44. Séducteurs, père et fils
Adèle
La Bretagne… La dernière fois que j’y ai mis les pieds, l’une de mes copines de l’école de journalisme s’y mariait… J’ai fait un léger black-out après avoir trop bu… Trop de niaiseries, de romantisme, d’amour, alors que j’étais accompagnée de mon cousin, qui m’a lâchement abandonnée dès le vin d’honneur pour une petite rousse canon. S’il y a bien un endroit où je déteste aller en solo, ce sont les mariages. C’est tellement déprimant !
Bref, ce que j’adore, en revanche, ce sont les vestiaires d’un stade… Bon, concrètement, mon petit footeux m’a déjà reçue dans le vestiaire, mais il n’y avait plus grand monde… Là, j’ai eu droit à la totale. On en parle des footeuses en petite tenue ou en maillot mouillé qui viennent de gagner leur match et font la fête ensemble ? J’essaie de ne pas la jouer perverse à toutes les reluquer, mais j’avoue être plutôt fascinée par ces corps musculeux et féminins à la fois.
Je m’attarderais bien ici, mais je me sens un peu de trop, alors je salue tout le monde sans manquer le petit clin d’oeil de la jolie black avec qui j’ai passé une partie de la journée, et prends le chemin de la sortie pour rejoindre mon date du weekend qui n’en est pas un, même si je crois qu’il apprécierait… et moi aussi. Il faut que je m’en tienne à mes décisions, sans quoi tout va partir en vrille dans ma petite vie tranquille.
Après avoir profité de la chaleur du petit salon VIP et des vestiaires, je suis saisie par le froid à peine ai-je mis le nez dehors. Je ferme mon manteau et resserre mon écharpe en partant à la recherche d’Eliaz, m’éloignant du stade du Roudourou. Je ne tarde pas à le trouver, puisqu’il est installé dans la voiture de son père, et je soupire de contentement en retrouvant un cocon chaud.
— Oh bon sang, il caille trop dans ton coin ! Merci pour le chauffage, soufflé-je en frottant mes paumes l’une contre l’autre.
— Il ne fait pas si froid que ça, avec l’océan à côté, on garde un peu de douceur. Enfin, si tu veux, je t’offre mes bras pour te réchauffer. Je suis prêt à ce sacrifice, me répond-il en souriant, charmeur.
Honnêtement, mon premier réflexe serait d’accepter. Déjà parce que j’ai froid, et puis j’ai souvenir de m’être réveillée dans ses bras, et c’était des plus agréables… Cependant, je n’ai pas vraiment envie de lui donner de faux espoirs non plus.
— Je crois que ton père nous attend pour aller au lit, non ? Figure-toi que j’ai moi aussi vraiment hâte de le rencontrer. D’ailleurs, je compte me lever tôt pour avoir un petit tête-à-tête avec lui, je veux pouvoir lui soutirer le plus d’infos gênantes possibles sur toi.
— Toi, tu vas te lever tôt ? rit-il. J’aimerais voir ça ! En même temps, ce n’est pas une idée si bête que ça. Le lever de soleil depuis le bateau, c’est un spectacle magnifique… Mais ça veut dire que je serai là.
— Wow attends, quand je dis me lever tôt, c’est être vautrée dans un canapé sous une plaid, un mug de café à la main, pas habillée et déjà sur un bateau. On part si tôt que ça ?
— Le soleil se lève vers huit heures, ça ne fait pas un départ si tôt que ça, se moque-t-il. Et le spectacle vaut vraiment le coup.
— Tu vas me tuer, ouais ! Un réveil si tôt un samedi, t’es un grand malade Kerouaec ! Et, au fait, je veux aller à un Fest Noz demain soir ! Il faut absolument que je te voie danser, j’ai promis à Hélène de lui envoyer une vidéo.
— Il parait que j’ai un déhanché à faire pâlir Hugh Grant ! Et j’espère que tu es prête à danser le petit doigt en l’air, c’est comme ça qu’on fait par ici ! rigole-t-il.
— J’ai hâte de voir ça, alors !
Entendre parler de Hugh Grant me rappelle que je n’ai toujours pas répondu à Monsieur 88% qui m’a envoyé un message dans l’après-midi. Si je suis tout à fait honnête, je dois avouer ne pas être très à l’aise avec cette situation. Je passe le weekend avec un autre homme, avec qui j’ai déjà couché, tout en me rapprochant virtuellement d’un mec que je compte inviter la semaine prochaine. Autant, pour les deux premiers rencards, je pense que ça ne m’aurait pas dérangée, mais là, je sens qu’on accroche bien, lui et moi… Et puis, ça me met aussi mal par rapport à Eliaz qui, je le vois, tente de se rapprocher de moi. Bon, il a déjà été clair à ce sujet, il veut remettre le couvert, et vu le bonhomme, ça veut dire avoir une relation suivie. En suis-je seulement capable ?
Il faut que je prenne une décision pour ce weekend, au moins. Jouer sur deux tableaux n’est pas trop mon genre, surtout par rapport à Eliaz, qui m’invite dans la maison de son enfance, propose de me servir de guide… Oui, je n’ai vraiment aucune envie qu’il se sente blessé, alors j’envoie un petit message à mon futur date en lui disant que je ne vais pas être dispo pour discuter durant les deux prochains jours. Je m’excuse, lui souhaite un bon weekend, lui rappelle que Pocahantas est la meilleure et lui dis que j’envisage un bar dansant pour notre date, histoire qu’il me montre comment il fait de la concurrence à Hugh Grant.
Je relève le nez de mon mobile quand nous empruntons un chemin en pente et j’observe, curieuse, les alentours. La maison devant laquelle se gare Eliaz est de bonne taille, bien entretenue, et les volets bleus me font sourire. Une habitation typiquement bretonne, les fenêtres étant entourées de pierre. J’adore, j’ai vraiment l’impression d’être en vacances.
Quand je descends de voiture et rejoins Eliaz qui sort déjà ma valise du coffre, je me rends compte que je suis plus stressée qu’avant une interview. Il faut croire que je me colle la pression quant à ma rencontre avec le paternel de la famille… Et je ne chercherai pas à comprendre pourquoi c’est le cas, hors de question, je préfère encore me voiler la face. Oui, ça vaut mieux comme ça, et je suis docilement mon collègue à l’intérieur, remarquant tout de suite un certain côté chaleureux même si l’on sent qu’il manque une touche de féminité dans la décoration. Evidemment, je ne peux que m’arrêter devant un mur couvert de photos de famille, partant à la découverte d’Eliaz au fur et à mesure des années.
— T’étais vraiment un bébé mignon, souris-je alors que, très gentleman, il m’aide à ôter mon manteau.
— Pourquoi “étais” ? Je ne suis plus mignon ?
— Je crois qu’on a eu le même passage difficile à l’adolescence, mon Lapin ! Enfin… y a pire, tu es resté relativement mignon avec le temps, mais je ne te l’avouerai pas, pas envie que tu prennes le melon.
Je remarque la grande ressemblance entre Eliaz et son père sur une photo d’eux sur un bateau, et j’ai l’occasion de la voir bien en face quand un homme d’une cinquantaine d’années apparaît au salon. Mon collègue n’a vraiment pas de souci à se faire quant aux années qui passent, c’est la première chose que je me dis en rencontrant son paternel au charme bien visible. Tu m’étonnes que la voisine ait craqué !
— Bonsoir Monsieur, l’interpellé-je en lui offrant mon plus beau sourire. Adèle, ravie de vous rencontrer !
— Eh bien, Fils, tu m’avais caché qu’on allait être en si charmante compagnie. Appelle-moi Loïk et tutoie-moi. Quand une jeune et jolie femme comme toi me vouvoie, j’ai l’impression d’être au bord de la tombe.
— P’pa, arrête, tu vas la faire fuir ! Désolé, Adèle, je… il est très différent de moi au niveau personnalité. Toujours solitaire et silencieux, sauf avec les jolies femmes.
— Voilà qui est parfait, je vais pouvoir lui tirer les vers du nez pour en apprendre plus sur Eliaz en version petit jeune, ris-je. Merci de m’accueillir chez v… toi pour le weekend. Et si je parle trop, dis-le moi, parce que je suis tout le contraire de silencieuse !
— Non, je ne dirai rien. Mais si mon regard se perd sur l’océan, tu comprendras, Petite.
— Adèle, moi, je te le dirai, rigole Eliaz. Je te montre ta chambre ?
— Eliaz a la même attitude au boulot avec moi. Quand il en a marre de m’entendre blablater, il se met à regarder l’open space comme si je n’existais plus… ce qui me pousse à parler encore plus, attention, plaisanté-je. Je te suis, oui.
— Fils, c’est une femme exceptionnelle que tu as ramenée là. Il faut que tu sois à la hauteur, hein ?
— P’pa ! le réprimande-t-il. Nous sommes collègues, voyons ! Enfin, là, techniquement, on est en weekend, ajoute-t-il en me faisant un clin d'œil.
— Depuis le temps que je te dis que je suis une femme d’exception, le taquiné-je. Il aura fallu cinq minutes à ton père pour s’en rendre compte, alors que tu as passé six mois à te chamailler avec moi !
— J’ai toujours su que tu étais hors normes, me tacle-t-il. Il faut juste le temps de s’y habituer. Voilà ta chambre. Tu devrais venir voir la vue, elle est presque aussi exceptionnelle que toi.
Hors normes, c’est à peu près ça, oui, et je conçois qu’il faille un temps d’adaptation dans ce monde où tout doit rentrer dans les cases, où le politiquement correct prime, où il faut dire les choses en y mettant les formes… entre autres choses. Je pourrais être pire que ça, il faut quand même en convenir. Je dis ce que je pense, je jure comme un charretier, j’attire l’attention sur ma petite personne, je ressens rarement de la gêne, mais je ne fais pas non plus tout à l’envers.
— Il fait nuit, la vue va être limitée, dis-je en me plantant malgré tout devant la fenêtre, à ses côtés.
Eliaz entrouvre la fenêtre et le bruit des vagues me donne instantanément le sourire. Sans parler du reflet de la Lune qui vogue sur l’eau au gré de ses mouvements. On ne voit effectivement pas grand-chose, mais on peut discerner la Manche d’ici, et cette vue, ajoutée au bruit et aux odeurs marines, me donne instantanément l’impression d’être plus apaisée.
— Tu crois que ton père accepterait de m’épouser ? Je veux vivre ici, chuchoté-je en passant mon bras autour du sien.
— Lui, jamais de la vie ! Un mariage, ça lui a suffi. Par contre, si tu lui proposes de partager son lit, vu comment il est avec la voisine, ça ne devrait pas lui déplaire. Ce qui ne serait pas mon cas. Quitte à faire quelque chose avec un Breton, autant le faire avec moi, non ?
Eliaz a d’aussi gros sabots que son père pour la drague, finalement. Passée la timidité, il ne lésine pas, et ça me fait sourire. J’esquive néanmoins sa question. Pas folle, la guêpe !
— Comment tu fais pour vivre à Paris en ayant passé ton enfance ici, sérieusement ?
— Je survis à Paris, comme tous les Bretons qui y sont. Si tu aimes tant que ça, il faudra revenir, tu seras toujours la bienvenue.
— Merci pour ce weekend, Eliaz. Et je crois que j’ai bien envie d’aller voir le lever du soleil au beau milieu de l’eau… Promets-moi juste que je pourrai faire une sieste, souris-je.
— Est-ce une invitation ? commence-t-il avant de rougir et de se stopper. Non, oublie, je… je ne sais pas ce qui me prend. Sûrement le romantisme de cette mer d’Iroise qui me fait perdre la tête.
Je lui souris et dépose un baiser sur sa joue, une nouvelle fois sans répondre pour éviter de dire n’importe quoi… Ça vaut mieux, sinon on risque de finir à poil dans ce lit et ça compliquerait encore les choses.
— Je peux prendre la salle de bain rapidement avant d’aller au lit ?
— Bien sûr. Et s’il te manque quelque chose, tu me le dis. Les serviettes sont dans l’armoire à côté de la douche.
— Merci. Bonne nuit, Eliaz. N’oublie pas le café demain matin, sinon je vais être infecte, ris-je en l’accompagnant jusqu’à la porte. Bonne nuit, Papa d’Eliaz !
— Si tu es gentille, il se pourrait qu’il y ait même des crêpes pour le petit déjeuner. Au beurre, hein ? Pas comme à Paris. Bonne nuit, Adèle. Bonne nuit, P’pa.
Mon ventre pourrait gargouiller rien qu’en entendant le mot “crêpe”... Heureusement, il se tient tranquille. Ce n’est certainement pas ce weekend que je vais faire attention à ma ligne, en tout cas. A contrario de ma relation avec le Breton, où là, il faut que je sois vigilante à tout ce que je dis et fais. C’est bien la première fois que ça m’arrive, ça, mais c’est un juste retour du Karma pour avoir joué avec le feu en mélangeant le sexe et le boulot…
Le sexe, hein ? Ma foutue conscience se rappelle à moi, et une fois encore, je remise tout ça loin dans mon cerveau. Bretagne, mer, weekend. C’est tout ce qui compte.
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