé, c’est un peu au dernier moment, faut que je fasse tout ça aujourd’hui…
— Si tu veux, tu peux venir à la maison. On a une jolie vue sur l’océan. Enfin, vu que c’est la boite qui paye, tu préféreras sûrement un truc plus près de Guingamp ou un hôtel plus luxueux. Mon père serait ravi de rencontrer une de mes collègues.
Je ne sais pas ce qui me prend de proposer un truc comme ça, mais c’est sorti tout seul. Les mensonges ou demi-vérités s’enchaînent le plus naturellement du monde, tellement je vois ce weekend comme une opportunité d’essayer de saisir cette deuxième chance qu’elle me refuse toujours.
— Heu… Je… Honnêtement, tu m’as perdue à partir du moment où tu as dit vue sur l’océan, rit-elle. Mais je crois que ce serait clairement abuser de l’hospitalité de ton père ! Et puis, si vraiment il veut rencontrer une de tes collègues, au pire, on pourra se faire un restau pendant le weekend, non ? Pas besoin que je m’incruste deux nuits pour ça…
— Je pense que ça ne le dérangera pas du tout. En plus, il y a de fortes chances pour qu’il soit chez la voisine à profiter de son hospitalité à elle. On a une chambre d’amis, il n’y a vraiment aucun souci. Et puis, je pourrai faire le guide touristique. On pourrait même aller faire un tour en bateau, si ça te dit. Même si, vu le temps, ce n’est pas forcément l’idée du siècle.
— Je sais pas… Tu devrais peut-être en parler à ton père avant de me proposer, non ? Ta sœur sera là aussi ?
— Je crois que ma sœur a prévu un weekend sur Lille pour voir un basketteur qui, parait-il baise comme un dieu, si j’en crois son SMS du matin. Et pour mon père, il sera d’accord, ce ne sera pas la première fois que je ramène quelqu’un à la maison.
Non, juste la deuxième fois après Marie que je ramène une femme. Si elle accepte, je sens que je vais avoir des questions auxquelles il faudra que je réponde.
— Elle voit encore Rémi ? Hum… J’espère qu’elle ne va pas s’enticher de lui, elle mérite mieux. Et… OK pour la vue sur mer, si vraiment ça ne dérange pas. Merci pour la proposition, mon Lapin. J’ai une deuxième place pour le match, si le foot féminin te branche.
— Parfait ! Je ne suis jamais allé voir un match en vrai mais j’ai regardé les compétitions internationales à la télé et ça m’intéresse d’y aller. Surtout pour te voir avec la tenue de la parfaite supportrice ! Ou tu es plutôt du genre pompom girl, toi, non ?
— Je suis plutôt du genre journaliste, Monsieur Kerouaec, stop les fantasmes ! Mais te gêne pas pour mettre ton maillot de Guingamp, hein ? A moins que tu sois du genre torse nu et vuvuzela.
— Tu verras bien ! J’appelle mon père tout de suite pour lui demander de préparer la chambre d’amis. On fait la route ensemble, j’espère ? Tu crois que je peux demander à Véronique qu’elle me paie mon billet en tant qu’assistant ?
— Tu peux toujours tenter, pouffe-t-elle. Dis-lui qu’il n’y aura pas de frais d’hébergement, ça devrait l’adoucir… Et caresse-la dans le sens du poil, offre-lui des menottes et dis-lui qu’elle chante mieux que Céline Dion.
Je manque de m’étouffer en retenant mon éclat de rire alors qu’elle saute du bureau pour se rendre dans son espace. Je constate, amusé, le regard un peu gêné que lui lance Hélène, mais Adèle se penche vers elle, lui chuchote quelque chose qui la fait rire et semble la déstresser avant de s’installer devant son ordinateur, un stylo dans la bouche qu’elle suçote sans même se rendre compte combien ce geste peut être sensuel. Comme Hélène, j’ai envie de lui rouler un patin. Et bien plus encore. Voilà un bel objectif pour ce weekend breton, non ?
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